
Les recourants, domiciliés en Suisse [GE], sont assujettis à l’impôt dans ce pays (art. 3 al. 1 LIFD; art. 3 LHID) de manière illimitée (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 LIPP). Cet assujettissement ne s’étend pas à leur immeuble situé à l’étranger [Espagne] (art. 6 al. 1 LIFD; art. 5 al. 1 LIPP). En tant qu’élément imposable en Suisse (art. 21 al. 1 let. b LIFD; art. 7 al. 1 LHID; art. 24 al. 1 let. b LIPP), la valeur locative de cet immeuble entre toutefois en considération pour la détermination du taux d’imposition des contribuables, tant pour l’impôt fédéral direct que pour l’impôt cantonal et communal (exemption sous réserve de progressivité; art. 7 al. 1 LIFD; art. 6 al. 1 LIPP).
La Convention du 26 avril 1966 entre la Suisse et l’Espagne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (CDI CH-ESP; RS 0.672.933.21) ne s’oppose pas à ce qui précède. En effet, elle prévoit que la Suisse exempte de l’impôt les revenus ou la fortune qui proviennent des biens immobiliers sis en Espagne, mais qu’elle conserve toutefois la possibilité d’en tenir compte dans la fixation du taux d’imposition, en appliquant ” le même taux que si les revenus ou la fortune en question n’avaient pas été exemptés ” (art. 23 al. 2 let. a, en lien avec l’art. 6 al. 1 CDI CH-ESP).
L’art. 21 al. 2 LIFD prévoit que la valeur locative est déterminée compte tenu des conditions locales et de l’utilisation effective du logement au domicile du contribuable. Selon cette disposition, la valeur locative doit être estimée à la valeur du marché (cf. art. 16 al. 2 in fine LIFD), en prenant en considération les conditions locales, étant relevé qu’une certaine marge subsiste. La valeur locative doit ainsi correspondre au montant que le propriétaire ou le détenteur des droits de jouissance devrait payer sur le marché pour pouvoir occuper le bien immobilier dans les mêmes conditions. L’art. 21 al. 2 LIFD n’impose pas de méthode de calcul déterminée de la valeur locative. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la valeur locative retenue par le canton en matière d’impôt fédéral direct ne doit pas se situer en deçà du 70 % de la valeur du marché (ATF 123 II 9 consid. 4b p. 14 s.; arrêt 2C_1/2019 du 16 janvier 2020 consid. 7.1 et autres références citées).
En matière d’impôt cantonal et communal, l’art. 7 al. 1 LHID oblige expressément les cantons à imposer la valeur locative des immeubles, mais ne pose pas d’exigences allant au-delà des limites fixées par les normes constitutionnelles, en particulier par le principe d’égalité de traitement entre les propriétaires et les locataires (art. 8 al. 1 Cst.) et les principes fiscaux ancrés à l’art. 127 al. 2 Cst.
Dans cette mesure, l’impôt fédéral direct et les impôts cantonaux ne connaissent pas d’harmonisation verticale. La loi sur l’harmonisation fiscale n’impose pas aux cantons de méthode déterminée pour le calcul de la valeur locative en matière d’impôt cantonal et communal. Les cantons jouissent donc d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative, y compris pour les immeubles se situant à l’étranger. Celle-ci doit correspondre au prix du marché, mais peut notamment être fixée à une valeur inférieure dans la mesure où, dans le cas concret, elle ne passe pas en-dessous de la limite fixée à 60 % du loyer du marché.
Répondant aux obligations imposées par l’art. 7 al. 1 LHID, le législateur genevois a édicté l’art. 24 al. 1 let. b et 2 LIPP. L’art. 24 al. 2 LIPP définit la notion de valeur locative et à la teneur suivante : ” La valeur locative est déterminée en tenant compte des conditions locales. Le loyer théorique des villas et des appartements en co-propriété par étage occupés par leur propriétaire est fixé en fonction notamment de la surface habitable, du nombre de pièces, de l’amé-nagement, de la vétusté, de l’ancienneté, des nuisances éventuelles et de la situation du logement […] “.
L’art. 8 du règlement genevois du 13 janvier 2010 d’application de la loi sur l’imposition des personnes physiques (RIPP; RS/GE D 03 08.01) prévoit que la valeur locative du logement du contribuable dans sa propre maison doit être déterminée en fonction des loyers usuels pratiqués dans la localité pour des logements semblables. Le législateur genevois a ainsi choisi de se baser sur des critères objectifs.
Dans le but d’uniformiser l’imposition de la valeur locative, l’Administration fédérale des contributions a édicté des directives (cf. circulaire du 25 mars 1969 concernant la détermination du rendement locatif imposable des maisons d’habitation [ci-après: circulaire du 25 mars 1969], Archives 38 p. 121 ss; l’abrogation de cette circulaire fin 2009 n’empêche pas son application à des périodes fiscales postérieures; cf. arrêt 2C_843/2016 du 31 janvier 2019 consid. 2.2.5 et 3.4). Selon ces directives, la valeur locative se détermine en principe d’après une procédure d’estimation individuelle ou sur la base d’estimations cantonales, pour autant que celles-ci existent et aient été effectuées selon des règles uniformes.
