Impôt sur les gains immobiliers, durée de la possession : revente d’un immeuble transféré par une société immobilière à l’actionnaire

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D’après l’art. 12 al. 1 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses). L’art. 12 al. 2 LHID définit les aliénations imposables. En particulier, l’art. 12 al. 2 let. a LHID prévoit que sont assimilés à une aliénation, les actes juridiques qui ont les mêmes effets économiques qu’une aliénation sur le pouvoir de disposer d’un immeuble. En outre, l’art. 12 al. 2 let. d LHID dispose qu’est également assimilé à une aliénation, le transfert de participations à des sociétés immobilières qui font partie de la fortune privée du contribuable, dans la mesure où le droit cantonal en prévoit l’imposition. Selon l’art. 12 al. 3 let. a LHID, l’imposition est différée notamment en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation. 

L’art. 12 LHID contraint les cantons à percevoir un impôt sur les gains immobiliers. Bien qu’il demeure vague sur l’aménagement de cet impôt, en particulier sur la durée de la possession, il ne leur laisse aucune liberté pour décider des cas dans lesquels l’imposition doit être différée. Ils sont en revanche libres d’adopter le barème de l’impôt sur les gains immobiliers (art. 1 al. 3 LHID), à condition d’imposer plus lourdement les bénéfices réalisés à court terme (art. 12 al. 5 LHID).

 Dans le canton de Vaud, l’impôt sur les gains immobiliers a notamment pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble, situé dans le canton, qui fait partie de la fortune privée du contribuable (art. 61 al. 1 let. a de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux [LI/VD; BLV 642.11]). Constitue une aliénation imposable tout acte qui transfère la propriété d’un immeuble, telle que la vente, l’expropriation ou la cession d’une part de propriété commune (cf. art. 64 al. 1 LI/VD), étant précisé que le transfert d’actions ou parts de sociétés immobilières est assimilé à l’aliénation de tout ou partie de l’immeuble (art. 64 al. 2 let. d LI/VD). L’imposition est différée en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation (art. 65 al. 1 let. a LI/VD). 

Pour le surplus, l’art. 66 al. 1 LI/VD dispose que le gain imposable est constitué par la différence entre le produit de l’aliénation et le prix d’acquisition augmenté des impenses. A teneur de l’art. 67 al. 1 LI/VD, le prix d’acquisition est le prix qu’avait payé l’aliénateur. Toutefois, en cas d’aliénation d’immeuble acquis lors d’une opération dont l’imposition a été différée selon l’art. 65 al. 1 let. a à c LI/VD, le précédent transfert imposé est déterminant pour fixer le prix d’acquisition et la durée de possession (art. 68 al. 1 LI/VD). En application de l’art. 71 al. 1 LI/VD, le produit de l’aliénation est le montant total des prestations pécuniaires ou appréciables en argent que l’acquéreur verse ou s’engage à verser à l’aliénateur ou à des tiers au profit de ce dernier. L’impôt est perçu selon un barème de taux dégressifs en fonction des années de possession, variant entre 30 %, pour un an de possession, et 7 %, dès 24 ans de possession (art. 72 al. 3 LI/VD). Finalement, il convient encore de mentionner l’art. 73 al. 2 LI/VD, qui prévoit que si l’immeuble aliéné a été acquis en plusieurs fois, notamment par investissements supplémentaires ou qu’il a fait l’objet de constructions ultérieures ou de transformations d’importance analogue, le gain est fractionné en fonction des différentes opérations pour calculer la durée de possession déterminant le taux applicable aux diverses parties du gain.

 La prorogation de l’imposition prévue par l’art. 12 al. 3 LHID (art. 65 al. 1 LI/VD) signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. La prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive, qui serait d’ailleurs contraire à l’art. 12 LHID. L’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est provisoirement pas taxée; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable. 

Le litige porte ainsi sur le point de savoir à quel moment est intervenu l’acquisition de l’immeuble vendu par le recourant en 2012 et à quel prix, respectivement si la constitution de la propriété par étages en 2002 doit être comprise comme une situation prévue à l’art. 12 al. 3 let. a LHID, c’est-à-dire un cas de prorogation de l’imposition du gain immobilier

Lorsque le droit fiscal renvoie à des notions de droit civil, la question est de savoir si le sens donné en droit civil est aussi déterminant en droit fiscal ou si le droit fiscal doit préférer une interprétation autonome qui se fonde uniquement sur la réalité économique. La doctrine admet en règle générale que l’on peut s’écarter des définitions de droit civil lorsque des motifs fondés justifient une interprétation autonome. 

 En premier lieu on peut rappeler que, dans le canton de Vaud, lorsqu’un propriétaire d’actions d’une société immobilière faisant partie de sa fortune privée, vend ces participations, cette vente est assimilée à une aliénation imposable au titre de l’impôt sur les gains immobiliers (cf. art. 64 al. 2 let. d LI/VD; cf. également art. 12 al. 2 let. d LHID). Cette disposition prévoit ainsi la faculté d’assimiler à une aliénation le transfert d’une participation non majoritaire à une société immobilière, car, si la participation est majoritaire, l’on est en présence d’un acte juridique qui a sur le pouvoir de disposer d’un immeuble les mêmes effets économiques qu’une aliénation, situation qui est déjà visée par l’art. 12 al. 2 let. a LHID (cf. arrêt 2C_906/2010 du 31 mai 2012 consid. 6.1). 

