Le droit fiscal suisse 2020 – 2021

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Philippe Ehrenström, Fiscalité de la distribution d’électricité: questions choisies, in: Jusletter 12 novembre 2018

Philippe Ehrenström, Le salaire suisse. Aspects pratiques, droit du travail et droit fiscal, nouvelle édition révisée et augmentée, Zurich, WEKA Business Media SA, 2018

Philippe Ehrenström, Les taxes et les impôts en Suisse de A à Z, Zurich, WEKA Business Media SA, 2016

Philippe Ehrenström, Le traitement fiscal des expatriés, in: Détachement et mobilité internationale, Zurich, WEKA Business Media SA, 2015, pp. 119-128

Philippe Ehrenström, Fiscalité de la Genève internationale : diplomates, représentations diplomatiques, organisations internationales et fonctionnaires internationaux, in: Jusletter 11 mars 2013

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Valeur locative d’un bien immobilier en Espagne (encore)

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Les recourants, domiciliés en Suisse [GE], sont assujettis à l’impôt dans ce pays (art. 3 al. 1 LIFD; art. 3 LHID) de manière illimitée (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 LIPP). Cet assujettissement ne s’étend pas à leur immeuble situé à l’étranger [Espagne] (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 LIPP). En tant qu’élément imposable en Suisse (art. 21 al. 1 let. b LIFD; art. 7 al. 1 LHID; art. 24 al. 1 let. b LIPP), la valeur locative de cet immeuble entre toutefois en considération pour la détermination du taux d’imposition des contribuables, tant pour l’impôt fédéral direct que pour l’impôt cantonal et communal (exemption sous réserve de progressivité; art. 7 al. 1 LIFD; art. 6 al. 1 LIPP). 

 La Convention du 26 avril 1966 entre la Suisse et l’Espagne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (CDI CH-ESP; RS 0.672.933.21) ne s’oppose pas à ce qui précède. En effet, elle prévoit que la Suisse exempte de l’impôt les revenus ou la fortune qui proviennent des biens immobiliers sis en Espagne, mais qu’elle conserve toutefois la possibilité d’en tenir compte dans la fixation du taux d’imposition, en appliquant ” le même taux que si les revenus ou la fortune en question n’avaient pas été exemptés ” (art. 23 al. 2 let. a, en lien avec l’art. 6 al. 1 CDI CH-ESP). 

L’art. 21 al. 2 LIFD prévoit que la valeur locative est déterminée compte tenu des conditions locales et de l’utilisation effective du logement au domicile du contribuable. Selon cette disposition, la valeur locative doit être estimée à la valeur du marché (cf. art. 16 al. 2 in fine LIFD), en prenant en considération les conditions locales, étant relevé qu’une certaine marge subsiste. La valeur locative doit ainsi correspondre au montant que le propriétaire ou le détenteur des droits de jouissance devrait payer sur le marché pour pouvoir occuper le bien immobilier dans les mêmes conditions. L’art. 21 al. 2 LIFD n’impose pas de méthode de calcul déterminée de la valeur locative. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la valeur locative retenue par le canton en matière d’impôt fédéral direct ne doit pas se situer en deçà du 70 % de la valeur du marché (ATF 123 II 9 consid. 4b p. 14 s.; arrêt 2C_1/2019 du 16 janvier 2020 consid. 7.1 et autres références citées). 

 En matière d’impôt cantonal et communal, l’art. 7 al. 1 LHID oblige expressément les cantons à imposer la valeur locative des immeubles, mais ne pose pas d’exigences allant au-delà des limites fixées par les normes constitutionnelles, en particulier par le principe d’égalité de traitement entre les propriétaires et les locataires (art. 8 al. 1 Cst.) et les principes fiscaux ancrés à l’art. 127 al. 2 Cst. 

Dans cette mesure, l’impôt fédéral direct et les impôts cantonaux ne connaissent pas d’harmonisation verticale. La loi sur l’harmonisation fiscale n’impose pas aux cantons de méthode déterminée pour le calcul de la valeur locative en matière d’impôt cantonal et communal.  Les cantons jouissent donc d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative, y compris pour les immeubles se situant à l’étranger. Celle-ci doit correspondre au prix du marché, mais peut notamment être fixée à une valeur inférieure dans la mesure où, dans le cas concret, elle ne passe pas en-dessous de la limite fixée à 60 % du loyer du marché.

Répondant aux obligations imposées par l’art. 7 al. 1 LHID, le législateur genevois a édicté l’art. 24 al. 1 let. b et 2 LIPP. L’art. 24 al. 2 LIPP définit la notion de valeur locative et à la teneur suivante :  ” La valeur locative est déterminée en tenant compte des conditions locales. Le loyer théorique des villas et des appartements en co-propriété par étage occupés par leur propriétaire est fixé en fonction notamment de la surface habitable, du nombre de pièces, de l’amé-nagement, de la vétusté, de l’ancienneté, des nuisances éventuelles et de la situation du logement […] “.

L’art. 8 du règlement genevois du 13 janvier 2010 d’application de la loi sur l’imposition des personnes physiques (RIPP; RS/GE D 03 08.01) prévoit que la valeur locative du logement du contribuable dans sa propre maison doit être déterminée en fonction des loyers usuels pratiqués dans la localité pour des logements semblables. Le législateur genevois a ainsi choisi de se baser sur des critères objectifs.

Dans le but d’uniformiser l’imposition de la valeur locative, l’Administration fédérale des contributions a édicté des directives (cf. circulaire du 25 mars 1969 concernant la détermination du rendement locatif imposable des maisons d’habitation [ci-après: circulaire du 25 mars 1969], Archives 38 p. 121 ss; l’abrogation de cette circulaire fin 2009 n’empêche pas son application à des périodes fiscales postérieures; cf. arrêt 2C_843/2016 du 31 janvier 2019 consid. 2.2.5 et 3.4). Selon ces directives, la valeur locative se détermine en principe d’après une procédure d’estimation individuelle ou sur la base d’estimations cantonales, pour autant que celles-ci existent et aient été effectuées selon des règles uniformes.

Se fondant sur l’information du 1er février 1991, l’Administration fiscale cantonale du canton de Genève a pour pratique d’estimer la valeur locative des immeubles situés dans un pays qui ne connaît pas l’imposition de la valeur locative, à 4,5 % de la valeur fiscale du bien (villa ou appartement en PPE). Le taux de 4,5 % tient déjà compte d’une déduction forfaitaire de 25 % de la valeur locative brute pour les frais d’entretien, qui ne peuvent donc être déduits. L’information du 1er février 1991 ne distingue pas les immeubles selon qu’ils sont situés en Suisse ou à l’étranger, précisant uniquement que, pour ces derniers, le rendement (ou la valeur locative) ne sera pris (e) en considération que pour déterminer le taux d’imposition. La détermination de la valeur locative en pour-cent de la valeur fiscale ou de la valeur vénale de l’immeuble est par ailleurs une méthode expressément envisagée dans la circulaire du 25 mars 1969. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la méthode de calcul forfaitaire prévue par l’information du 1er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative (cf. arrêts 2C_137/2019 du 23 janvier 2020 consid. 6.2; 2C_829/2016 précité du 10 mai 2017 consid. 7 ss).

L’information du 1er février 1991 n’a pas force de loi et ne lie pas le Tribunal fédéral et les autres autorités d’application du droit. Le juge peut s’en écarter s’il l’estime contraire à la loi ou à une ordonnance. Toutefois, si cette information permet une application correcte des dispositions légales dans le cas d’espèce, il y a lieu d’en tenir compte.

En pratique et lorsque cela est possible, la valeur locative cantonale complète est valable pour l’établissement de la valeur locative de l’impôt fédéral direct. 

Savoir si un État étranger connaît un principe de valeur locative équivalent à la notion suisse se détermine selon le droit suisse. Pour pouvoir être prise en compte, la valeur locative étrangère doit ainsi respecter les standards suisses. 

Les recourants se plaignent à juste titre que l’instance précédente a considéré à tort que l’Espagne était un pays n’imposant pas la valeur locative. 

En effet, corrigeant l’arrêt 2C_137/2019 du 23 janvier 2020, le Tribunal fédéral a constaté, dans l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021, qu’il ressort clairement de l’information de mars 2015 (p. 7 et 31), ainsi que de l’article paru dans la Revue internationale de droit comparé (RIDC 3-2013 p. 749), qui se réfère à l’art. 85 de la loi espagnole 35/2006 de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques et de la modification partielle des lois des impôts sur les sociétés, des revenus des non-résidents, et du patrimoine (ci-après: Loi 35/2006), que l’Espagne connaît une imposition de la valeur locative, toutefois pas pour la résidence habituelle (art. 85 al. 1 de la Loi 35/2006). Il convient donc de partir du principe qu’une telle imposition existe en Espagne.

 Les recourants soutiennent en revanche à tort que l’imposition forfaitaire résultant de l’information du 1er février 1991 ne trouve application que lorsque le pays de situation de l’immeuble ne connaît pas l’imposition de la valeur locative. 

En effet, l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021 (consid. 6.6) précise que le fait que le Tribunal fédéral ait estimé que le recours à la méthode de calcul forfaitaire prévu par l’information du 1er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative n’excluait pas que cette méthode puisse aussi trouver application lorsque le pays connaît une telle imposition. Dans ce dernier cas, le recours à une telle méthode semblait en particulier pertinent si la valeur locative obtenue en application des règles de l’état de situation de l’immeuble ne permettait pas de respecter les exigences légales et jurisprudentielles imposées par le droit interne suisse et cantonal, notamment en matière de respect des conditions locales et de limites à respecter par rapport au loyer du marché.

 En l’occurrence, du moment que le calcul de la valeur locative déclarée par les recourants pour leur immeuble en Espagne n’a, à l’instar de celui qui était en cause dans l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021, pas fait l’objet d’un examen de conformité au droit suisse et cantonal tel que rappelé ci-dessus et que le canton de Genève, qui dispose à cet égard d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative, retient la même valeur pour l’impôt cantonal et communal que pour l’impôt fédéral direct, comme cela ressort de l’état de fait, il convient de renvoyer la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de statuer en tant que première instance sur ce point. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_25/2021 du 7 mai 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Donation imposable: quid de l’attribution découlant d’un “devoir moral” (art. 239 al. 3 CO)?

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L’objet du litige consiste à déterminer si l’administration cantonale des impôts genevoise (AFC-GE)  était fondée à considérer les six versements de M. C______ à la recourante, d’un montant total de CHF 190’622.- effectués entre le 29 avril 2016 et le 29 mai 2017, comme étant des donations, imposables dans le chef de la recourante en vertu de la loi genevoise sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE – D 3 30).

Selon l’art. 1 LDE, les droits d’enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans la loi comme : « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l’enregistrement ; ils sont perçus par l’administration de l’enregistrement et des droits de succession du canton de Genève (al. 1). L’enregistrement consiste à analyser et à mentionner dans un registre spécial tous actes et opérations soumis à cette formalité (al. 2). Au sens de la loi, l’expression « enregistré » ne vise que les opérations effectuées par l’administration mentionnées ci-dessus (al. 3).

L’art. 3 let. h LDE soumet obligatoirement à l’enregistrement, sous réserve des exceptions prévues par la loi, les donations et autres avantages semblables que les dispositions du titre IV assujettissent à cette obligation sous réserve des dispositions de l’art. 6 let. u et v LDE.

Selon l’art. 11 LDE, sous réserve des exceptions mentionnées aux art. 6 let. u et v, 28 et 29 al. 5 LDE, toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d’enregistrement (al. 1). Est également réputé donation, tout abandon de biens, de droits ou d’autres avantages semblables, ainsi que toute remise de dette, concédés à titre gratuit (al. 2). La différence de valeur constatée dans un acte à titre onéreux entre les prestations des parties, est présumée donation, sauf preuve contraire (al. 3).

En matière de donations de biens mobiliers, les droits ne sont exigibles que si le donateur est domicilié dans le canton de Genève (art. 12 al. 2 LDE).

L’art. 138 LDE précise que les parties sont tenues de faire enregistrer tous les actes et opérations ainsi que les déclarations de transfert et d’autres opérations dont l’enregistrement est obligatoire en application de la LDE (al. 1). Cette obligation incombe solidairement aux donateur et donataire, aux cohéritiers en matière de partage successoral et aux époux dont le régime matrimonial est modifié ou liquidé (al. 2).

Selon l’ancien art. 160 LDE, applicable jusqu’au 1er janvier 2020, tous les autres actes et opérations obligatoirement soumis à l’enregistrement en application de la loi, notamment les donations, les partages de succession, les liquidations résultant de changement de régime matrimonial, les reprises de biens, visés à l’art. 3 LDE, doivent être déposés en vue de cette formalité, dans le délai de dix jours à compter de la date de l’acte ou de l’opération.

La donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contreprestation correspondante (art. 239 al. 1 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 – Livre cinquième : Droit des obligations – CO – RS 220). La donation est un contrat unilatéral – car une seule des parties s’oblige – et un acte bilatéral, car la concordance des volontés est exigée (art. 1 et 239 CO). La concordance des volontés des parties s’exprime par la volonté des parties – du donateur et du donataire – de conclure un contrat selon lequel le donateur consent à faire une attribution à titre gratuit que le donataire est prêt à accepter. Le donateur et le donataire doivent être conscients des éléments du contrat, qui sont objectivement et subjectivement essentiels pour l’un d’eux ou pour les deux. Sans cette concordance des volontés, la donation n’est pas valable.