Se fondant sur l’information du 1er février 1991, l’Administration fiscale cantonale du canton de Genève a pour pratique d’estimer la valeur locative des immeubles situés dans un pays qui ne connaît pas l’imposition de la valeur locative, à 4,5 % de la valeur fiscale du bien (villa ou appartement en PPE). Le taux de 4,5 % tient déjà compte d’une déduction forfaitaire de 25 % de la valeur locative brute pour les frais d’entretien, qui ne peuvent donc être déduits. L’information du 1er février 1991 ne distingue pas les immeubles selon qu’ils sont situés en Suisse ou à l’étranger, précisant uniquement que, pour ces derniers, le rendement (ou la valeur locative) ne sera pris (e) en considération que pour déterminer le taux d’imposition. La détermination de la valeur locative en pour-cent de la valeur fiscale ou de la valeur vénale de l’immeuble est par ailleurs une méthode expressément envisagée dans la circulaire du 25 mars 1969. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la méthode de calcul forfaitaire prévue par l’information du 1er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative (cf. arrêts 2C_137/2019 du 23 janvier 2020 consid. 6.2; 2C_829/2016 précité du 10 mai 2017 consid. 7 ss).
L’information du 1er février 1991 n’a pas force de loi et ne lie pas le Tribunal fédéral et les autres autorités d’application du droit. Le juge peut s’en écarter s’il l’estime contraire à la loi ou à une ordonnance. Toutefois, si cette information permet une application correcte des dispositions légales dans le cas d’espèce, il y a lieu d’en tenir compte.
En pratique et lorsque cela est possible, la valeur locative cantonale complète est valable pour l’établissement de la valeur locative de l’impôt fédéral direct.
Savoir si un État étranger connaît un principe de valeur locative équivalent à la notion suisse se détermine selon le droit suisse. Pour pouvoir être prise en compte, la valeur locative étrangère doit ainsi respecter les standards suisses.
Les recourants se plaignent à juste titre que l’instance précédente a considéré à tort que l’Espagne était un pays n’imposant pas la valeur locative.
En effet, corrigeant l’arrêt 2C_137/2019 du 23 janvier 2020, le Tribunal fédéral a constaté, dans l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021, qu’il ressort clairement de l’information de mars 2015 (p. 7 et 31), ainsi que de l’article paru dans la Revue internationale de droit comparé (RIDC 3-2013 p. 749), qui se réfère à l’art. 85 de la loi espagnole 35/2006 de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques et de la modification partielle des lois des impôts sur les sociétés, des revenus des non-résidents, et du patrimoine (ci-après: Loi 35/2006), que l’Espagne connaît une imposition de la valeur locative, toutefois pas pour la résidence habituelle (art. 85 al. 1 de la Loi 35/2006). Il convient donc de partir du principe qu’une telle imposition existe en Espagne.
Les recourants soutiennent en revanche à tort que l’imposition forfaitaire résultant de l’information du 1er février 1991 ne trouve application que lorsque le pays de situation de l’immeuble ne connaît pas l’imposition de la valeur locative.
En effet, l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021 (consid. 6.6) précise que le fait que le Tribunal fédéral ait estimé que le recours à la méthode de calcul forfaitaire prévu par l’information du 1er février 1991 n’était pas contraire au droit fédéral pour les immeubles situés dans des pays qui ne connaissent pas l’imposition de la valeur locative n’excluait pas que cette méthode puisse aussi trouver application lorsque le pays connaît une telle imposition. Dans ce dernier cas, le recours à une telle méthode semblait en particulier pertinent si la valeur locative obtenue en application des règles de l’état de situation de l’immeuble ne permettait pas de respecter les exigences légales et jurisprudentielles imposées par le droit interne suisse et cantonal, notamment en matière de respect des conditions locales et de limites à respecter par rapport au loyer du marché.
En l’occurrence, du moment que le calcul de la valeur locative déclarée par les recourants pour leur immeuble en Espagne n’a, à l’instar de celui qui était en cause dans l’arrêt 2C_486/2020 du 19 janvier 2021, pas fait l’objet d’un examen de conformité au droit suisse et cantonal tel que rappelé ci-dessus et que le canton de Genève, qui dispose à cet égard d’une certaine marge de manœuvre dans la fixation de la valeur locative, retient la même valeur pour l’impôt cantonal et communal que pour l’impôt fédéral direct, comme cela ressort de l’état de fait, il convient de renvoyer la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de statuer en tant que première instance sur ce point.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_25/2021 du 7 mai 2021)
Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)