 En l’occurrence, le recourant, ensemble avec son frère et sa mère, a hérité des actions de la société immobilière à la mort de son père, le 29 décembre 1997. Sa mère était en outre usufruitière de l’ensemble des biens successoraux. Dans la mesure où les actions en cause ont changé de propriétaire, il s’agissait là d’un acte assimilé à une aliénation, au sens de l’art. 64 al. 2 let. d LI/VD, respectivement 12 al. 2 let. d LHID, conduisant à une imposition de l’éventuel gain immobilier. Néanmoins, ce transfert de propriété étant intervenu dans le cadre d’une succession, l’imposition devait être différée. Par la suite, le 26 février 2002, le recourant et son frère, sans leur mère, ont acheté à la société immobilière deux lots de propriété par étages. Ils se sont acquittés d’un montant de 319’853 fr. 35 et ont été inscrits comme copropriétaires au registre foncier. Ces lots correspondaient à l’appartement et au garage d’ores et déjà utilisés par leur mère en tant qu’usufruitière des actions. 

Le recourant cherche à expliquer que, si le transfert économique au sens des art. 12 al. 2 let. a LHID, respectivement 64 al. 2 let. f LI/VD constitue également une aliénation lorsque la propriété juridique sur l’immeuble reste inchangée, le transfert de propriété juridique ne vaut cependant pas aliénation lorsque la propriété économique sur le bien n’est pas transférée, car le pouvoir de disposition sur celui-ci n’est pas modifié. Dans l’arrêt 2C_714/2019 du 30 janvier 2020 consid. 5.3, le Tribunal fédéral a certes envisagé cette solution, expliquant néanmoins que, lors du précédent transfert économique, aucun impôt sur les gains immobiliers n’avait été perçu, ce qui excluait toute situation de double imposition. Il en va différemment en l’espèce, car lorsque le père du recourant a acheté ses actions en 1987, un impôt sur le gain immobilier a été prélevé, vraisemblablement en application de l’art. 64 al. 2 let. d LI/VD (dans sa version en vigueur à l’époque). La société d’actionnaires-locataires représentait alors un ersatz historique à l’actuel propriété par étages, inconnue du CC et qui donnait aux actionnaires un droit d’habitation. C’est d’ailleurs dans le but d’encourager la disparition de cette forme de propriété indirecte, au profit de la propriété directe, telle la propriété par étages, qu’a été introduit l’art. 207 LIFD (RS 642.11; cf. art. 269 LI/VD), qui prévoit une réduction de l’impôt en cas de liquidation de sociétés immobilières. L’art. 207 al. 4 LIFD (cf. art. 269 al. 4 LI/VD), dispose ainsi que lorsque l’actionnaire acquiert d’une société immobilière d’actionnaires-locataires, en propriété par étages et contre cession de ses droits de participation, la part de l’immeuble dont l’usage est lié aux droits cédés, l’impôt sur le bénéfice en capital réalisé par la société est réduit de 75 % si la société a été fondée avant le 1er janvier 1995. En outre, le transfert de l’immeuble à l’actionnaire doit être inscrit au registre foncier au plus tard au 31 décembre 2003. A ces conditions, l’impôt sur l’excédent de liquidation obtenu par l’actionnaire est réduit dans la même proportion.

Le recourant explique ensuite que la masse successorale a toujours eu la possession du bien immobilier. Il perd toutefois de vue que, même si le droit cantonal mentionne effectivement “durée de possession” (cf. par exemple art. 67 al. 5 LI/VD), l’acte générateur de l’impôt est bel et bien le transfert de propriété (cf. art. 64 al. 1 LI/VD). De plus, le transfert de la propriété immobilière, sauf exception, nécessite une inscription au registre foncier (cf. art. 656 al. 1 CC). C’est cette inscription qui est en principe déterminante pour la durée de possession de l’immeuble. Or, en l’espèce, on doit constater qu’en février 2002, par acte notarié, la propriété des deux lots de propriété par étages a été transférée. Elle est passée de la société immobilière au recourant et à son frère, qui ont été inscrit comme copropriétaires au registre foncier. Certes, la mère de ceux-ci, qui vivait déjà dans l’appartement objet de la vente, y est restée. Elle n’a néanmoins jamais été propriétaire de ce bien, mais en jouissait en tant qu’usufruitière, statut qu’elle a maintenu à la suite de l’achat de l’appartement par ses deux enfants. En outre, à l’instar de ce qu’a jugé le Tribunal cantonal et contrairement à ce qu’affirme le recourant, ce transfert de propriété n’est pas intervenu par succession, dès lors que ni le défunt, ni a fortiori la masse successorale n’ont jamais été propriétaires des deux lots en cause. Le fait que l’acquisition ait été faite en partie avec une créance de la masse successorale n’y change rien. C’est uniquement la société immobilière qui était propriétaire avant le recourant et son frère. D’une manière plus générale, on peut considérer que, comme l’affirme la doctrine à ce propos, lorsque l’immeuble est détenu par une société immobilière et que celle-ci le transfère à un actionnaire, en cas de revente, ce dernier ne pourra pas bénéficier des années de possession pendant lesquelles il était actionnaire mais non inscrit comme propriétaire au registre foncier (ANNE-CHRISTINE SCHWAB, op. cit., n. 415; dans ce sens également, ATF 126 V 83 consid. 2d p. 87). Dans le cas d’espèce, les éléments qui précèdent conduisent donc à retenir qu’en février 2002, les deux lots de propriété par étages ont été acquis par le recourant et son frère, hors de toute situation donnant lieu à un report de l’imposition du gain immobilier. C’est par conséquent à juste titre que le Tribunal cantonal a retenu le 26 février 2002 comme date pertinente pour calculer la durée de possession du bien, revendu le 28 février 2012.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_459/2020 du 19 janvier 2021)

Me Philippe Ehrenström, LL.M., avocat, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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