La donation se caractérise par un élément subjectif, la volonté du donateur de donner sans contre-prestation correspondante, et par deux critères objectifs, la diminution du patrimoine du donateur et l’enrichissement du donataire.

La volonté de donner doit se manifester par l’appauvrissement du donateur, lequel est la contrepartie de l’enrichissement du donataire.

Selon la jurisprudence, la mise à disposition de patrimoine, le caractère gratuit et la volonté de donner sont communes au droit civil et au droit fiscal (ATF 118 Ia 497 consid. 2b.aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2017 du 27 mars 2018 consid. 3.1.2). Les motifs pour lesquels les dons sont effectués (reconnaissance, générosité, devoir moral, etc.) n’exercent aucune influence sur l’assujettissement. La notion de donation peut être plus large en droit fiscal qu’en droit civil (ATF 118 Ia 497 consid. 2b.cc ; ATA/1848/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4a).

De plus, il ne peut y avoir volonté de donner lorsque la prestation n’est pas faite à titre gratuit, mais procède de l’accomplissement d’une obligation juridique, quelle qu’en soit la cause (arrêt du Tribunal fédéral 2C_703/2017 du 15 mars 2019 consid. 3.3.2).

Selon l’art. 239 CO, le fait de renoncer à un droit avant de l’avoir acquis ou de répudier une succession ne constitue pas une donation (al. 2). Il en est de même de l’accomplissement d’un devoir moral (al. 3).

La condition, objective, de la gratuité de l’attribution est réalisée lorsque le donataire ne fournit pas, pour le don, de contre-prestation en faveur du donateur.

La condition, subjective, de l’animus donandi signifie que le donateur doit avoir la conscience et la volonté d’effectuer une attribution à titre gratuit en faveur du donataire.

Selon la jurisprudence, il n’y a pas d’animus donandi lorsque la prestation n’est pas effectuée librement, mais en vertu d’une obligation juridique (ATF 146 II 6 consid. 7.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_703/2017 du 15 mars 2019 consid. 3.3.2 ; 2P.296/2005 du 29 août 2006 traduit in RDAF 2006 II 501 ; 2A.668/2004 du 22 avril 2005 consid. 3.4.3). Cette obligation juridique peut être légale, statutaire ou contractuelle. La donation doit donc avoir un caractère discrétionnaire : un donateur donne ce qu’il veut, à qui il veut et quand il le veut.

En se référant à l’art. 239 al. 3 CO, qui dispose que l’accomplissement d’un devoir moral ne constitue pas une donation, la doctrine nie aussi l’existence d’un animus donandi lorsqu’une personne effectue une prestation en accomplissement d’un devoir moral […]. Certains de ces auteurs précisent toutefois que l’existence d’un devoir moral ne doit pas être admise largement […]. À titre d’exemples de versements effectués par devoir moral, certains mentionnent les montants versés à titre d’entretien d’un ancien concubin afin de lui éviter de dépendre de l’aide sociale, ou les montants versés à un enfant par un parent qui ne serait pas lié à son égard par une obligation légale d’entretien.  

Dans une affaire qui concernait l’ancien droit cantonal bernois relatif à l’impôt sur les donations, le Tribunal fédéral a souligné que les motifs qui ont présidé à une donation, tels que la gratitude, la générosité ou l’existence d’un devoir moral, n’étaient pas pertinents pour l’assujettissement à l’impôt sur les donations, et que la disposition cantonale bernoise qui le précisait (« Die Gründe und Absichten, aus welchen die Schenkung erfolgte, üben auf die Steuerpflicht keinen Einfluss aus ») montrait seulement que la notion fiscale de donation pouvait être plus large que celle du droit civil (ATF 118 Ia 497 consid. 2b cc ).

Dans un autre arrêt, qui concernait également l’impôt sur les donations bernois, le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si l’existence d’un devoir moral pouvait être assimilée à une obligation juridique, ce qui ferait obstacle à la reconnaissance du caractère gratuit de l’attribution et, partant, à l’existence d’une donation (arrêt du Tribunal fédéral 2P.332/1999 du 4 avril 2000 consid. 3d ; aussi ATF 102 Ia 418 consid. 4c, en lien avec le droit cantonal zurichois, où le Tribunal fédéral a examiné si l’instance précédente était tombée dans l’arbitraire en considérant que les circonstances du cas d’espèce ne permettaient pas d’appliquer la jurisprudence cantonale zurichoise qui excluait l’existence d’une donation en cas de devoir moral).

Il ressort de ces arrêts que la jurisprudence n’est pas univoque quant au point de savoir si l’existence d’un devoir moral exclut ou non l’existence d’une donation sous l’angle du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_148/2020 précité consid. 7.4).

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral n’a pas tranché la question en matière de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11).

Par rapport aux libéralités en exécution d’un devoir moral (art. 239 al. 3 CO), la doctrine relève que les devoirs visés sont ceux qui s’imposent ou que le donateur ressent comme tels pour des raisons morales et éthiques.

Le devoir moral, initialement imparfait, devient un devoir juridique de par la promesse de l’honorer ou de par son exécution. Néanmoins, l’art. 239 al. 3 CO exclut l’application des règles sur la donation à ces libéralités pour inciter, par un minimum d’exigences (formelles), à l’exécution de ces obligations et pour empêcher toute révocation. Une interprétation restrictive du terme « devoir moral » et une appréciation stricte de la volonté de s’engager du donateur s’imposent par rapport à ces donations, d’une part, pour ne pas trop réduire le champ d’application de l’art. 239 et ss CO et, d’autre part, pour protéger en particulier le donateur contre les risques de tels engagements. Des auteurs regrettent cependant que ces libéralités ne soient pas soumises aux exigences de forme du contrat de donation.

La donation faite en exécution d’un devoir moral peut consister par exemple en des contributions à l’entretien de l’enfant du conjoint, en accomplissement d’un devoir moral envers le conjoint ou envers l’enfant. La rémunération d’une prestation ou d’un service qui ne doit pas être rémunéré peut être effectuée en exécution d’un devoir moral au sens de l’art. 239 al. 3 CO ou constituer une donation ordinaire.

Les donations accomplies en exécution d’un devoir moral qui lèsent les droits des créanciers du donateur peuvent faire l’objet d’une action révocatoire (art. 286 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 – LP – RS 281.1 ; art. 82 de la loi fédérale sur le contrat d’assurance du 2 avril 1908 – LCA – RS 221.229.1). Le droit fiscal connaît ses propres délimitations.

La donation en accomplissement d’un devoir moral est, pour la jurisprudence et la majorité de la doctrine, sujette aux rapports et réunions/réductions matrimoniale et successorale […].

Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a retenu que la promesse de prendre à sa charge l’amende fiscale infligée à un tiers ne constituait pas un devoir moral (ATF 79 II 151 in JdT 1954 I 112-114).

En droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s’applique. L’autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu’elle a recueillis. Cette liberté d’appréciation, qui doit s’exercer dans le cadre de la loi, n’est limitée que par l’interdiction de l’arbitraire. Il n’est pas indispensable que la conviction de l’autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu’elle découle de l’expérience de la vie et du bon sens et qu’elle soit basée sur des motifs objectifs.

En matière fiscale, il appartient à l’autorité de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d’impôts. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve, ces règles s’appliquant également à la procédure devant les autorités de recours.

En l’espèce, les sommes que la recourante a reçues entre le 29 avril 2016 et le 29 mai 2017 pour un montant total convertis de CHF 190’622.- sont venues accroître son patrimoine sans contrepartie et représentent de ce fait a priori une donation soumise aux droits d’enregistrement au sens de la LDE.

Même s’il ressort de l’attestation signée par M. C______ le 6 décembre 2016 qu’il a effectué ces versements dans le cadre d’une « réparation et dédommagement des préjudices » que la recourante avait pu avoir subi par la faute de l’intéressé, cela ne suffit pas à exclure l’animus donandi du donateur.

La recourante devant supporter le fardeau de la preuve en application de la jurisprudence précitée, elle devait prouver le lien de causalité entre son préjudice et les versements reçus de la part de M. C______.

Or et mis à part le document du 6 décembre 2016 signé par M. C______ dont il ne ressort pas à qui il est destiné ni pour quelles raisons il aurait causé un préjudice à sa belle-sœur, rien dans le dossier vient à l’appui de la position de la recourante. […]

Au vu de ces éléments, force est de constater que la recourante échoue à apporter la preuve que les versements opérés par M. C______ ont été effectués par devoir moral, au sens de l’art. 239 al. 3 CO, excluant ainsi la condition subjective de l’animus donandi.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice ATA/311/2021 du 09.03.2021 ; https://justice.ge.ch/apps/decis/fr/ata/show/2624140?doc=)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Avocat, moment de la réalisation du revenu indépendant, ruling

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Est litigieuse la question de savoir si le revenu de l’activité indépendante accessoire a été réalisé, au regard du droit fiscal, en 2014 ou 2015 (réalisation du revenu).

Selon l’art. 16 al. 1 LIFD, l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Le droit cantonal prévoit que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu’en soit l’origine, avant déductions (art. 17 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 – LIPP – D 3 08).

La créance d’impôt naît sitôt que les faits générateurs prévus par la loi sont réalisés. La créance fiscale prend naissance ex lege, sans aucune autre intervention extérieure. L’existence et le contenu de la créance fiscale sont fixés par la loi, raison pour laquelle dite créance est en principe irrévocable: dès l’instant où une créance fiscale est née, elle ne peut être réduite à néant par une opération destinée à effacer les faits générateurs lui ayant donné naissance. La naissance ex lege de la créance fiscale a également pour conséquence que le moment de la réalisation du revenu ne saurait dépendre de la seule volonté du contribuable; si tel était le cas, le contribuable pourrait différer et, par là, déterminer lui-même en fonction de ses convenances personnelles à quel moment ce revenu est imposable. 

Selon le principe de la périodicité de l’impôt sur le revenu, l’impôt dû pour une période fiscale donnée se calcule sur la base du revenu réalisé et des frais tombant durant cette période. Ce principe implique que l’on attribue un revenu à la période fiscale au cours de laquelle il a été réalisé (art. 41 LIFD). L’attribution d’un revenu à une période fiscale s’effectue ainsi selon le principe de la réalisation, qui y est lié.

Le revenu n’est imposable que s’il est réalisé. Cette condition essentielle constitue le fait générateur de l’imposition du revenu. La réalisation détermine le point d’entrée de l’avantage économique dans la sphère fiscale de la personne contribuable. Tant que l’avantage économique n’est pas réalisé, il demeure une expectative non – encore – imposable. Un revenu est réalisé lorsqu’une prestation est faite au contribuable ou que ce dernier acquiert une prétention ferme sur laquelle il a effectivement un pouvoir de disposition.

En règle générale, l’acquisition d’une prétention est déjà considérée comme un revenu dans la mesure où son exécution ne paraît pas incertaine. Ce n’est que si cette exécution paraît d’emblée peu probable que le moment de la perception réelle de la prestation est pris en considération. Faute de constituer une prétention ferme, une simple expectative, soit une créance soumise à une condition suspensive, ne déclenche pas l’imposition.

Dans le cas d’honoraires résultant de contrats de mandat, la prétention est acquise au moment où le mandat confié a été porté à son terme, ou, pour simplifier, au moment de la facturation. Il est aussi admis que les indépendants qui ne sont pas astreints à la tenue d’une comptabilité commerciale et qui n’en tiennent pas une peuvent choisir la méthode de l’encaissement (dite “Ist-Methode”), selon laquelle un revenu est réputé réalisé au moment de l’encaissement seulement. 

En vertu des principes de l’étanchéité des exercices et de la périodicité de l’impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome sans que le résultat d’un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées. Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d’impôts de l’année au cours de laquelle les faits justifiant l’octroi des déductions se sont produits ; plus généralement, les deux principes précités impliquent que tous les revenus effectivement réalisés, ainsi que tous les frais engagés durant la période fiscale en cause sont déterminants pour la taxation de cette période.

En l’espèce,

il n’est pas contesté que la « success fee » de l’avocat (intimé dans la présente procédure) a été versée sur le compte de l’Étude de l’intimé en 2014. Il ressort de la demande de « ruling » du 17 avril 2015 [formée par l’avocat intimé] qu’à la suite de l’accord intervenu à fin 2014, une rémunération de CHF XXX revenait à l’intimé. Dans le cadre de cet accord, il conservait CHF XXX, le reste étant réparti entre ses trois anciens associés et un collaborateur.

Dans son courrier du 8 avril 2016, l’AFC-GE a accepté de traiter les honoraires perçus en 2014, en lien avec la « success fee », comme honoraires provenant d’une activité indépendante accessoire pour chacun des quatre associés et le collaborateur concerné. Selon les explications fournies par l’intimé dans son recours au TAPI, un compte courant commercial « F______ Legal Fees Account » avait été ouvert afin de recevoir la « success fee ». En 2015, aucun crédit n’a été porté sur ce compte ; seuls des débits, essentiellement en faveur des quatre anciens associés et du collaborateur, ont eu lieu. Les relevés bancaires produits relatifs à ce compte indiquent comme seul titulaire l’intimé.

Selon le courrier de l’associé de l’intimé du 17 août 2020, une pratique existait entre les anciens associés selon laquelle en cas de perception d’une « success fee », l’associé concerné partageait le 50 % de celle-ci avec les autres associés. Début 2015, l’intimé avait toutefois approché ses anciens associés pour demander un pourcentage plus important en sa faveur. Début février 2015, les quatre anciens associés étaient tombés d’accord qu’en cas de « ruling » favorable, la part de l’intimé serait de 60 % et celle de ses anciens associés d’un tiers de 40 %, le collaborateur percevant un bonus de CHF 100’000.-. Était demeurée ouverte la question d’une « deuxième tranche à répartir » en fonction du « ruling » à intervenir. Ensuite, de nouvelles discussions avaient eu lieu en été, certains associés voulant revenir sur l’accord du mois de février 2015. Ce n’était qu’à la fin de l’année 2015 que les (anciens) associés étaient tombés d’accord d’appliquer le même pourcentage.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré que l’intimé ne disposait, en 2014, que d’une prétention incertaine sur les honoraires perçus dans le dossier E______. La part de la « success fee » revenant aux avocats genevois avait été versée sur un compte spécialement ouvert à cet effet, dont l’intimé apparaissait comme seul titulaire ; il ne subsistait donc aucune incertitude sur le paiement de la « succes fee », qui était intervenu. En outre, l’intimé a indiqué dans sa demande de « ruling » qu’à fin 2014, un accord existait selon lequel le montant de CHF XXX lui revenait. Bien que non écrite, il ressort du courrier de l’associé de l’intimé que ceux-ci pratiquaient, en cas de « success fee » versée à l’un d’eux, la règle voulant que l’associé en charge du dossier en conserve la moitié.

Certes, l’intimé n’avait pas de certitude absolue que cette règle continue à s’appliquer après le changement de structure de l’Étude dont il est associé. Toutefois, le fait qu’il ait ouvert, en 2014, un compte particulier, à son nom, pour recevoir la « success fee » témoigne de la légitimité qu’il estimait avoir de garder la maîtrise de la répartition de celle-ci et, en particulier, d’en conserver au moins la moitié selon la règle appliquée avec ses anciens associés. L’intimé est ainsi entré en possession du montant de ces honoraires particuliers en 2014 et rien ne permet de retenir que l’application de la règle selon laquelle il pouvait, après déduction des frais, en conserver la moitié serait improbable. Les discussions ont d’ailleurs porté, en ce qui le concernait, sur une part plus importante dans la « success fee » que le 50 % usuel entre les quatre anciens associés. Finalement, l’intimé a, au demeurant, effectivement perçu la moitié de la « success fee » de CHF 2’051’920.—

Ainsi, quand bien même des discussions ont pu avoir lieu entre les anciens associés, voire avec C______, aboutissant, par d’autres calculs, à ce qu’il conserve CHF XXX, l’intimé ne se trouvait pas dans une situation lui permettant de ne pas comptabiliser en 2014 sa part dans la « success fee » au titre de revenu. Sa prétention sur en tout cas la moitié de celle-ci ne paraissait pas d’emblée peu probable.

Enfin, il ne ressort pas du dossier que l’AFC-GE aurait donné des assurances au contribuable relatives au fait que son revenu d’indépendant, issu de la « success fee » perçue en 2014, serait pris en compte dans l’année fiscale 2015. L’AFC-GE a, en décembre 2015, confirmé la qualification de revenu d’une activité indépendante accessoire. Dans son courrier du 8 avril 2016, elle a confirmé le traitement fiscal « des honoraires perçus en 2014 » par les intéressés « dans le cadre de l’affaire dite E______ ». Ce courrier se référait à la demande de « ruling », qui faisait état de l’accord intervenu « fin 2014 » au sujet desdits honoraires. Ainsi, aucune assurance n’a été donnée par l’autorité fiscale selon laquelle le revenu d’indépendant serait pris en compte dans l’année fiscale 2015.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/412/2021 du 13.04.2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens

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Impôt sur les gains immobiliers, durée de la possession : revente d’un immeuble transféré par une société immobilière à l’actionnaire

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D’après l’art. 12 al. 1 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses). L’art. 12 al. 2 LHID définit les aliénations imposables. En particulier, l’art. 12 al. 2 let. a LHID prévoit que sont assimilés à une aliénation, les actes juridiques qui ont les mêmes effets économiques qu’une aliénation sur le pouvoir de disposer d’un immeuble. En outre, l’art. 12 al. 2 let. d LHID dispose qu’est également assimilé à une aliénation, le transfert de participations à des sociétés immobilières qui font partie de la fortune privée du contribuable, dans la mesure où le droit cantonal en prévoit l’imposition. Selon l’art. 12 al. 3 let. a LHID, l’imposition est différée notamment en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation. 

L’art. 12 LHID contraint les cantons à percevoir un impôt sur les gains immobiliers. Bien qu’il demeure vague sur l’aménagement de cet impôt, en particulier sur la durée de la possession, il ne leur laisse aucune liberté pour décider des cas dans lesquels l’imposition doit être différée. Ils sont en revanche libres d’adopter le barème de l’impôt sur les gains immobiliers (art. 1 al. 3 LHID), à condition d’imposer plus lourdement les bénéfices réalisés à court terme (art. 12 al. 5 LHID).

 Dans le canton de Vaud, l’impôt sur les gains immobiliers a notamment pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble, situé dans le canton, qui fait partie de la fortune privée du contribuable (art. 61 al. 1 let. a de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux [LI/VD; BLV 642.11]). Constitue une aliénation imposable tout acte qui transfère la propriété d’un immeuble, telle que la vente, l’expropriation ou la cession d’une part de propriété commune (cf. art. 64 al. 1 LI/VD), étant précisé que le transfert d’actions ou parts de sociétés immobilières est assimilé à l’aliénation de tout ou partie de l’immeuble (art. 64 al. 2 let. d LI/VD). L’imposition est différée en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation (art. 65 al. 1 let. a LI/VD). 

Pour le surplus, l’art. 66 al. 1 LI/VD dispose que le gain imposable est constitué par la différence entre le produit de l’aliénation et le prix d’acquisition augmenté des impenses. A teneur de l’art. 67 al. 1 LI/VD, le prix d’acquisition est le prix qu’avait payé l’aliénateur. Toutefois, en cas d’aliénation d’immeuble acquis lors d’une opération dont l’imposition a été différée selon l’art. 65 al. 1 let. a à c LI/VD, le précédent transfert imposé est déterminant pour fixer le prix d’acquisition et la durée de possession (art. 68 al. 1 LI/VD). En application de l’art. 71 al. 1 LI/VD, le produit de l’aliénation est le montant total des prestations pécuniaires ou appréciables en argent que l’acquéreur verse ou s’engage à verser à l’aliénateur ou à des tiers au profit de ce dernier. L’impôt est perçu selon un barème de taux dégressifs en fonction des années de possession, variant entre 30 %, pour un an de possession, et 7 %, dès 24 ans de possession (art. 72 al. 3 LI/VD). Finalement, il convient encore de mentionner l’art. 73 al. 2 LI/VD, qui prévoit que si l’immeuble aliéné a été acquis en plusieurs fois, notamment par investissements supplémentaires ou qu’il a fait l’objet de constructions ultérieures ou de transformations d’importance analogue, le gain est fractionné en fonction des différentes opérations pour calculer la durée de possession déterminant le taux applicable aux diverses parties du gain.

 La prorogation de l’imposition prévue par l’art. 12 al. 3 LHID (art. 65 al. 1 LI/VD) signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. La prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive, qui serait d’ailleurs contraire à l’art. 12 LHID. L’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est provisoirement pas taxée; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable. 

Le litige porte ainsi sur le point de savoir à quel moment est intervenu l’acquisition de l’immeuble vendu par le recourant en 2012 et à quel prix, respectivement si la constitution de la propriété par étages en 2002 doit être comprise comme une situation prévue à l’art. 12 al. 3 let. a LHID, c’est-à-dire un cas de prorogation de l’imposition du gain immobilier

Lorsque le droit fiscal renvoie à des notions de droit civil, la question est de savoir si le sens donné en droit civil est aussi déterminant en droit fiscal ou si le droit fiscal doit préférer une interprétation autonome qui se fonde uniquement sur la réalité économique. La doctrine admet en règle générale que l’on peut s’écarter des définitions de droit civil lorsque des motifs fondés justifient une interprétation autonome. 

 En premier lieu on peut rappeler que, dans le canton de Vaud, lorsqu’un propriétaire d’actions d’une société immobilière faisant partie de sa fortune privée, vend ces participations, cette vente est assimilée à une aliénation imposable au titre de l’impôt sur les gains immobiliers (cf. art. 64 al. 2 let. d LI/VD; cf. également art. 12 al. 2 let. d LHID). Cette disposition prévoit ainsi la faculté d’assimiler à une aliénation le transfert d’une participation non majoritaire à une société immobilière, car, si la participation est majoritaire, l’on est en présence d’un acte juridique qui a sur le pouvoir de disposer d’un immeuble les mêmes effets économiques qu’une aliénation, situation qui est déjà visée par l’art. 12 al. 2 let. a LHID (cf. arrêt 2C_906/2010 du 31 mai 2012 consid. 6.1). 

 En l’occurrence, le recourant, ensemble avec son frère et sa mère, a hérité des actions de la société immobilière à la mort de son père, le 29 décembre 1997. Sa mère était en outre usufruitière de l’ensemble des biens successoraux. Dans la mesure où les actions en cause ont changé de propriétaire, il s’agissait là d’un acte assimilé à une aliénation, au sens de l’art. 64 al. 2 let. d LI/VD, respectivement 12 al. 2 let. d LHID, conduisant à une imposition de l’éventuel gain immobilier. Néanmoins, ce transfert de propriété étant intervenu dans le cadre d’une succession, l’imposition devait être différée. Par la suite, le 26 février 2002, le recourant et son frère, sans leur mère, ont acheté à la société immobilière deux lots de propriété par étages. Ils se sont acquittés d’un montant de 319’853 fr. 35 et ont été inscrits comme copropriétaires au registre foncier. Ces lots correspondaient à l’appartement et au garage d’ores et déjà utilisés par leur mère en tant qu’usufruitière des actions. 

Le recourant cherche à expliquer que, si le transfert économique au sens des art. 12 al. 2 let. a LHID, respectivement 64 al. 2 let. f LI/VD constitue également une aliénation lorsque la propriété juridique sur l’immeuble reste inchangée, le transfert de propriété juridique ne vaut cependant pas aliénation lorsque la propriété économique sur le bien n’est pas transférée, car le pouvoir de disposition sur celui-ci n’est pas modifié. Dans l’arrêt 2C_714/2019 du 30 janvier 2020 consid. 5.3, le Tribunal fédéral a certes envisagé cette solution, expliquant néanmoins que, lors du précédent transfert économique, aucun impôt sur les gains immobiliers n’avait été perçu, ce qui excluait toute situation de double imposition. Il en va différemment en l’espèce, car lorsque le père du recourant a acheté ses actions en 1987, un impôt sur le gain immobilier a été prélevé, vraisemblablement en application de l’art. 64 al. 2 let. d LI/VD (dans sa version en vigueur à l’époque). La société d’actionnaires-locataires représentait alors un ersatz historique à l’actuel propriété par étages, inconnue du CC et qui donnait aux actionnaires un droit d’habitation. C’est d’ailleurs dans le but d’encourager la disparition de cette forme de propriété indirecte, au profit de la propriété directe, telle la propriété par étages, qu’a été introduit l’art. 207 LIFD (RS 642.11; cf. art. 269 LI/VD), qui prévoit une réduction de l’impôt en cas de liquidation de sociétés immobilières. L’art. 207 al. 4 LIFD (cf. art. 269 al. 4 LI/VD), dispose ainsi que lorsque l’actionnaire acquiert d’une société immobilière d’actionnaires-locataires, en propriété par étages et contre cession de ses droits de participation, la part de l’immeuble dont l’usage est lié aux droits cédés, l’impôt sur le bénéfice en capital réalisé par la société est réduit de 75 % si la société a été fondée avant le 1er janvier 1995. En outre, le transfert de l’immeuble à l’actionnaire doit être inscrit au registre foncier au plus tard au 31 décembre 2003. A ces conditions, l’impôt sur l’excédent de liquidation obtenu par l’actionnaire est réduit dans la même proportion.

Le recourant explique ensuite que la masse successorale a toujours eu la possession du bien immobilier. Il perd toutefois de vue que, même si le droit cantonal mentionne effectivement “durée de possession” (cf. par exemple art. 67 al. 5 LI/VD), l’acte générateur de l’impôt est bel et bien le transfert de propriété (cf. art. 64 al. 1 LI/VD). De plus, le transfert de la propriété immobilière, sauf exception, nécessite une inscription au registre foncier (cf. art. 656 al. 1 CC). C’est cette inscription qui est en principe déterminante pour la durée de possession de l’immeuble. Or, en l’espèce, on doit constater qu’en février 2002, par acte notarié, la propriété des deux lots de propriété par étages a été transférée. Elle est passée de la société immobilière au recourant et à son frère, qui ont été inscrit comme copropriétaires au registre foncier. Certes, la mère de ceux-ci, qui vivait déjà dans l’appartement objet de la vente, y est restée. Elle n’a néanmoins jamais été propriétaire de ce bien, mais en jouissait en tant qu’usufruitière, statut qu’elle a maintenu à la suite de l’achat de l’appartement par ses deux enfants. En outre, à l’instar de ce qu’a jugé le Tribunal cantonal et contrairement à ce qu’affirme le recourant, ce transfert de propriété n’est pas intervenu par succession, dès lors que ni le défunt, ni a fortiori la masse successorale n’ont jamais été propriétaires des deux lots en cause. Le fait que l’acquisition ait été faite en partie avec une créance de la masse successorale n’y change rien. C’est uniquement la société immobilière qui était propriétaire avant le recourant et son frère. D’une manière plus générale, on peut considérer que, comme l’affirme la doctrine à ce propos, lorsque l’immeuble est détenu par une société immobilière et que celle-ci le transfère à un actionnaire, en cas de revente, ce dernier ne pourra pas bénéficier des années de possession pendant lesquelles il était actionnaire mais non inscrit comme propriétaire au registre foncier (ANNE-CHRISTINE SCHWAB, op. cit., n. 415; dans ce sens également, ATF 126 V 83 consid. 2d p. 87). Dans le cas d’espèce, les éléments qui précèdent conduisent donc à retenir qu’en février 2002, les deux lots de propriété par étages ont été acquis par le recourant et son frère, hors de toute situation donnant lieu à un report de l’imposition du gain immobilier. C’est par conséquent à juste titre que le Tribunal cantonal a retenu le 26 février 2002 comme date pertinente pour calculer la durée de possession du bien, revendu le 28 février 2012.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_459/2020 du 19 janvier 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

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Impôt sur les gains immobiliers, durée de la possession en cas de donation d’un immeuble issu de la fortune commerciale

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L’impôt sur les gains immobiliers est un impôt cantonal, harmonisé à l’art. 12 LHID. Dans le canton de Genève, il est régi aux art. 80 ss de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP; RS/GE 3 05). Le canton de Genève prélève l’impôt sur les gains immobiliers non seulement sur les gains réalisés lors de l’aliénation d’immeubles privés, comme l’exige l’art. 12 al. 1 LHID, mais aussi sur ceux réalisés lors de l’aliénation d’immeubles commerciaux, comme le permet l’art. 12 al. 4 LHID (cf. art. 80 al. 1 LCP). Dans ce cas toutefois, et conformément à l’art. 12 al. 4 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers est imputé sur l’impôt sur le revenu, respectivement sur le bénéfice (système dit mixte ou matériellement dualiste).

Dans le canton de Genève, le transfert d’un immeuble de la fortune commerciale à la fortune privée d’une personne physique est donc soumis à l’impôt sur les gains immobiliers. Ce cas d’imposition est du reste expressément prévu à l’art. 80 al. 5 LCP. Comme le revenu provenant de cette réalisation systématique représente un produit d’activité indépendante soumis à l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les gains immobiliers est imputé sur l’impôt sur le revenu, ou remboursé pour la part qui excède celui-ci (art. 42 LIPP). La notion de fortune commerciale, définie dans le contexte de l’impôt sur le revenu à l’art. 8 al. 2 LHID en droit harmonisé (et reprise en droit genevois à l’art. 19 al. 3 LIPP), est la même que celle qui prévaut dans le domaine de l’impôt sur les gains immobiliers.

 Selon l’art. 12 al. 2 LHID, toute aliénation d’immeubles est imposable. Conformément à l’art. 12 al. 5 LHID, le droit genevois prévoit des taux d’impôt dégressifs en fonction de la durée de possession de l’immeuble (art. 84 LCP). En particulier, un taux de 10% s’applique lorsque la durée de possession est de 10 ans au moins, mais de moins de 25 ans, et un taux de 0% s’applique au-delà d’une durée de possession de 25 ans (art. 84 al. 1 let. f et g LCP). 

L’imposition est toutefois différée (selon la terminologie genevoise: “prorogée”) dans certaines situations, notamment en cas de transfert de la propriété par donation (art. 12 al. 3 let. a LHID; art. 81 al. 1 let. b LCP). Le différé d’imposition, obligatoire pour les cantons, signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu. L’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est provisoirement pas taxée; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable. En droit genevois, l’art. 82 al. 3 LCP précise que, lors de l’aliénation d’un immeuble acquis par un transfert justifiant la prorogation de l’imposition, le prix d’acquisition est celui de la dernière aliénation soumise à l’impôt, qui est aussi déterminante pour fixer la durée de possession.

 La donation d’un élément de la fortune commerciale implique son passage préalable dans la fortune privée du donateur. Ce transfert est soumis à l’impôt sur les gains immobiliers dans le canton de Genève. La donation, qui donne obligatoirement lieu au report d’imposition, est donc immédiatement précédée d’un transfert qui est soumis à l’impôt sur les gains immobiliers dans le canton de Genève. Il en découle que, si cet immeuble fait ensuite l’objet d’une aliénation imposable, c’est la date du transfert de la fortune commerciale à la fortune privée du donateur, préalable à l’acte de donation, qui est déterminante pour fixer la durée de possession et partant le taux de l’impôt sur les gains immobiliers. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_501/2020 du 15 mars 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

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Double imposition intercantonale et révision

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Le litige porte sur le point de savoir si les décisions de taxation vaudoises des neuf fondations pour les périodes fiscales 2006 à 2010 peuvent être remises en cause par le biais de la révision, à la suite des nouvelles répartitions intercantonales et décisions de taxation établies par le Service des contributions valaisan en date du 25 juillet 2014 en remplacement de celles qu’il avait effectuées entre 2009 et 2011.

La recourante (= la contribuable) ne conteste pas que les décisions de taxation vaudoises en cause sont entrées en force; tel est, au demeurant, également le cas des décisions de taxations valaisannes susmentionnées.

La recourante avance que les conditions d’une “révision d’office” par l’Office d’impôt des personnes morales de ses décisions de taxation entrées en force étaient remplies, après que le Service des contributions valaisan eut modifié les siennes et en eut établi de nouvelles, à savoir celles du 25 juillet 2014. Elle décrit, dans ce cadre, les règles de répartition intercantonales applicables et mentionne les précisions apportées par la circulaire n°16 du 31 août 2001 de la Conférence suisse des impôts sur l’Ordonnance du Conseil fédéral du 9 mars 2001 sur l’application de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs dans les rapports intercantonaux sur la façon dont procèdent les cantons concernés par une répartition intercantonale. L’intéressée ne cite néanmoins aucune disposition qui prévoirait une telle “révision d’office” ou une obligation à cet égard pour le canton dans lequel le contribuable est assujetti de façon limitée ou encore un éventuel droit correspondant pour le contribuable. En outre, comme le souligne l’autorité intimée, la révision anticipée de taxations, qui repose sur la participation volontaire des administrations cantonales, est réservée aux affaires claires ne prêtant pas à contestation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Partant, le grief tombe à faux. 

 En revanche, la recourante mentionne les art. 51 al. 1 LHID et 203 al. 1 de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux (LI; RS/VD 642.11) et estime qu’une double imposition intercantonale peut constituer un motif de révision. 

 L’art. 51 LHID prévoit: 

1 Une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office: 

a. lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts;

b. lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître, ou qu’elle a violé de quelque autre manière une règle essentielle de procédure;  (…)

3 La demande de révision doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision, mais au plus tard dans les dix ans qui suivent la notification de la décision ou du prononcé. 

L’art. 203 LI traitant des motifs de révision et l’art. 204 LI concernant le délai pour déposer une demande de révision ont une teneur similaire.

Le point de savoir si une double imposition effective constitue un motif de révision peut rester ouvert pour la raison suivante :

Selon les art. 51 al. 3 LHID et 204 LI, une demande de révision doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision. La recourante prétend, à cet égard, que le motif de révision découle des nouvelles décisions de taxation valaisannes du 25 juillet 2014. Selon elle, ces décisions sont entrées en force au plus tôt le 25 août 2014 et cette date est donc déterminante pour calculer le délai de 90 jours: avant l’entrée en force de celles-ci, il n’y avait pas encore de double imposition intercantonale et elle pouvait escompter recevoir dans les 30 jours dès leur notification des décisions de taxation vaudoises rectifiées; l’intéressée soutient, en conséquence, que sa demande de rectification du 17 novembre 2014 a été déposée dans le délai légal de 90 jours.

Le Tribunal fédéral ne saurait suivre cette argumentation. Le prétendu motif de révision consiste dans les décisions de taxation valaisannes du 25 juillet 2014. Or, une demande de révision doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la  découverte du motif de révision. Dès lors, la découverte de ce motif coïncide avec la notification des décisions. Il n’y a aucune raison de considérer, dans le cadre de la révision, que le point de départ du délai en cause est l’entrée en force de celles-ci. En effet, l’établissement de nouvelles décisions de taxation par le fisc valaisan a eu pour effet une double imposition effective, dès lors que le fisc vaudois avait déjà taxé définitivement les fondations concernées pour les mêmes périodes fiscales. On ne voit d’ailleurs pas pour quelle raison, contrairement à ce qu’avance la recourante, le fisc vaudois aurait dû réagir dans les 30 jours suivant l’émission des nouvelles décisions de taxation valaisannes. Ce délai est celui qui s’applique aux contribuables qui entendent déposer une réclamation à l’encontre de telles décisions et ne concerne pas les autorités fiscales. 

Dans le cadre de son argumentation, la recourante mentionne la date du 25 août 2014 comme constituant l’entrée en force des taxations valaisannes; cela implique qu’elle considère que le premier jour du délai de réclamation est le 28 juillet 2014 et, partant, que celles-ci ont été notifiées le 27 juillet 2014. Certes, la recourante fait état d’une entrée en force le 25 août 2014 “au plus tôt”. Cela étant, il appartient au requérant d’établir les circonstances déterminantes pour la vérification du respect du délai. En conséquence de ce qui précède, en requérant la “rectification” des décisions de taxation vaudoises seulement le 17 novembre 2014, la recourante n’a pas agi en temps utile, c’est-à-dire dans les 90 jours après la découverte du prétendu motif de révision.

D’autre part, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le recours est dirigé exclusivement contre la décision d’un canton, le Tribunal fédéral n’examine pas d’office si les taxations concurrentes qui n’ont pas été attaquées violent également l’interdiction de la double imposition. Le Tribunal fédéral considère cependant que le contribuable qui forme un recours pour double imposition ne veut pas être imposé dans deux cantons, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que, même s’il ne le dit pas expressément, ses conclusions en annulation de l’arrêt attaqué visent également la taxation définitive de l’autre canton, sans égard au fait que les instances cantonales n’ont pas été épuisées. Une telle volonté doit toutefois ressortir, à tout le moins implicitement, de la motivation du recours. Or, in casu, la recourante s’en prend seulement aux décisions de taxation vaudoises, à l’exclusion de celles effectuées par le canton de Valais. Elle ne remet aucunement en cause – même implicitement – celles-ci. L’intéressée se contente au contraire d’approuver la solution valaisanne, sans proposer de motivation subsidiaire, au cas où l’arrêt du Tribunal cantonal vaudois devait être confirmé par la Cour de céans. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’objet du litige porté devant le Tribunal fédéral ne peut concerner que l’imposition des fondations dans le canton de Vaud.

Invoquant l’art. 127 al. 3 Cst., la recourante reproche à l’instance précédente d’avoir violé le principe de l’interdiction de la double imposition intercantonale.

Il suffit à cet égard de constater que c’est à bon droit que les autorités fiscales du canton de Vaud, compétentes pour procéder à la taxation des fondations en raison du rattachement économique de celles-ci audit canton, ont refusé de modifier les décisions de taxation litigieuses, pour écarter le grief de la recourante. La double imposition est, en effet, le résultat du manque de diligence de la recourante, qui n’a pas non plus remis en cause, ne serait-ce qu’implicitement devant le Tribunal fédéral, les décisions de taxation valaisannes du 25 juillet 2014.

La recourante invoque encore une violation du principe de la bonne foi. Figuraient sur certaines décisions de taxation litigieuses vaudoises les mentions suivantes:

“Décision définitive sans décision canton du siège. Sans changement. Taxation définitive sur la base des éléments déclarés. En cas de modification ultérieure de vos éléments par le canton du siège, une nouvelle décision pourra être rendue” ou “Sans changement. Taxation sur la base des éléments déclarés. En cas de modification ultérieure de vos éléments par le canton du siège, une nouvelle décision pourra être rendue”.

Cette réserve lui aurait fait croire que le fisc vaudois allait modifier les décisions de taxation, compte tenu de la nouvelle répartition intercantonale émise par le Service des contributions valaisan.

 Découlant directement de l’art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Le principe de la bonne foi régit aussi les rapports entre les autorités fiscales et les contribuables; le droit fiscal est toutefois dominé par le principe de la légalité, de telle sorte que le principe de la bonne foi ne saurait avoir qu’une influence limitée, surtout s’il vient à entrer en conflit avec le principe de la légalité. 

 Il faut tout d’abord noter que ce texte est pour le moins laconique et qu’il est hasardeux de la part du contribuable de s’en contenter pour prétendre, par la suite, à la modification de décisions de taxation entrées en force. Ce libellé nécessite, en effet, une interprétation et il n’en ressort aucunement que l’administration fiscale se serait engagée à réviser des décisions dans le complexe de faits ressortant du présent cas. Quoi qu’il en soit, le Tribunal fédéral constate que ces mentions ne contiennent aucune garantie quant à une révision des décisions en cause, puisqu’elles sont rédigées en la forme potestative; cet élément conduit à conclure que la recourante ne peut rien en tirer sous l’angle du principe de la bonne foi. Dès lors, le grief relatif à la violation de ce principe tombe à faux. 

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_398/2020 du 5 février 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Valeur locative d’un bien immobilier en Espagne

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Les recourants, domiciliés à Genève, sont assujettis à l’impôt dans ce pays (art. 3 al. 1 LIFD; art. 3 LHID) de manière illimitée (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 de la loi genevoise du 27 septembre 2009 sur l’imposition des personnes physiques [LIPP; RS/GE D 3 08]). Cet assujettissement ne s’étend pas à leur immeuble situé à l’étranger (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 LIPP). En tant qu’élément imposable en Suisse (art. 21 al. 1 let. b LIFD; art. 7 al. 1 LHID; art. 24 al. 1 let. b LIPP), la valeur locative de cet immeuble entre toutefois en considération pour la détermination du taux d’imposition des contribuables, tant pour l’IFD que pour l’ICC (exemption sous réserve de progressivité; art. 7 al. 1 LIFD; art. 6 al. 1 LIPP). 

La Convention du 26 avril 1966 entre la Suisse et l’Espagne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (CDI CH-ESP; RS 0.672.933.21) ne s’oppose pas à ce qui précède. En effet, elle prévoit que la Suisse exempte de l’impôt les revenus ou la fortune qui proviennent des biens immobiliers sis en Espagne, mais qu’elle conserve toutefois la possibilité d’en tenir compte dans la fixation du taux d’imposition, en appliquant “le même taux que si les revenus ou la fortune en question n’avaient pas été exemptés” (art. 23 al. 2 let. a, en lien avec l’art. 6 al. 1 CDI CH-ESP).

 Dans le cas présent, les recourants ne contestent à juste titre pas le principe de la prise en considération de la valeur locative de leur maison située en Espagne pour la détermination de leur taux d’imposition, tant en matière d’IFD que d’ICC, pour l’année fiscale 2012. Ils critiquent uniquement la méthode de calcul choisie par l’Administration fiscale, suivie en cela par la Cour de justice, pour établir le montant de la valeur locative de cet immeuble pour ladite année, en lui reprochant d’avoir pris en compte une méthode de calcul forfaitaire, réservée selon eux aux immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas le concept de la valeur locative, en lieu et place des critères fixés par le droit espagnol. Le litige se limite à cet objet. 

 L’art. 21 al. 2 LIFD prévoit que la valeur locative est déterminée compte tenu des conditions locales et de l’utilisation effective du logement au domicile du contribuable. Selon cette disposition et la jurisprudence en matière d’impôt fédéral direct, la valeur locative doit être estimée à la valeur du marché (cf. art. 16 al. 2 in fine LIFD), en prenant en considération les conditions locales, étant relevé qu’une certaine marge subsiste. La valeur locative doit ainsi correspondre au montant que le propriétaire ou le détenteur des droits de jouissance devrait payer sur le marché pour pouvoir occuper le bien immobilier dans les mêmes conditions. L’art. 21 al. 2 LIFD n’impose pas de méthode de calcul déterminée de la valeur locative, mais la valeur locative retenue par le canton en matière d’impôt fédéral direct ne doit pas se situer en deçà du 70 % de la valeur du marché (ATF 123 II 9 consid. 4b p. 14 s.; arrêt 2C_1/2019 du 16 janvier 2020 consid. 7.1 et autres références citées). 

 En matière d’impôt cantonal et communal, l’art. 7 al. 1 LHID oblige expressément les cantons à imposer la valeur locative des immeubles, mais ne pose pas d’exigences allant au-delà des limites fixées par les normes constitutionnelles, en particulier par le principe d’égalité de traitement entre les propriétaires et les locataires (art. 8 al. 1 Cst.) et les principes fiscaux ancrés à l’art. 127 al. 2 Cst., s’agissant de la détermination de cette valeur. Dans cette mesure, l’impôt fédéral direct et les impôts cantonaux ne connaissent pas d’harmonisation verticale. La LHID n’impose pas aux cantons de méthode déterminée pour le calcul de la valeur locative en matière d’ICC. Les cantons jouissent donc d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative, y compris pour les immeubles se situant à l’étranger. Celle-ci doit correspondre au prix du marché, mais peut notamment être fixée à une valeur inférieure dans la mesure où, dans le cas concret, elle ne passe pas en-dessous de la limite fixée à 60 % du loyer du marché. Savoir si un État étranger connaît un principe de valeur locative équivalent à la notion suisse se détermine selon le droit suisse. Pour pouvoir être prise en compte, la valeur locative étrangère doit ainsi respecter les standards suisses. 

En pratique et lorsque cela est possible, la valeur locative cantonale complète est valable pour l’établissement de la valeur locative de l’IFD (cf. Administration fédérale des contributions, L’imposition de la valeur locative, in Informations fiscales, Conférence suisse des impôts éd., mars 2015 [ci-après: Information de mars 2015] p. 12 note 10).

Répondant aux obligations imposées par l’art. 7 al. 1 LHID, le législateur genevois a édicté l’art. 24 al. 1 let. b et 2 LIPP. L’art. 24 al. 2 LIPP définit la notion de valeur locative et à la teneur suivante : 

“La valeur locative est déterminée en tenant compte des conditions locales. Le loyer théorique des villas et des appartements en copropriété par étage occupés par leur propriétaire est fixé en fonction notamment de la surface habitable, du nombre de pièces, de l’aménagement, de la vétusté, de l’ancienneté, des nuisances éventuelles et de la situation du logement […]”.

L’art. 8 du règlement genevois du 13 janvier 2010 d’application de la loi sur l’imposition des personnes physiques (RIPP; RS/GE D 03 08.01) prévoit que la valeur locative du logement du contribuable dans sa propre maison doit être déterminée en fonction des loyers usuels pratiqués dans la localité pour des logements semblables. Le législateur genevois a ainsi choisi de se baser sur des critères objectifs.

Dans le but d’uniformiser l’imposition de la valeur locative, l’Administration fédérale des contributions a édicté des directives (cf. circulaire du 25 mars 1969 concernant la détermination du rendement locatif imposable des maisons d’habitation [ci-après: circulaire du 25 mars 1969], Archives 38 p. 121 ss; l’abrogation de cette circulaire fin 2009 n’empêche pas son application à des périodes fiscales postérieures; cf. arrêt 2C_843/2016 précité du 31 janvier 2019 consid. 2.2.5 et 3.4). Selon ces directives, la valeur locative se détermine en principe d’après une procédure d’estimation individuelle ou sur la base d’estimations cantonales, pour autant que celles-ci existent et aient été effectuées selon des règles uniformes,

Se fondant sur l’information du 1er février 1991, l’Administration fiscale a pour pratique d’estimer la valeur locative des immeubles situés dans un pays qui ne connaît pas l’imposition de la valeur locative, à 4,5 % de la valeur fiscale du bien (villa ou appartement en PPE). Le taux de 4,5 % tient déjà compte d’une déduction forfaitaire de 25 % de la valeur locative brute pour les frais d’entretien, qui ne peuvent donc être déduits. L’information du 1er février 1991 ne distingue pas les immeubles selon qu’ils sont situés en Suisse ou à l’étranger, précisant uniquement que, pour ces derniers, le rendement (ou la valeur locative) ne sera pris (e) en considération que pour déterminer le taux d’imposition. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la méthode de calcul forfaitaire prévue par l’information du 1 er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative (cf. arrêts 2C_137/2019 du 23 janvier 2020 consid. 6.2; 2C_829/2016 du 10 mai 2017 consid. 7 ss). 

Les recourants se plaignent d’établissement arbitraire du droit étranger (art. 9 cst.). Ils reprochent à l’autorité précédente d’avoir considéré, en dépit des documents qu’ils ont produit prouvant le contraire, que l’Espagne ne connaissait pas un principe de valeur locative équivalent à la notion suisse. 

 La Cour de justice, se fondant sur un arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2020 (2C_137/2019), a retenu que l’Espagne était un pays n’imposant pas la valeur locative et que partant l’Administration fiscale avait à juste titre utilisé la méthode de calcul forfaitaire prévue par l’information du 1er février 1991. 

 En l’occurrence, on peut certes lire au consid. 5 de l’arrêt 2C_137/2019 précité que l’Espagne ne connaît pas l’imposition de la valeur locative. Toutefois, dans cet arrêt, qui concernait également un contribuable genevois disposant d’un immeuble en Espagne, la question de l’existence du principe de valeur locative dans ce pays n’était pas litigieuse. Le litige portait sur la déduction des frais immobiliers effectifs liés notamment à cet immeuble dans le calcul du revenu déterminant le taux d’imposition. Dans cet arrêt, la mention que l’Espagne ne connaissait pas ce type d’imposition reposait uniquement sur le fait que le recourant n’avait pas contesté cet élément et qu’il avait même expressément indiqué en cours de procédure à l’Administration fiscale que ce pays n’imposait pas la valeur locative pour les biens immobiliers à usage propre (arrêt 2C_137/2019 précité let. B.b). Le Tribunal fédéral n’a donc pas tranché cette question, faute de grief soulevé à cet égard et en raison du fait que le droit étranger, sauf exception (cf. art. 16 LDIP), ne doit pas être établi d’office. 

Pris dans sa globalité, et en dépit de la formulation, en cela regrettable, de son consid. 5, l’arrêt 2C_137/2019 ne permettait pas de se dispenser d’examiner la question de savoir si l’Espagne connaissait le concept d’imposition de la valeur locative, en particulier sur le vu des éléments invoqués par les recourants. En effet, il ressort clairement de l’information de mars 2015 (p. 7 et 31), ainsi que de l’article paru dans la Revue internationale de droit comparé (RIDC 3-2013 p. 749), qui se réfère à l’art. 85 de la loi espagnole 35/2006 de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques et de la modification partielle des lois des impôts sur les sociétés, des revenus des non-résidents, et du patrimoine (ci-après: Loi 35/2006), que l’Espagne connaît une imposition de la valeur locative, toutefois pas pour la résidence habituelle (art. 85 al. 1 de la Loi 35/2006). Dans l’arrêt en cause, le Tribunal fédéral n’a aucunement pris en considération ces éléments. Sur le point de savoir si une telle imposition existe en Espagne, l’arrêt attaqué est, sur le vu de ce qui précède, erroné.

Cela étant, le constat que ce pays connaît le concept d’imposition de la valeur locative ne permet pas encore de conclure à l’invalidité du recours à la méthode forfaitaire en cause. 

Le droit fédéral n’impose pas de méthode déterminée pour le calcul de la valeur locative. Il n’apparaît pas que la législation cantonale le prévoit et les recourants ne se plaignent pas d’application arbitraire du droit cantonal sur ce point. Le fait que le Tribunal fédéral ait estimé que le recours à la méthode de calcul forfaitaire prévu par l’information du 1 er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative n’exclut pas que cette méthode puisse aussi trouver application lorsque le pays connaît une telle imposition. Dans ce dernier cas, le recours à une telle méthode semble en particulier pertinent si la valeur locative obtenue en application des règles de l’État de situation de l’immeuble ne permet pas de respecter les exigences légales et jurisprudentielles imposées par le droit interne suisse et cantonal, notamment en matière de respect des conditions locales et de limites à respecter par rapport au loyer du marché. 

Par ailleurs, contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal administratif de première instance, il s’agit dans le cas présent d’appliquer le droit suisse en matière d’imposition de la valeur locative, en examinant au préalable une question de droit étranger. Cet examen ne porte aucunement atteinte à la souveraineté de l’Espagne et les autorités suisses ne sont pas liées par la valeur locative retenue par les autorités espagnoles.

Sur le vu de ces éléments, il s’agit donc encore dans le cas présent d’examiner si la valeur locative calculée selon les critères du droit espagnol respecte les exigences susmentionnées. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de statuer en tant que première instance sur ce point; cela vaut d’autant plus que les cantons disposent d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative.

Les considérants relatifs à l’ICC valent pour l’IFD, dès lors que la valeur locative calculée sur la base des dispositions cantonales a aussi été utilisée pour cet impôt.

Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission du recours, tant en matière d’IFD que d’ICC. L’arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour de justice pour qu’elle procède au sens des considérants et rende une nouvelle décision. En particulier, il lui appartiendra d’examiner si l’application de la méthode forfaitaire selon l’information du 1 er février 1991 reste applicable en dépit de la connaissance par l’Espagne d’un concept de valeur locative. 

(Arrêt du tribunal fédéral 2C_486/2020 du 19 janvier 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Contributions d’entretien pour enfants, déductions, barèmes

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L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques (art. 16 al. 1 LIFD). Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 à 33a LIFD (art. 25 LIFD). 

 L’art. 33 LIFD contient une liste de déductions générales que le contribuable peut soustraire de son revenu. Pour sa part, l’art. 34 LIFD prévoit diverses déductions sociales permettant d’adapter (de manière schématique) la charge d’impôt à la situation personnelle et économique particulière de chaque catégorie de contribuables conformément au principe de l’imposition selon la capacité économique. Finalement, l’art. 36 LIFD traite des barèmes d’imposition. 

 Ainsi, conformément à l’art. 33 al. 1 let. c LIFD, sont déductibles du revenu, les contributions d’entretien versées à l’un des parents pour les enfants sur lesquels il a l’autorité parentale, à l’exclusion toutefois des prestations versées en exécution d’une obligation d’entretien ou d’assistance fondée sur le droit de la famille. 

L’art. 33 al. 1 let. g LIFD prévoit pour sa part que sont déduits du revenu, les versements, cotisations et primes d’assurances-vie, d’assurances-maladie, d’assurances-accidents n’entrant pas dans le champ d’application de la let. f (qui a trait aux déductions pour les primes et cotisations versées en vertu de la réglementation sur les allocations pour perte de gain, des dispositions sur l’assurance-chômage et l’assurance-accidents obligatoire), ainsi que les intérêts des capitaux d’épargne du contribuable et des personnes à l’entretien desquelles il pourvoit, jusqu’à concurrence d’un montant global de 3’500 fr. pour les époux vivant en ménage commun (ch. 1) ou de 1’700 fr. pour les autres contribuables (ch. 2).

En outre, l’art. 33 al. 1 let. h LIFD dispose que sont également déductibles du revenu, les frais provoqués par la maladie et les accidents du contribuable ou d’une personne à l’entretien de laquelle il subvient, lorsque le contribuable supporte lui-même ces frais et que ceux-ci excèdent 5 % des revenus imposables diminués des déductions prévues aux art. 26 à 33 LIFD.

A teneur de l’art. 33 al. 1bis let. b LIFD, les déductions prévues à l’art. 33 al. 1 let. g LIFD sont augmentées de 700 fr. pour chaque enfant ou personne nécessiteuse pour lesquels le contribuable peut faire valoir la déduction prévue à l’art. 35 al. 1 let. a ou b LIFD (cf. consid. 4.3 ci-dessous).

Finalement, l’art. 33 al. 3 LIFD prévoit qu’un montant de 10’100 fr. au plus par enfant dont la garde est assurée par un tiers est déduit du revenu si l’enfant a moins de 14 ans et vit dans le même ménage que le contribuable assurant son entretien et si les frais de garde documentés ont un lien de causalité direct avec l’activité lucrative, la formation ou l’incapacité de gain du contribuable.

 En plus des diverses déductions générales de l’art. 33 LIFD présentées ci-dessus, des déductions sociales, qui sont fixées en fonction de la situation du contribuable à la fin de la période fiscale ou de l’assujettissement (cf. art. 35 al. 2 LIFD), sont également déduites du revenu. Le contribuable peut ainsi déduire 6’500 fr. pour chaque enfant mineur ou faisant un apprentissage ou des études, dont le contribuable assure l’entretien; lorsque les parents sont imposés séparément, cette déduction est répartie par moitié s’ils exercent l’autorité parentale en commun et ne demandent pas la déduction d’une contribution d’entretien pour l’enfant selon l’art. 33 al. 1 let. c LIFD. 

 Le barème ordinaire d’imposition est fixé à l’art. 36 al. 1 LIFD. L’art. 36 al. 2 LIFD prévoit un barème réduit, plus favorable, applicable aux époux vivant en ménage commun. Finalement, l’art. 36 al. 2bis LIFD dispose que le barème réduit de l’art. 36 al. 2 LIFD s’applique par analogie aux époux vivant en ménage commun et aux contribuables veufs, séparés, divorcés ou célibataires qui vivent en ménage commun avec des enfants ou des personnes nécessiteuses dont ils assument pour l’essentiel l’entretien. Le montant de l’impôt ainsi fixé est réduit de 251 fr. par enfant et par personne nécessiteuse. 

 Les déductions sociales et les barèmes ont pour but d’adapter – de manière schématique – la charge d’impôt à la situation personnelle et économique particulière de chaque catégorie de contribuables conformément au principe de l’imposition selon la capacité économique de l’art. 127 al. 2 Cst. Ce sont autant d’ajustements légaux de la charge fiscale qui montrent que le législateur fédéral a distingué les catégories de contribuables en fonction de leur capacité économique de façon à établir entre elles et, sous cet angle restreint, une certaine égalité de traitement. 

La réglementation légale en matière de déductions comprend nécessairement un certain schématisme en raison de la multiplicité des situations individuelles à considérer, ce qui est toutefois, de manière générale, compatible avec les principes ancrés à l’art. 127 Cst. Le Tribunal fédéral a retenu à plusieurs reprises qu’il n’est pas réalisable, pour des raisons pratiques, de traiter chaque contribuable de façon exactement identique d’un point de vue mathématique et que, de ce fait, le législateur est autorisé à choisir des solutions schématiques. S’il n’est pas possible de réaliser une égalité absolue, il suffit que la réglementation n’aboutisse pas de façon générale à une charge sensiblement plus lourde ou à une inégalité systématique à l’égard de certaines catégories de contribuables. A cela s’ajoute que les possibilités de comparer les différentes situations restent limitées et qu’en cherchant à résoudre une inégalité, il existe un risque d’en créer de nouvelles.

 Dans l’ATF 133 II 305, le Tribunal fédéral, se fondant sur l’ancienne Circulaire n° 7 du 20 janvier 2000 de l’Administration fédérale des contributions, a jugé que, lorsque l’un des parents verse une pension alimentaire à l’autre, l’assimilation de cette pension aux ressources du parent qui la reçoit aux fins d’entretien de l’enfant désigne ce dernier comme le contribuable qui assure l’entretien de l’enfant. En l’absence de pension alimentaire, le Tribunal fédéral a considéré qu’il convenait de distinguer selon que la garde alternée est d’importance égale ou différente. Lorsque la garde alternée est d’importance inégale, il convient d’accorder la déduction sociale pour enfant et celle pour assurances, qui lui est légalement liée, au parent qui exerce la garde la plus importante, puisque celui-ci subvient par ses propres moyens à la plus grande part de l’entretien de l’enfant. 

 Dans l’ATF 141 II 338, le Tribunal fédéral a jugé que, dans la constellation où les époux divorcés ont l’autorité parentale conjointe, la garde alternée équivalente et où aucune contribution d’entretien n’est versée, il est supposé que le parent qui a le revenu le plus élevé contribue de manière plus importante à l’entretien de l’enfant et ce parent bénéficie du barème réduit. Lorsque cette hypothèse s’avère infondée, car les parents contribuent à l’entretien de l’enfant à parts égales en versant chacun le même montant (à cet égard, seul le jugement de divorce doit en principe être pris en compte), le barème réduit doit être accordé à celui des parents qui a le revenu le plus faible. 

 Dans tous les cas, il convient encore de relever qu’un seul parent, celui qui a l’autorité parentale (complète ou conjointe) et assure le principal de l’entretien de l’enfant par ses propres moyens ou ceux qui lui sont imputés fiscalement, soit la pension alimentaire, a droit aux abattements sociaux (sauf exception de l’art. 35 al. 1 let. a LIFD).            

En l’occurrence,

il ressort de l’arrêt entrepris que le recourant et son ancienne compagne détiennent l’autorité parentale conjointe sur leurs deux enfants. Aucune décision judiciaire n’a été rendue quant à la garde, les relations personnelles et la participation financière et d’entretien de chaque parent, le tribunal compétent ayant ratifié une convention selon laquelle ces questions étaient réglées par les parents entre eux. Selon l’autorité précédente, qui semble se fonder exclusivement sur les déclarations du recourant, celui-ci pratiquait une garde alternée sur ses enfants qui résidaient, sur une période de quatorze jours, six jours chez lui et huit jours chez leur mère. En outre, durant la période fiscale 2016 sous revue, la Cour de justice a retenu que le recourant avait alimenté, à raison de 4’675 fr., le compte commun qu’il détenait avec la mère de ses enfants, destiné au paiement des frais fixes de ceux-ci. Il ressort également de l’arrêt entrepris que le recourant percevait un salaire supérieur à celui de son ancienne compagne, sans autre précision. 

Le recourant ne conteste pas les éléments de faits tels que présentés ci-dessus. Il conteste en revanche l’appréciation juridique qu’en a fait l’autorité précédente. Pour lui, les 4’675 fr. qu’il a versés en 2016 sur le compte commun ne constituaient pas des contributions d’entretien, ces versements démontrant uniquement qu’il contribuait financièrement à l’entretien des enfants de manière prépondérante par rapport à la mère de ceux-ci, notamment en raison de son salaire plus élevé. Partant de cette absence de versement de contributions d’entretien, le recourant est d’avis qu’il a droit à deux fois 3’250 fr. de déductions sociales au sens de l’art. 35 al. 1 let. a LIFD, à la moitié des déductions prévues à l’art. 33 al. 1, 1bis et 3 LIFD et à l’application du barème pour personne célibataire avec enfants à charge de l’art. 36 al. 2bis LIFD.

 Le premier élément à déterminer est le fait de savoir si le recourant, par le versement de 4’675 fr. sur le compte commun qu’il possède avec la mère de ses enfants, en faveur de ceux-ci, s’est acquitté d’une contribution d’entretien au sens de l’art. 33 al. 1 et. c LIFD. 

A ce propos, contrairement à ce que considère en premier lieu l’autorité précédente, ces versements ne sauraient être considérés comme une telle contribution. En effet, il ressort des faits figurant dans l’arrêt entrepris que ces versements ont été effectués sur un compte commun, auquel les deux parents ont accès. Or, l’art. 33 al. 1 let. c LIFD dispose que les contributions d’entretien doivent être versées à l’un des parents pour les enfants sur lesquels il a l’autorité parentale. Ce versement donne à la personne qui l’effectue la possibilité de déduire le montant correspondant de son revenu, en application de l’art. 33 al. 1 let c LIFD. Il a en outre pour conséquence une taxation au titre du revenu auprès de la personne qui en est bénéficiaire, conformément à l’art. 23 let. f LIFD. Un tel système, dit de concordance, exclut que le versement soit effectué sur un compte sur lequel la personne qui demande la déduction pour contributions d’entretien bénéficie d’un libre pouvoir de disposition. Cela permettrait au contribuable de verser un montant, de bénéficier d’une déduction fiscale, puis de reprendre ce montant et d’en disposer librement.

Par conséquent, dans la présente cause, puisque le recourant ne s’acquitte d’aucun montant en faveur de ses enfants en mains de la mère de ceux-ci, les 4’675 fr. versés sur le compte commun en 2016 ne sauraient être considérés comme une contribution d’entretien au sens de l’art. 33 al. 1 let. c LIFD. Une telle conclusion est d’ailleurs en accord avec le fait qu’aucun jugement, ni convention n’est intervenu entre les parents prévoyant l’obligation, pour le recourant, de s’acquitter d’une telle contribution et qu’en cas de prise en charge alternée des enfants, telle qu’invoquée en l’espèce, les deux parents contribuent à l’entretien en fournissant soins et éducation, de sorte qu’en principe, il s’agit également de partager entre eux la charge des prestations pécuniaires.

 Sur le vu des considérations qui précèdent, on peut retenir qu’en l’espèce, les parents disposent de l’autorité parentale conjointe, ne s’acquittent pas de contributions d’entretien et exercent une garde alternée équivalente sur leurs enfants (le fait qu’il y ait une légère différence entre le nombre de jours de garde de la mère et celui du père n’est pas pertinent pour admettre une garde alternée). On se trouve donc dans une situation de fait semblable à celle ayant prévalu dans l’ATF 141 II 338. 

Seul reste donc litigieux le point de savoir si le recourant contribue de manière plus importante à l’entretien des enfants que la mère de ceux-ci, faute de quoi, bénéficiant d’un salaire plus élevé, il ne pourrait prétendre au barème de l’art. 36 al. 2 bis LIFD. A ce propos, le recourant affirme que le fait de s’être acquitté d’un montant de 4’675 fr. sur le compte commun démontre qu’il contribue de manière plus importante à l’entretien des enfants que la mère de ceux-ci. Il ne saurait toutefois être suivi. En effet, tout d’abord, il convient de rappeler que ce montant a été versé sur un compte commun et que rien n’indique qu’il ait effectivement été utilisé pour l’entretien des enfants. Le seul motif du versement, en l’occurrence “contribution entretien des enfants”, n’est pas suffisant à prouver cet entretien. Ensuite, et alors que le recourant supporte l’absence de preuve des faits tendant à réduire le montant de la dette fiscale, il n’a en rien démontré que le montant en cause avait été versé pour acquitter des dépenses nécessaires à l’entretien des enfants. La Cour de justice a justement mentionné à ce propos que le recourant n’avait pas produit de pièces pertinentes pour la période fiscale sous revue. 

 Compte tenu des considérants qui précèdent, on doit retenir que le recourant, percevant un revenu plus élevé que celui de la mère de ses enfants, ne saurait bénéficier du barème de l’art. 36 al. 2 bis LIFD, ni des déductions prévues à l’art. 33 LIFD, pour lesquelles, selon l’arrêt entrepris, aucun moyen de preuve pertinent n’a été produit. Cette solution, tel que cela a déjà été présenté ci-avant, n’est en aucun cas contraire au principe découlant de l’art. 127 Cst., si bien que sur ces éléments, l’arrêt contesté doit être confirmé. 

En revanche, faute d’avoir versé des contributions d’entretien durant la période fiscale 2016, déductibles en application de l’art. 33 al. 1 let. c LIFD, le recourant a droit à une demi-déduction sociale pour chacun de ses deux enfants, tel que cela est prévu par l’art. 35 al. 1 let. a LIFD. Cette disposition n’a pas été envisagée par la Cour de justice, qui a faussement nié tout droit à une demi-déduction.

 Partant, le recours en matière de droit public doit être partiellement admis dans cette dernière mesure, en tant qu’il concerne l’impôt fédéral direct pour la période fiscale 2016. Il est rejeté pour le surplus. 

 En matière d’impôts cantonal et communal, l’art. 9 al. 2 let. c, g et h LHID, respectivement les art. 32 et 33 de la loi genevoise du 27 septembre 2009 sur l’imposition des personnes physiques (LIPP/GE; RSGE D 3 08) correspondent à l’art. 33 al. 1 let. c, g et h LIFD, si bien qu’en ce qui concerne ces dispositions, il convient de se référer de manière générale aux développements qui précèdent, relatifs à l’IFD. 

 S’agissant en revanche de la question du barème (cf. art. 1 al. 3 LHID), les cantons restent compétents. Dans le canton de Genève, l’art. 41 al. 3 LIPP/GE a une teneur pratiquement identique à celle de l’art. 36 al. 2bis LIFD, si bien qu’il n’est à tout le moins pas arbitraire d’en faire une application semblable et de refuser au recourant l’application du barème réduit. 

 Finalement, quant à la question des déductions sociales, l’art. 9 al. 3 LHID prévoit que les déductions pour enfants et autres déductions sociales de droit cantonal sont réservées. Ainsi, dans le canton de Genève, pour la période fiscale 2016, l’art. 39 al. 1 LIPP/GE dispose qu’est déduit du revenu net annuel 10’000 fr. pour chaque charge de famille (let. a) et 5’000 fr. pour chaque demi-charge de famille (let. b). Lorsqu’une personne est à charge de plusieurs contribuables, la déduction est répartie entre ceux-ci. L’art. 39 al. 2 let. a LIPP/GE prévoit que constituent des charges de famille chaque enfant mineur sans activité lucrative ou dont le gain annuel ne dépasse pas 15’333 fr. (charge entière) ou 23’000 fr. (demi-charge), pour celui des parents qui en assure l’entretien. 

En l’occurrence, si l’on peut comprendre que la Cour de justice n’a pas statué sur les déductions sociales relatives à l’IFD en raison du fait qu’elle a reconnu, certes à tort, que le recourant s’était acquitté de contributions d’entretien (art. 33 al. 1 let. c LIFD), on peine à comprendre pourquoi elle n’a pas examiné cette question sous l’angle des impôts cantonal et communal, dans la mesure où la disposition légale topique, au contraire de l’art. 33 al. 1 let. c LIFD, ne semble pas prévoir d’exception au partage de la déduction sociale lorsque les parents sont séparés. Le recourant invoque d’ailleurs à juste titre une application arbitraire du droit cantonal à ce propos. Il convient par conséquent d’admettre le recours en matière de droit public, en tant qu’il a trait à la déduction sociale des impôts cantonal et communal de la période fiscale 2016, de renvoyer la cause à l’autorité précédente sur ce point et de rejeter le recours pour le surplus.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2020 du 19 novembre 2020)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Distribution du gaz : usine à gaz, millefeuille ou salade russe ?

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Introduction

La distribution du gaz est, en Suisse, une question compliquée qui tient du millefeuille ou de la salade russe. Il faut en prendre les tranches, ou les différents ingrédients, l’un après l’autre.

LITC

L’art. 13 de la loi fédérale du 4 octobre 1963 sur les installations de transport par conduites de combustibles ou carburants liquides ou gazeux (Loi sur les installations de transport par conduites, LITC ; RS 746.1) instaurait un « negotiated third party access », i.e. il garantissait un droit d’accès au réseau, mais ne régulait pas ses modalités et conditions. Les parties pouvaient simplement saisir l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) en cas de différent. La garantie, jusqu’au 1er janvier 2018, n’était pas applicable aux installations offrant une pression inférieure à 5 bar.

L’art. 13 LTIC n’offrait donc qu’une protection très relative aux acteurs du marché. Ceux-ci contournèrent le problème par le biais d’une convention de droit privé, entrée en vigueur le 1er octobre 2012, et qui garantissait l’accès au réseau et les conditions de celui-ci. La compatibilité de ce système avec le droit de la concurrence pouvait toutefois être discutée.

Surveillance des prix

A cela il faut ajouter l’intervention du Surveillant des prix.

Le règlement amiable signé en 2014 avec les exploitants des réseaux de gaz à haute pression, qui arrivait à échéance fin septembre 2020, a été revu, notamment en prévoyant une baisse échelonnée du taux d’intérêt nominal calculé du capital (WACC) qui rétribue le capital propre et étranger des exploitants de réseaux Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, les rétributions pour le transport de gaz naturel sur les réseaux interrégionaux et régionaux des entreprises Swissgas, Gaznat, Erdgas Zentral-schweiz, Gasverbund Mittelland et Erdgas Ostschweiz devraient diminuer à l’avenir selon ces nouvelles modalités, applicables jusqu’au 30 septembre 2024.

Commission de la concurrence

Vient ensuite la décision de la Commission de la concurrence du 4 juin 2020 dans le cadre d’une procédure de sanction menée par la ComCo envers les fournisseurs de gaz Erdgas Zentralschweiz (EGZ) et Energie Wasser Luzern (EWL). Les distributeurs de gaz actuels doivent accorder l’accès à leurs réseaux pour l’approvisionnement de tous les clients finaux. Les conduites de gaz restent certes un monopole des fournisseurs locaux, mais l’obligation de transporter garantit que les clients finaux puissent être approvisionnés par différents fournisseurs de gaz, indépendamment de leur emplacement. Le marché du gaz était ainsi ouvert et libéralisé de facto.

LApGaz

Libéralisation totale ? Sauf qu’il ne s’agit que d’une décision d’une autorité, appliquant le droit de la concurrence, alors que parallèlement une procédure de consultation a été lancée jusqu’à la mi-février 2020 sur une nouvelle loi sur l’approvisionnement en gaz (Loi sur l’approvisionnement en gaz (LApGaz)). Le projet mis en consultation ne prévoit le droit de choisir librement le fournisseur de gaz naturel que pour les clients finaux ayant une consommation annuelle d’au moins 100 mégawattheures (MWh), soit environ 10% des consommateurs de gaz pour une consommation globale équivalant à environ 70% du gaz écoulé. Les clients qui n’atteindraient pas ce seuil bénéficieraient quant à eux d’un approvisionnement régulé, assuré par leur gestionnaire de réseau local. Il ne s’agirait alors que d’une ouverture partielle du marché

Conclusion

Dans le cadre du processus de consultation, divers acteurs ainsi que la COMCO ont demandé une ouverture complète du marché réglementaire. L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) remanie actuellement le projet de loi.

Une libéralisation partielle du marché, fondée sur une loi spéciale, semble aujourd’hui discutable. Elle arrive trop tard en tant qu’instrument de libéralisation du marché. Les fournisseurs de gaz sont désormais obligés d’ouvrir leurs réseaux à tous les clients finaux. Ils devront convenir des modalités de mise en œuvre avec les fournisseurs de gaz naturel et les consommateurs sur la base du cadre juridique actuel. Pour ce faire, ils peuvent s’appuyer sur les dispositions déjà établies et évolutives de la convention de branche qui réglementent l’accès au réseau pour les grands clients industriels (faute de mieux).

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Taxe d’équipement: principe de la couverture des frais, charge de la preuve

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Le présent litige concerne la taxe d’équipement de 535’933 fr. 65 que le Fonds intercommunal d’équipement réclame aux recourants, après que ceux-ci ont construit plusieurs immeubles en Ville de Genève, concrétisant de cette manière partiellement un plan localisé de quartier no vvv.________ adopté en 2005.

 De manière générale, le droit fédéral prévoit que le droit cantonal règle la participation financière des propriétaires fonciers à l’équipement de leur terrain (cf. art. 19 al. 2 de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l’aménagement du territoire [LAT; RS 700]). Ainsi, dans le canton de Genève, la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD/GE; RSG L 1 35) institue-t-elle une taxe d’équipement due par les propriétaires ou superficiaires de terrains sur lesquels sont érigés des projets faisant l’objet d’une autorisation définitive de construire (art. 3A al. 2, 1re phrase, LGZD/GE). Cette taxe d’équipement, qui peut s’additionner aux autres contributions prévues par la loi cantonale sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux-GE; RSG L 2 05; cf. art. 3A al. 6 LGZD/GE), représente une participation des propriétaires, respectivement des superficiaires, aux coûts de réalisation, de modification ou d’adaptation des voies de communication publiques, en particulier celles prévues par le programme d’équipement (art. 3A al. 1 LGZD/GE).

Le droit cantonal prévoit depuis le 1er janvier 2017 que la taxe d’équipement est fonction de l’importance des constructions projetées, mais qu’elle ne doit en aucun cas excéder 2,5 % du coût de la construction autorisée (art. 3A al. 2, 2e et 3e phrases, LGZD/GE). Cette taxe consiste en un montant par mètre carré de surface brute de plancher autorisée. Ce montant est arrêté par le Conseil d’État dans un règlement d’application de la LGZD/GE et doit équivaloir au 75 % des coûts moyens d’équipement des projets de développement, à l’échelle du canton (art. 3A al. 3, 1re à 3e phrases, LGZD/GE). Le Conseil d’État revoit au moins tous les 5 ans ledit montant en tenant compte des dépenses réelles du Fonds intercommunal d’équipement (art. 3A al. 3, 4e phrase, LGZD). Il s’élève actuellement à 47 fr. le mètre carré de surface brute de plancher à créer selon l’autorisation de construire considérée (art. 11 al. 2 du règlement d’application de la loi générale sur les zones de développement du 20 décembre 1978 [RGZD/GE; RSG L 1 35.01]). 

 Sous l’angle du droit formel, depuis le 1er janvier 2017, il n’appartient plus au Département du territoire de rendre les décisions de taxation en matière d’équipement, de les notifier aux débiteurs et d’en gérer le suivi, mais à une fondation de droit public cantonal dotée de la personnalité juridique et dénommée ” Fonds intercommunal d’équipement ” (art. 3B al. 1 et 4 LGZD/GE).

En l’occurrence, dans leur mémoire, les recourants ne prétendent pas que la Cour de justice aurait appliqué arbitrairement le droit cantonal exposé ci-dessus en confirmant que la taxe d’équipement qu’ils devaient payer au Fonds intercommunal d’équipement s’élevait bel et bien à 535’933 fr. 65. Ils se plaignent [notamment] qu’il ferait une mauvaise application du principe de la couverture des frais.

Le principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.) revêt une importance particulière en droit fiscal qui l’érige en droit constitutionnel indépendant déduit de l’art. 127 al. 1 Cst. Cette norme – qui s’applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales – prévoit en effet que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi au sens formel. Si la loi contient une délégation de compétence à l’organe exécutif, la norme de délégation ne peut constituer un blanc-seing en faveur de cette autorité; elle doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l’objet et la base de calcul de la contribution. Sur ces points, la norme de délégation doit être suffisamment précise (exigence de la densité normative). Il importe en effet que l’autorité exécutive ne dispose pas d’une marge de manœuvre excessive et que les citoyens puissent discerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base. 

 S’agissant des taxes causales, le principe de la légalité est appliqué avec moins de rigueur, dans la mesure où le montant de la taxe peut être limité par des principes constitutionnels vérifiables (en particulier la couverture des frais et l’équivalence). Pour cette catégorie de taxes, le législateur peut déléguer à l’exécutif la compétence d’en fixer le montant. En revanche, si le montant de la taxe causale ne peut être évalué en fonction des principes d’équivalence et de couverture des frais, alors la légalité s’impose strictement. 

 La plupart des contributions causales – en particulier les charges de préférence dépendantes des coûts – doivent respecter le principe de la couverture des frais. Selon ce principe, le produit global des contributions ne doit pas dépasser, ou seulement de très peu, l’ensemble des coûts engendrés par la branche ou subdivision concernée de l’administration, y compris, dans une mesure appropriée, les provisions, les amortissements et les réserves. De telles réserves financières violent le principe de la couverture des frais lorsqu’elles ne sont plus justifiées objectivement, c’est-à-dire lorsqu’elles excèdent les besoins futurs prévisibles de la branche ou subdivision en question estimés avec prudence. Ce qu’il faut entendre par branche ou subdivision administrative s’apprécie d’un point de vue fonctionnel de façon à embrasser toutes les tâches administratives qui sont objectivement liées entre elles et dont les coûts sont financés par la taxe causale concernée (p. ex. réunion en une seule branche administrative des diverses prestations de chancellerie fournies par l’État ou regroupement des services relevant du registre foncier, du cadastre et de la géomatique). La collectivité responsable jouit cependant d’une certaine marge d’appréciation dans la définition de l’unité de coûts qu’elle entend couvrir par le biais de la taxe causale qu’elle prélève. En matière de taxe d’équipement, c’est en principe chacun des équipements (routes, trottoirs places de parc, eau, énergie, égouts, déchets etc) qui doit être examiné de manière séparée; il est néanmoins admis que chacun de ces postes soit réuni en un seul relatif à l’équipement global du terrain. 

Le contrôle du respect du principe de la couverture des frais – notamment lors du prélèvement d’une taxe d’équipement – passe en principe par un examen concret des postes comptables de la collectivité qui fournit la prestation. Il ne peut cependant être attendu d’un contribuable qui se plaint d’une violation du principe de la couverture des frais en lien avec une taxe d’équipement qu’il donne des indications précises sur le financement des infrastructures de la collectivité perceptrice, dès lors qu’il ne dispose en général pas lui-même des documents nécessaires. Tout au plus est-il possible d’exiger de cette personne qu’elle apporte quelques éléments de faits concrets laissant percevoir une possible violation de ce principe, qu’elle s’efforce d’obtenir les documents idoines de la part de la collectivité et qu’elle en requière au besoin l’édition devant le juge).

 S’agissant spécifiquement de la taxe d’équipement prévue par la LGZD/GE, le Tribunal fédéral a déjà jugé dans un arrêt 2C_226/2015 du 13 décembre 2015 qu’il incombait en principe aux autorités genevoises de supporter le fardeau de la preuve en matière de respect du principe de la couverture des frais et de démontrer ” comptablement ” que ce principe était respecté lorsqu’un contribuable contestait sa taxe d’équipement; il n’était pas possible pour les autorités genevoises de se retrancher derrière des affirmations générales et des moyennes d’expérience. Le Tribunal fédéral s’est fondé dans son arrêt sur le rapport no 59 de la Cour des comptes de la République et canton de Genève qui établit qu’en 2012, les montants encaissés dans le canton pour l’équipement des terrains en faveur des communes et non réclamés par ces dernières représentaient plus de 51 millions de francs et plus de 6 millions de francs pour la seule Ville de Genève (cf. Cour des comptes, Audit de légalité et de gestion, Département de l’urbanisme – Taxe d’équipement, Rapport no 59, octobre 2012, http://www.cdc-ge.ch/fr/Publications.html, sous Rapports d’audit et d’évaluation 2012 [consulté le 12 octobre 2020]). D’après le Tribunal fédéral, le rapport en question laissait supposer que le principe de la couverture des frais était peut-être violé en matière de taxes d’équipement dans le canton et au niveau des communes, tout en mettant en lumière une absence de suivi financier qui rendait difficile la comparaison des revenus et des charges en matière d’équipement (cf. arrêt 2C_226/2015 du 13 décembre 2015 consid. 5.2 et 5.3). 

 En l’occurrence, il n’est pas contesté que la taxe d’équipement en cause, aujourd’hui prévue à l’art. 3A LGZD/GE, est une charge de préférence dépendant des coûts, prélevée auprès des propriétaires et superficiaires de terrains en contrepartie de la plus-value conférée à leurs immeubles par les équipements construits par la commune. Partant, il est également admis que cette taxe – dont le montant est fixé par un simple règlement du Conseil d’État genevois et doit équivaloir à 75% des coûts moyens d’équipement des projets de développement  – doit respecter le principe de couverture des frais, ainsi que l’a constaté la Cour de céans dans l’arrêt 2C_226/2015 déjà cité. Les différents participants à la procédure soutiennent en revanche des avis divergents sur la manière de procéder à ce contrôle et, en particulier, sur la façon de déterminer les coûts maximaux censés être couverts par la taxe d’équipement de 535’933 fr. 65 au centre du présent litige. 

 Dans son arrêt, la Cour de justice considère en substance – comme l’autorité intimée dans sa réponse au recours – que la taxe d’équipement réclamée aux recourants respecte le principe de la couverture des frais, dès lors qu’elle est largement inférieure au coût estimé des travaux de réaménagement du chemin V.________, pour lesquels le Conseil municipal de la Ville de Genève a voté un crédit d’un montant net de 4’930’700 fr. Elle souligne qu’il en va de même si l’on additionne cette contribution aux taxes facturées aux autres propriétaires ayant développé des projets présentant un lien avec le chemin précité, puisqu’on aboutit à une somme totale de taxes d’équipement de 2’021’779 fr. 35, ce qui reste bien inférieur au crédit précité. 

Les recourants estiment pour leur part que l’autorité judiciaire cantonale a violé le principe de la couverture des frais en ne se fondant pas sur les coûts effectifs du réaménagement du chemin V.________ relevant de l’équipement public au sens de l’art. 19 al. 1 LAT et du droit cantonal, mais exclusivement sur la demande d’ouverture de crédit adoptée par la Ville de Genève en relation avec ces travaux. Ils affirment en outre qu’il serait contraire au principe de couverture des frais que le Fonds intercommunal d’équipement puisse s’enrichir en percevant 2’021’778 fr. 35 de taxes d’équipement auprès des différents propriétaires concernés par le réaménagement du chemin V.________, tout en accordant une subvention de 1’000’000 fr. seulement pour ces mêmes travaux à la Ville de Genève. 

Ainsi qu’on l’a vu, le principe de couverture des frais implique que la collectivité qui perçoit une taxe déterminée n’obtienne, au total, pas plus de ressources financières par ce biais – ou seulement légèrement plus – qu’elle ne dépense pour l’ensemble de l’activité administrative justifiant cette contribution. Cela signifie qu’en la cause, le contrôle du respect de la couverture des frais en lien avec la taxe d’équipement litigieuse suppose une comparaison des ressources financières obtenues grâce aux taxes d’équipement par la collectivité considérée comme responsable de l’équipement à Genève avec les coûts totaux supportés dans ce domaine par cette même entité et censés être couverts – en tout ou en partie – par ces taxes. A cet égard, la Cour de céans relève que cet examen présente une particularité, en ce sens que le droit cantonal ne définit pas clairement l’entité étatique responsable de l’équipement et de son financement et, partant, l’échelle à laquelle doit être appréciée le principe de la couverture des frais en l’affaire. D’un côté, il est acquis qu’il appartient à chaque commune genevoise de réaliser l’équipement (cf. art. 3C LGZD). De l’autre, il s’avère qu’il incombe à une organisation supracommunale, soit au Fonds intercommunal d’équipement, de financer jusqu’à 75% des coûts des projets d’équipement, sur demande des communes, ainsi que de prélever les taxes dues pour cette équipement, étant précisé que le montant de ces contributions causales doit non seulement équivaloir à 75% des coûts moyens d’équipement des projets de développement à l’échelle cantonale, mais aussi tenir compte des dépenses réelles dudit fonds (cf. art. 3A al. 3 et 3B al. 5 LGZD). 

La réglementation quelque peu singulière que connaît Genève fait que les autorités jouissent d’un certain pouvoir d’appréciation au moment de contrôler que la taxe d’équipement litigieuse respecte le principe de la couverture des frais. A priori, un tel contrôle peut passer par une comparaison des coûts et des revenus liés à l’équipement non seulement à l’échelle communale, mais aussi, alternativement, à l’échelle intercommunale, selon que l’on considère la Ville de Genève ou le Fonds intercommunal comme responsable de l’équipement et de son financement. En revanche, l’examen de la couverture des frais ne peut assurément pas consister en une comparaison d’un seul crédit adopté par la Ville de Genève, sur la base d’une simple estimation des coûts liés au réaménagement du Chemin V.________, avec les taxes d’équipement fixées forfaitairement et perçues auprès de certains propriétaires ayant construit dans ce secteur, dont les recourants, contrairement à ce que considèrent la Cour de justice et le Fonds intercommunal d’équipement. Notons qu’un examen par quartier du principe de la couverture des frais – que le législateur genevois semble envisager exceptionnellement pour les entités internationales seulement (cf. art. 3A al. 4 LGZD/GE) – s’avérerait du reste difficilement conciliable avec l’art. 3A al. 2 LGZD/GE qui prévoit la perception de taxes d’équipement auprès de tout propriétaire qui érige un projet de construction, ce même lorsque ce projet ne nécessite pas de travaux d’équipement de la part de la collectivité (cf. supra consid. 3.1/2).

 En l’occurrence, ayant considéré, à tort, qu’il suffisait de constater, sous l’angle du principe de la couverture des frais, que le montant des taxes facturées aux propriétaires ayant construit dans le secteur du chemin V.________ ne dépassait pas le total estimé des coûts du réaménagement dudit chemin effectué en 2018, sur la base duquel un crédit avait été adopté en 2016, la Cour de justice n’a pas jugé nécessaire d’établir les données comptables de la Ville de Genève ni d’ailleurs celles du Fonds intercommunal d’équipement. L’arrêt attaqué ne fait ainsi aucunement état des charges supportées en matière d’équipement par la Ville de Genève – qui avait pourtant déclaré son souhait d’être appelée en cause devant le Tribunal administratif de première instance – ni des revenus que cette commune retire de manière indirecte de la taxe d’équipement, en l’occurrence par le biais des aides octroyées par le Fonds intercommunal d’équipement. Il n’indique pas non plus les recettes obtenues par ce dernier grâce aux taxes d’équipement, ni les réserves dont cette fondation de droit public dispose. Il s’ensuit qu’il est en l’état impossible de déterminer si la taxe litigieuse respecte le principe de couverture des frais, lequel aurait en principe dû passer, comme cela a été dit, par un contrôle concret des postes comptables de l’entité étatique tenue pour responsable de l’équipement et de son financement au sens du droit cantonal, quelle qu’elle soit, ainsi que l’exige la jurisprudence.

Une démonstration comptable se serait d’autant plus imposée en la cause que le Tribunal fédéral a déjà considéré dans son arrêt 2C_226/2015 qu’il ne pouvait être exclu que la taxe d’équipement prévue par la LGZD/GE contrevienne au principe de la couverture des frais, eu égard à la thésaurisation importante de cette taxe, ce tant à l’échelle cantonale que communale. Rien n’indique dans l’arrêt attaqué que cette jurisprudence ait perdu de son actualité. Bien au contraire, d’après les faits constatés par la Cour de justice, les taxes d’équipement facturées pour un montant total de 2’021’779 fr. 35 par le Fonds intercommunal d’équipement aux différents propriétaires de terrains situés à proximité du chemin V.________, dont les recourants, dépassent de plus d’un million de francs la subvention de 1’000’000 fr. que cette même fondation de droit public a accordée à la Ville de Genève pour le réaménagement de cette voie de communication. Sans autre explication de la part de la Cour de justice, cette différence entre les revenus obtenus par le Fonds intercommunal d’équipement grâce à la taxe d’équipement et les dépenses qu’il a concédées en lien avec le Chemin V.________ laisse plutôt transparaître un risque persistant de thésaurisation de la taxe d’équipement dans le canton de Genève. 

Dans son arrêt, la Cour de justice se limite à relever que le problème de thésaurisation aurait été réglé par la révision de la LGZD/GE adoptée le 1er septembre 2016, laquelle a notamment créé le Fonds intercommunal d’équipement, afin de mutualiser les recettes de la taxe d’équipement au niveau intercommunal et de permettre une allocation effective de la taxe d’équipement en faveur des communes qui en avaient besoin, et non selon une logique de découpage administratif. Elle ne prétend toutefois pas que le législateur cantonal ait voulu que le principe de la couverture des frais soit désormais examiné de manière intercommunale, ni ne constate que la somme des taxes d’équipement facturées dans le canton correspondrait à peu près aux dépenses effectuées par l’ensemble des communes genevoises en matière d’équipement. On ne comprend dès lors pas en quoi la révision de la LGZD/GE suffirait à elle seule à renverser la présomption posée dans l’arrêt 2C_226/2015 selon laquelle le principe de la couverture des frais pourrait être violé à Genève en lien avec les taxes d’équipement, tant que les autorités cantonales n’en auront pas contrôlé le respect en procédant à un examen concret des postes de l’entité étatique considérée comme responsable de l’équipement et de son financement, en l’occurrence la Ville de Genève ou le Fonds intercommunal d’équipement. L’exigence d’un tel contrôle a au contraire été rappelée à maintes reprises lors de l’élaboration de cette révision législative, qui est intervenue peu après le prononcé de l’arrêt 2C_226/2015 précité (cf. Rapport du 17 mai 2016 de la Commission d’aménagement du canton chargée d’étudier le projet de loi modifiant la loi générale sur les zones de développement [LGZD], PL 11783-A, p. 15, 18 s., 21 et 26, consultable sur http://www.ge.ch/grandconseil, le 17 septembre 2020).

 Il s’ensuit que la Cour de justice a violé le droit fédéral en confirmant la taxe d’équipement de 535’933 fr. 65. réclamée aux recourants, sans déterminer, dans un premier temps, qui, de la Ville de Genève ou du Fonds intercommunal d’équipement, devait être considéré comme responsable de l’équipement et de son financement au sens du droit cantonal, ni vérifier, dans un second temps, de manière comptable, que le principe de la couverture des frais était en l’espèce respecté à l’échelle de cette entité. 

Partant, il convient d’admettre le recours et d’annuler l’arrêt rendu par la Cour de justice le 26 novembre 2019. La cause sera renvoyée à celle-ci afin qu’elle contrôle si la taxe d’équipement litigieuse respecte le principe de couverture des frais au sens des considérants qui précèdent, et, si tel n’est pas le cas, qu’elle corrige cette contribution de façon à en assurer la conformité audit principe.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2020 du 15 octobre 2020)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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