La Ville de Genève ( = la recourante) invoque une violation de l’art. 83 de la loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA; RS 641.20), ainsi que de l’art. 6 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).
L’art. 83 LTVA prévoit notamment que les décisions de l’Administration fédérale des contributions peuvent faire l’objet d’une réclamation dans les trente jours qui suivent leur notification (al. 1). Cet article ne fournit toutefois aucune indication concernant la qualité pour former ladite réclamation. Dans ces conditions, conformément au renvoi général en matière de procédure opéré par l’art. 81 al. 1 LTVA, qui contient le principe selon lequel “la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative est applicable, à l’exclusion de l’art. 2, al. 1”, il y a lieu de se référer aux dispositions topiques de la PA.
Selon l’art. 6 PA, ont qualité de parties les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d’un moyen de droit contre cette décision. A teneur de l’art. 48 al. 1 PA, a qualité pour recourir quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité inférieure ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est spécialement atteint par la décision attaquée (let. b), et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c).
La PA ne règle pas expressément la procédure de réclamation. Le Tribunal administratif fédéral a toutefois considéré que, dans ce cas, il y avait lieu de se référer à l’art. 48 PA par analogie, en raison de l’affinité entre la procédure de réclamation de la LTVA et la procédure de recours de la PA. Selon la recourante, en revanche, la qualité pour former une réclamation devrait être examinée sur la base de l’art. 6 PA.
Lorsqu’une loi fédérale met en place une procédure de réclamation, on peut, pour définir le cercle des personnes habilitées à former une telle réclamation, se référer par analogie à l’art. 48 PA. En effet, cette voie de droit permet à l’administré de remettre formellement en question une décision de l’autorité et présente en ce sens de fortes analogies avec la procédure de recours de l’art. 48 PA. Quant à l’art. 6 PA, il concerne la qualité de partie en procédure administrative en général. Toutefois, une personne qui est légitimée à recourir au sens de l’art. 48 PA est par définition touchée par la décision à prendre au sens de l’art. 6 PA et doit se voir reconnaître la qualité de partie (ATF 142 II 451 consid. 3.4.1). L’inverse est en principe aussi vrai, à tout le moins lorsqu’il s’agit de définir la qualité pour former une réclamation, de sorte que l’opposition faite en ce sens par la recourante entre les articles 6 et 48 PA n’a pas lieu d’être.
C’est ainsi à juste titre que le Tribunal Administratif fédéral a examiné si la Ville était légitimée à déposer la réclamation litigieuse en appliquant par analogie l’art. 48 PA.
De jurisprudence constante, l’art. 48 al. 1 PA correspond à l’art. 89 al. 1 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF ; RS 173.110) et est interprété de la même manière que cette dernière disposition (cf. ATF 139 II 328 consid. 3.2.; 139 II 279 consid. 2.2; 135 II 172 consid. 2.1).
Outre les destinataires directs de la décision, des tiers peuvent aussi avoir la qualité pour recourir au sens des articles 48 al. 1 PA et 89 al. 1 LTF lorsqu’ils sont atteints de manière directe et concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grande que n’importe quelle autre personne par la décision attaquée, respectivement rendue, et qu’ils se trouvent dans un rapport spécialement étroit avec l’objet du litige.
En plus de ce rapport, celui qui veut se voir reconnaître la qualité de partie doit retirer un avantage pratique d’une éventuelle annulation ou modification de la décision contestée. En d’autres termes, sa situation doit pouvoir être influencée de manière significative par l’issue de la procédure. L’intérêt digne de protection réside dans le fait d’éviter de subir directement un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre qui serait causé par la décision entreprise. Un simple intérêt indirect ou le seul intérêt public général – en l’absence de rapport étroit avec l’objet du litige – ne justifie pas la reconnaissance de la qualité de partie.
En matière de TVA, en outre, il est généralement admis que le droit pour contester une décision appartient exclusivement au débiteur de l’impôt et, le cas échéant, aux débiteurs solidaires de celui-ci au sens de l’art. 15 LTVA (ATF 140 II 80 consid. 2.4.4).
La recourante affirme que, comme les Services Industriels, objet de la décision litigieuse, lui appartiennent en partie, elle aurait dû se voir reconnaître la faculté de former réclamation contre la décision. Par cette argumentation, elle perd toutefois de vue que la position de “propriétaire” des Services industriels n’est pas pertinente pour résoudre le présent litige. En effet, le Tribunal fédéral a expressément exclu, pour l’actionnaire (même majoritaire ou unique) d’une société, la possibilité de recourir en lieu et place de celle-ci contre une décision la concernant, faute d’intérêt direct (arrêts 2C_748/2013 du 17 octobre 2013 consid. 3.2; 2C_1158/2012 du 27 août 2013 consid. 2.3.3 et les nombreuses références citées). Par analogie avec cette jurisprudence, il se justifie de retenir que la Ville ne peut pas invoquer sa qualité de “propriétaire” d’une partie de l’établissement pour se voir reconnaître le droit d’agir contre la décision litigieuse, dont les Services industriels étaient les destinataires uniques. Admettre le contraire, signifierait ouvrir le droit de contester une décision adressée à une personne morale de droit public dotée de la personnalité juridique à toute collectivité qui détient, de quelque manière que ce soit, un droit sur ladite personne morale, ce qui n’est guère concevable.
Pour le reste, hormis la critique de la Ville relative à sa qualité de “propriétaire” de l’établissement, qui vient d’être écartée, la recourante n’expose pas en quoi la décision de l’Administration fédérale aurait été propre à lui causer directement un préjudice et l’on ne voit du reste pas en quoi pourrait consister un tel préjudice.
En effet, une hypothétique répercussion négative de ladite décision sur le résultat d’exploitation des Services industriels n’aurait qu’une influence indirecte sur la Ville, qui ne participe pas au bénéfice de ceux-ci (art. 28 al. 2 LSIG/GE), n’ayant qu’un droit à une partie du dividende en cas de liquidation de l’établissement (art. 2 al. 3 LSIG/GE). En outre, en matière de TVA, la faculté d’introduire un moyen de droit contre une décision adressée à un contribuable est généralement réservée au débiteur de l’impôt et, le cas échéant, aux débiteurs solidaires de celui-ci (cf. supra). Or, tel qu’il a été souligné à juste titre par le Tribunal administratif fédéral, la décision litigieuse a été adressée aux Services industriels, lesquels sont dotés de la personnalité juridique et étaient les destinataires uniques de celle-ci. Elle concernait la question de l’assujettissement à la TVA des prestations fournies par l’établissement aux services autonomes de l’Etat de Genève. La Ville, qui n’était pas partie à cette procédure, n’aurait pu se voir reconnaître la qualité pour former réclamation contre la décision en question que si elle avait été atteinte de manière concrète par celle-ci, ce qui n’est pas le cas. Dans ces circonstances, force est de constater que l’intérêt de la Ville est en l’espèce uniquement indirect et ne saurait fonder le droit pour celle-ci de former réclamation contre la décision de l’Administration fédérale du 31 mars 2015.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon