T. SA (ci-après: T., la recourante ou la Société), dont le siège est à C. (VS), est inscrite au registre du commerce du Bas-Valais depuis le 28 février 1991. Dans les années nonante, elle a repris les installations de la société R. SA et les activités de raffinage exercées par celle-ci à C.
Par décision du 20 novembre 1996, le Conseil d’Etat du canton du Valais (ci-après: le Conseil d’Etat) a transféré à T. une exonération fiscale partielle accordée le 9 novembre 1994 à R. SA. Ladite exonération, valable pour une durée de 8 ans à compter du 1er janvier 1994 et arrêtée à 70 % des impôts sur le bénéfice et le capital et de l’impôt foncier, prévoyait un minimum d’impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) de 140’000 fr., respectivement 250’000 fr. La décision d’exonération était assortie de la clause suivante:
“En cas de cessation d’activité durant la période d’exonération fiscale, l’exonération est révocable avec effet rétroactif à la date de son octroi”.
Le 2 juin 1999, le Conseil d’Etat a prolongé l’exonération fiscale précitée jusqu’à l’année 2003, en la fixant à 80 % des impôts cantonaux et à 70 % des impôts communaux et en arrêtant le minimum d’impôts cantonaux et communaux à 300’000 fr., respectivement à 350’000 fr., sur l’ensemble des activités de la société.
Par décision du même jour, le Conseil d’Etat a également accordé à T. une autre exonération fiscale partielle valable pour les années 2004 à 2008 de 40 % des ICC, qui portait sur toutes les activités de la Société. Le minimum d’impôts cantonaux et communaux à atteindre était fixé à 400’000 fr., respectivement 450’000 fr. La décision prévoyait ce qui suit:
“L’exonération n’est accordée que si la société a un caractère permanent. Si elle transfère le siège en dehors du canton ou ferme ses portes, l’exonération est révocable pour les années exonérées”.
Au mois de mars 2015, T. a interrompu les activités de raffinage exercées à C.
Par décision du 15 avril 2015, le Conseil d’Etat a révoqué, avec effet rétroactif à la date de son octroi, l’exonération fiscale partielle accordée à la Société le 2 juin 1999 pour les années fiscales 2004 à 2008. Ce prononcé était accompagné d’une décision de taxation du Service cantonal des contributions du canton du Valais relative à l’impôt cantonal, portant sur les périodes fiscales 2004 à 2008, pour un montant total de 2’547’569 fr. 95. En parallèle, les communes de C. et de M ont réclamé à la société, pour les mêmes années, un montant d’impôts communaux de 2’781’055 fr. 05, respectivement 513 fr. 60.
Par arrêt du 11 mars 2016, le Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le recours formé par T. contre la décision du Conseil d’Etat du 15 avril 2015 révoquant l’exonération fiscale précitée. La contribuable recourt au tribunal fédéral.
Le litige porte sur les conditions relatives à l’exonération fiscale partielle de l’entreprise recourante, sise en Valais, en matière d’impôt cantonal et communal. A ce sujet, l’art. 23 al. 3 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14), qui a une teneur analogue à celle de l’art. 1 al. 3 let. b du Concordat entre les cantons de la Confédération suisse sur l’interdiction des arrangements fiscaux du 10 décembre 1948 auquel le canton du Valais a adhéré par loi du 12 mai 1959 (RS/VS 671.1) et qui l’importe sur ce dernier (arrêt 2C_603/2012 du 10 décembre 2012 consid. 3.1), expose ce qui suit:
“Les cantons peuvent prévoir, par voie législative, des allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvellement créées qui servent les intérêts économiques du canton, pour l’année de fondation de l’entreprise et pour les neuf années suivantes. Une modification importante de l’activité de l’entreprise peut être assimilée à une fondation.”
Dans les limites posées par le droit fédéral, les cantons sont donc libres de faire usage du droit que leur accorde l’art. 23 al. 3 LHID d’octroyer les allégements en question à certains sujets fiscaux (arrêt 2C_910/2010 du 5 mai 2011 consid. 4.1) et ils gardent une certaine autonomie concernant les modalités et l’ampleur desdits allégements.
La recourante se plaint notamment d’une application arbitraire du droit cantonal, par rapport à l’interprétation effectuée par le Tribunal cantonal de l’art. 238 de la loi fiscale valaisanne du 10 mars 1976 (LF/VS; RS/VS 642.1) et de la décision d’exonération du 2 juin 1999.
Une décision est arbitraire (art. 9 Cst.) lorsqu’elle contredit clairement la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou qu’elle heurte d’une manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat.
L’art. 238 LF/VS, qui est fondé sur l’art. 23 al. 3 LHID et en développe les principes, expose les conditions relatives à l’exonération fiscale (totale ou partielle) des entreprises en matière d’impôt cantonal et communal (ICC). A ce sujet, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de relever que, en raison du caractère potestatif du droit des cantons d’accorder les allégements en question aux entreprises (cf. articles 23 al. 3 LHID et 238 al. 1 LF/VS précités), l’autorité cantonale “dispose d’une large marge d’appréciation s’agissant de l’octroi et, par voie de conséquence, des conditions et de la révocation d’un privilège fiscal” (arrêt 2C_910/2010 du 5 mai 2011 consid. 5.2).
Concernant le point litigieux dans la présente cause, c’est-à-dire la révocation d’une exonération fiscale, l’art. 238 al. 3 LF/VS prévoit ce qui suit:
“Si les conditions auxquelles une exonération est subordonnée ne sont pas respectées, l’exonération est révocable avec effet rétroactif à la date de son octroi.”
Tel qu’il a déjà été exposé, la décision d’exonération du Conseil d’Etat du 2 juin 1999, fondée sur l’article précité, contenait notamment la clause suivante:
“L’exonération n’est accordée que si la société a un caractère permanent. Si elle transfère le siège en dehors du canton ou ferme ses portes, l’exonération est révocable pour les années exonérées”.
L’art. 53 LHID, qui peut aussi jouer un rôle pour la présente affaire, a la teneur suivante:
“Lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque là inconnus de l’autorité fiscale permettent d’établir qu’une taxation n’a pas été effectuée alors qu’elle aurait dû l’être, qu’une taxation entrée en force est incomplète ou qu’une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l’autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l’impôt qui n’a pas été perçu, y compris les intérêts. Un rappel d’impôt est exclu lorsqu’il n’y a que sous-évaluation des éléments imposables (al. 1).
Le droit d’introduire une procédure de rappel d’impôt s’éteint dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n’a pas été effectuée alors qu’elle aurait dû l’être ou pour laquelle la taxation entrée en force était incomplète (al. 2).
Le droit de procéder au rappel de l’impôt s’éteint quinze ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte (al. 3) “.
Selon la recourante, la décision d’exonération serait “dépourvue d’ambiguïté”, en ce sens qu’elle comporterait des conditions applicables uniquement à “la période d’allégement”, de sorte que ladite décision ne pourrait être comprise autrement que comme imposant à l’intéressée de “tenir ses engagements pendant la durée de l’exonération” (recours, p. 23 s.). Il serait ainsi arbitraire de reprocher à la contribuable de n’avoir “pas poursuivi son activité suffisamment longtemps après la fin de la période d’exonération, sans que la décision d’exonération indique explicitement la durée exacte qui était attendue d’elle” (recours, p. 24). La solution retenue dans l’arrêt attaqué, revenant à confirmer une décision par laquelle le Conseil d’Etat a révoqué en 2015 une exonération fiscale valable pour les années 2004 à 2008 et octroyée seize ans plus tôt (en 1999), heurterait gravement le sens de la justice.
Contrairement à ce qu’affirme la recourante, ni l’art. 238 al. 3 LF/VS ni la décision d’exonération du 2 juin 1999 n’indiquent clairement de délai pendant lequel l’exonération est révocable. Le fait que ces textes ne mentionnent aucun délai ne veut pas dire que la révocation ne peut intervenir que si la Société cesse ses activités durant la période d’exonération. La clause est sur ce point peu claire.
Le présent litige doit être résolu en se référant aux règles relatives au rappel d’impôt. En effet, l’art. 53 LHID permet notamment à l’autorité fiscale de revenir sur une taxation entrée en force en se fondant sur la découverte de faits nouveaux (art. 53 al. 1 LHID). Sous l’angle de la révocation d’un privilège fiscal, il y a lieu d’en déduire par analogie que, sauf si cela a été expressément exclu dans la décision d’exonération (partielle), il est en principe possible de revenir sur une telle décision même après la fin de la période pendant laquelle le contribuable a profité de l’allégement en question, en se fondant sur le fait nouveau constitué par la fin des activités de l’entreprise intéressée dans le canton. Cette approche par analogie permet d’éviter qu’une entreprise au bénéfice d’une exonération soit traitée de manière plus favorable qu’une autre entreprise établie dans le canton et soumise à une taxation ordinaire, à qui le fisc pourrait opposer un rappel d’impôt basé sur la découverte d’un fait nouveau susceptible de fonder une imposition. Au demeurant, dans un arrêt du 5 mai 2011, le Tribunal fédéral avait déjà examiné une décision d’exonération renvoyant aux règles et délais applicables en matière de prescription du rappel de l’impôt (cf. arrêt 2C_910/2010 du 5 mai 2011 consid. 5.3). Une telle interprétation n’est du reste pas en contradiction avec la pratique. En effet, la possibilité de révoquer a posteriori un privilège fiscal si le sujet fiscal intéressé quitte le canton ou cesse ses activités dans les années qui suivent la période concernée par l’exonération est souvent réservée (cf. arrêt 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 8.1, où la décision d’exonération prévoyait en ce sens un délai de 5 ans après la fin de la période d’allégement).
La référence aux règles sur le rappel d’impôt implique l’application des délais y relatifs. Pour cette raison, conformément au délai prévu à l’art. 53 al. 2 LHID, il sied de retenir que la possibilité de révoquer un privilège fiscal après la fin de la période concernée, lorsque la décision d’exonération ne prévoit pas de délai en ce sens, est limitée à dix ans. La révocation du privilège en question doit ainsi intervenir au plus tard dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle l’allégement a été octroyé (cf. art. 53 al. 2 LHID).
En l’espèce, le Conseil d’Etat a rendu la décision de révocation litigieuse le 15 avril 2015. A ce moment-là, en application par analogie de l’art. 53 al. 2 LHID, il n’était toutefois plus possible pour l’autorité de revenir sur le privilège octroyé à la Société pour l’année 2004. En effet, le droit de modifier la taxation de la recourante pour l’année fiscale 2004 était prescrit, ce qu’il y a lieu de constater d’office.
En revanche, pour ce qui est des années 2005 à 2008, la décision du Conseil d’état du 15 avril 2015 est intervenue alors que le délai de prescription de 10 ans prévu à l’art. 53 al. 2 LHID n’était pas encore arrivé à expiration. Quant au délai de prescription absolu de quinze ans établi par l’art. 53 al. 3 LHID (cf. supra consid. 6.2), il arrivera à échéance en 2020 (pour l’année 2005), de sorte que la prescription absolue est loin d’être acquise pour les périodes fiscales en question.
Pour que la révocation du privilège fiscal pour les années 2005 à 2008 soit admissible, il faut encore que l’interprétation du Tribunal cantonal à ce sujet soit exempte d’arbitraire, ce que la recourante conteste. A tort toutefois. En effet, comme l’a constaté à juste titre l’autorité précédente, la décision d’exonération du 2 juin 1999 ne prévoyait plus que le privilège fiscal pouvait être révoqué seulement si la Société cessait ses activités durant la période d’exonération fiscale. En l’absence de cette clause et par opposition à la décision d’exonération précédente (transférée à la recourante en 1996) qui contenait une telle limitation, il n’est pas insoutenable de considérer, comme l’a fait le Tribunal cantonal, qu’un arrêt des activités après 2008 pouvait justifier la révocation litigieuse.
Concernant le moment auquel le Conseil d’Etat a pris la décision de révocation, il a été constaté que la prescription du droit de revenir sur la taxation n’était pas acquise pour les années 2005 à 2008 (art. 53 LHID par analogie). Cela ne suffit toutefois pas à exclure tout arbitraire dans l’arrêt du Tribunal cantonal confirmant cette décision. En particulier, plus une exonération a été accordée pour une longue période, plus on peut exiger de l’entreprise qu’elle reste longtemps dans le canton concerné. Envisagée sous l’angle de l’arbitraire, il faut cependant que la révocation paraisse choquante pour qu’elle puisse tomber dans le champ d’application de l’art. 9 Cst. A cet égard, on se trouve en l’espèce dans un cas limite. La Société a bénéficié d’une exonération pendant environ 12 ans, soit entre le 20 novembre 1996 (moment auquel la première exonération lui a été transférée) et le 31 décembre 2008. Elle a mis un terme à ses activités de raffinage en 2015, soit un peu plus de six ans après la fin de la période au cours de laquelle elle avait profité de l’exonération fiscale. Malgré le maintien des activités en question pendant ce laps de temps, la révocation de l’exonération partielle, confirmée dans l’arrêt attaqué, n’apparaît pas comme insoutenable, étant rappelé que les autorités cantonales disposent en ce domaine d’une large marge de manœuvre. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’en l’espèce la contribuable a pu profiter d’allégements fiscaux durant douze années, soit une période qui dépasse le délai de dix ans prescrit par les art. 238 al. 2 LF/VS et 23 al. 3 LHID. Partant, même six ans après la fin de ce privilège, la position des autorités valaisannes révoquant l’exonération pour les dernières années, soit, compte tenu de la prescription, de 2005 à 2008 ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la législation en cause.
En résumé, c’est en violation du droit fédéral que le Tribunal cantonal a retenu que le Conseil d’Etat était en droit de révoquer le privilège accordé à la recourante pour l’année 2004, le droit de revenir sur cette décision étant prescrit pour cette année. En revanche, concernant la révocation de l’exonération fiscale partielle litigieuse pour les années 2005 à 2008, le grief d’application arbitraire du droit cantonal soulevé par la recourante doit être rejeté.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_382/2016 du 11 juillet 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon