Le litige a trait à la prise en considération, à titre d’impenses, des droits de succession dans le calcul du gain immobilier réalisé par les recourants lors de la vente en 2014 du lot qu’ils ont acquis par voie de succession en 2013.
Les recourants prétendent à cette déduction en se fondant sur l’art. 82 al. 4 de la loi générale du canton de Genève du 9 novembre 1887 sur les contributions publiques [LCP; RS/GE D 3 05].
L’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers est régi dans le canton de Genève par les art. 80 ss LCP. L’art. 82 LCP traite du calcul du bénéfice ou gain imposable, lequel est constitué par la différence entre la valeur d’aliénation et la valeur d’acquisition (art. 82 al. 1 LCP). En principe, la valeur d’acquisition est égale au prix payé pour l’acquisition du bien, augmentée des impenses, ou, à défaut de prix, à sa valeur vénale (art. 82 al. 2 LCP).
Il est prévu ce qui suit à l’art. 82 al. 4 LCP: lorsque le bien a été acquis par dévolution pour cause de mort ou à la suite d’une déclaration d’absence, la valeur d’acquisition est égale à la valeur fixée par le Département des finances pour la perception des droits de succession ou d’enregistrement, augmentée du montant desdits droits. En matière de droits de succession, les immeubles sont estimés à leur valeur vénale au jour du décès (cf. art. 10 de la loi genevoise du 26 novembre 1960 sur les droits de succession [LDS; RS/GE D 3 25]).
L’art. 12 al. 3 let. a de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14) prévoit quant à lui que l’imposition est différée: en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation.
Se fondant sur l’art. 12 al. 3 let. a LHID et la jurisprudence du Tribunal fédéral y relative, en particulier l’arrêt 2C_147/2008 du 29 juillet 2008 (in RDAF 2009 II 440, StR 64 2009 121), la Cour de justice du canton de Genève, dans l’arrêt dont est recours, a considéré, en substance, qu’un transfert de propriété par succession constitue un cas d’imposition différée, qui empêche la prise en considération de ce transfert et des droits de succession payés en lien avec celui-ci dans le calcul du gain immobilier réalisé lors d’une aliénation ultérieure imposable. Le droit cantonal genevois était à cet égard contraire au droit fédéral.
Les recourants estiment pour leur part que l’art. 82 al. 4 LCP est compatible avec l’art. 12 al. 3 let. a LHID, car les cantons disposeraient d’une certaine marge de manœuvre dans l’aménagement de l’impôt sur les gains immobiliers. Il n’y aurait donc aucun motif d’écarter l’application du droit cantonal.
La question à trancher porte donc sur le point de savoir si c’est à bon droit que la Cour de justice a retenu que l’art. 12 al. 3 let. a LHID excluait l’application de l’art. 82 al. 4 LCP.
A titre liminaire, il convient de rappeler qu’aux termes de l’art. 72 al. 1 LHID, les cantons devaient adapter leur législation à la loi sur l’harmonisation fiscale dans les huit ans qui suivaient l’entrée en vigueur de cette loi, soit jusqu’au 1 er janvier 2001, étant donné que la LHID est entrée en vigueur le 1 er janvier 1993. Selon l’art. 72 al. 2 LHID, à l’expiration de ce délai, le droit fédéral est directement applicable si les dispositions du droit fiscal cantonal s’en écartent.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, si l’art. 82 al. 4 LCP devait être considéré comme incompatible avec l’art. 12 al. 3 let. a LHID, la loi d’harmonisation fiscale serait directement applicable, dès lors que le lot a été acquis par succession en 2013 et a été vendu en 2014, soit largement après l’échéance, au 1 er janvier 2001, du délai dont disposaient les cantons pour adapter leur législation à la LHID.
D’après l’art. 12 al. 1 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses). Toute aliénation d’immeubles est imposable; sont notamment assimilés à une aliénation les actes juridiques qui ont les mêmes effets économiques qu’une aliénation sur le pouvoir de disposer d’un immeuble (art. 12 al. 2 let. a LHID).
L’imposition est toutefois différée dans les cas prévus à l’art. 12 al. 3 LHID. Le législateur fédéral a décrit à l’article 12 al. 3 LHID de manière exhaustive les états de fait qui fondent un report d’imposition. Les états de faits visés à l’art. 12 al. 3 LHID relèvent du droit harmonisé, l’art. 12 al. 3 LHID ne laissant aucune marge de manoeuvre aux cantons pour décider dans quels cas l’imposition doit être différée. Ils doivent donc être repris par les cantons dans leur législation sur l’imposition des gains immobiliers. Le Tribunal fédéral examine librement la conformité du droit cantonal avec l’art. 12 al. 3 let. a LHID.
L’art. 12 al. 3 let. a LHID prévoit ainsi que l’imposition est différée en cas de transfert de propriété par succession (dévolution d’hérédité, partage successoral, legs), avancement d’hoirie ou donation.
Dans le canton de Genève, l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation (art. 80 al. 1 LCP). Est considéré comme aliénation tout acte qui confère à un acquéreur la propriété ou la réelle disposition économique d’un immeuble (cf. art. 80 al. 4 LCP).
D’après l’art. 81 al. 1 let. b LCP, l’imposition est prorogée en cas d’aliénation en raison d’avancement d’hoirie ou de donation. Cette disposition est conforme à l’art. 12 al. 3 let. a LHID. En revanche, d’après l’art. 81 al. 3 let. c LCP, l’impôt n’est pas perçu (dans le sens d’une exonération; cf. arrêt 2C_797/2009 du 20 juillet 2010 consid. 2.2) en cas de succession ou de partage successoral.
Le Tribunal fédéral a déjà souligné que l’art. 81 al. 3 let. c LCP, qui prévoit une exonération au lieu d’une imposition différée des transferts de propriété par succession, s’écarte de l’art. 12 al. 3 let. a LHID (cf. arrêt 2C_797/2009 du 20 juillet 2010 consid. 2.2) et partant ne s’applique pas lorsque le décès est survenu après 2001 comme en l’espèce (cf. art. 72 al. 2 LHID).
Encore faut-il se demander si le fait que l’imposition du transfert de propriété par succession survenu en 2013 est obligatoirement différée en vertu du droit fédéral harmonisé a pour conséquence d’exclure l’application de l’art. 82 al. 4 LCP, comme l’a retenu la Cour de justice.
La prorogation ou le report de l’imposition signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est pas soumis à l’impôt. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. Ainsi que l’indique le libellé même de l’art. 12 al. 3 LHID, la prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive. L’éventuelle augmentation de la valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable (l’achat par le de cujus dans le cas de la succession) et l’acte prorogeant l’imposition (la dévolution successorale) n’est provisoirement pas taxée; l’imposition est simplement différée jusqu’à une nouvelle aliénation imposable, qui tiendra alors compte de l’augmentation de la valeur qui s’est produite depuis l’achat par le de cujus.
Le fait que le transfert de propriété par succession constitue obligatoirement un cas d’imposition différée en vertu de l’art. 12 al. 3 let. a LHID a pour conséquence que les cantons ne sont pas autorisés à prendre en compte ces transferts dans le calcul de l’impôt sur les gains immobiliers lors d’une aliénation ultérieure imposable. Dans le système de prorogation de l’imposition, le prix d’acquisition déterminant pour le calcul du gain immobilier imposable lors d’une aliénation ultérieure est en effet celui du dernier transfert imposable, soit le prix d’acquisition payé par le de cujus. A l’inverse, dans le système de l’exonération, le prix d’acquisition déterminant est celui de l’aliénation. La valeur d’acquisition de l’immeuble est ainsi fixée à la date de la dévolution successorale, donc à un montant généralement supérieur au prix d’acquisition versé par le de cujus, ce qui entraîne une diminution du gain imposable en cas de revente ultérieure.
Dans l’arrêt 2C_147/2008 du 29 juillet 2008, cité par la Cour de justice, le Tribunal fédéral a confirmé le refus des autorités du canton de Lucerne de déduire du gain immobilier imposable réalisé lors de l’aliénation d’un immeuble acquis par voie de succession les droits de succession. Il a relevé dans sa motivation que seuls des frais étroitement liés à l’acquisition déterminante du point de vue de l’impôt sur les gains immobiliers pouvaient être pris en considération dans le calcul du gain immobilier imposable. Le transfert de propriété par succession, dès lors qu’il constitue un cas d’imposition différée, ne peut pas être pris en compte dans le calcul de l’impôt lors d’une aliénation ultérieure, qui doit se fonder sur le dernier transfert imposable. Cette règle s’étend aux impenses qui y sont liées. Il a également souligné que l’imputation de l’impôt sur les successions lors du calcul de l’impôt sur les gains immobiliers était problématique au regard de la nature et de l’objet différents de ces deux impôts. Le Tribunal fédéral a ainsi suivi l’opinion de la doctrine majoritaire selon laquelle en cas de dévolution de fortune privilégiée du point de vue de l’impôt sur les gains immobiliers (imposition différée), l’impôt sur les successions ne peut pas être déduit du gain immobilier imposable lors de l’aliénation ultérieure de l’immeuble.
Il découle de ce qui précède qu’en raison de la prorogation de l’imposition des transferts de propriété par succession imposée par l’art. 12 al. 3 let. a LHID, les cantons n’ont pas de marge de manœuvre s’agissant du choix de la valeur d’acquisition, qui ne peut correspondre qu’à la valeur du dernier transfert imposable, à savoir l’acquisition par le de cujus,et ne peuvent pas tenir compte, à titre d’impenses, des droits de succession dans le calcul du gain immobilier réalisé lors d’une aliénation ultérieure imposable.
En l’occurrence, l’art. 82 al. 4 LCP dont se prévalent les recourants fixe comme prix d’acquisition déterminant pour le calcul du gain immobilier imposable lors de l’aliénation d’un immeuble acquis par voie de succession la valeur de l’immeuble au moment du décès, augmentée des droits de succession. Un tel prix d’acquisition correspond à un cas d’exonération de l’imposition. L’art. 82 al. 4 LCP a d’ailleurs été introduit dans la loi pour répondre au cas d’exonération visé à l’art. 81 al. 3 let. c LCP. En d’autres termes, l’art. 82 al. 4 LCP n’a de justification qu’en lien avec l’exonération prévue à l’art. 81 al. 3 let. c LCP. Il n’est en revanche pas compatible avec le système du report d’imposition de l’art. 12 al. 3 let. a LHID.
Comme en l’espèce l’imposition du transfert de propriété par succession du lot en 2013 est nécessairement soumise au report d’imposition de l’art. 12 al. 3 let. a LHID, c’est à juste titre que la Cour de justice a écarté l’application de l’art. 82 al. 4 LCP, conformément à l’art. 72 al. 2 LHID.
Compte tenu de ce qui précède, l’arrêt entrepris, qui confirme que les droits de succession payés par les recourants à la suite du décès de leur tante en 2013 ne peuvent pas être pris en compte dans le cadre de la fixation du gain immobilier réalisé lors de la vente du lot en 2014, est conforme à l’art. 12 al. 3 let. a LHID. Il s’ensuit que les griefs des recourants doivent être écartés.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2017 du 17 novembre 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon-les-Bains