L’objet du litige est la légitimité des diverses reprises effectuées par l’AFC-GE pour les années 2007 et 2009, dans le cadre d’une procédure en rappel et soustraction d’impôt ouverte en 2014, en lien avec des travaux réalisés par le contribuable sur sa maison familiale.
L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques (art. 16 al. 1 LIFD et 1 aLIPP-IV). Sont aussi considérés comme revenus les prestations en nature de tout genre dont bénéficie le contribuable, notamment la pension et le logement, ainsi que les produits et marchandises qu’il prélève dans son exploitation et qui sont destinées à sa consommation personnelle ; ces prestations sont estimées à leur valeur marchande (art. 16 al. 2 LIFD).
Si la notion de revenu n’est pas définie précisément par la loi, la jurisprudence et la doctrine suisses retiennent en principe comme déterminante la théorie de l’accroissement net du patrimoine. Selon celle-ci, le revenu acquis par un contribuable se compose de tout accroissement de son patrimoine constaté au cours de la période fiscale considérée, ce qui peut provenir tant d’une augmentation des actifs que d’une diminution des passifs.
N’est par contre pas considérée comme revenu la prestation à soi-même, par exemple celle du maçon, mettant à profit ses loisirs pour construire son propre logement, à moins qu’il n’ait l’intention de le revendre par la suite. L’accroissement de fortune qui résulte de son travail n’est pas imposable.
La doctrine précise que les prestations à soi-même en dehors de l’activité indépendante, sous la forme de prestations de services, à soi-même ou aux membres de la famille, ou sous la forme de constitution d’un élément de fortune, constituent des accroissements de fortune endogènes et sont uniquement imposables en tant que tels, selon la notion de revenu fondée sur la théorie de l’accroissement de fortune, si elles conduisent à un accroissement provenant de l’extérieur. En d’autres termes, les prestations à soi-même sont imposables uniquement et pour autant qu’elles soient aliénées contre une contre-prestation, respectivement réalisées. Chez les indépendants, l’on n’impose que la consommation de biens qui ont une valeur bilancielle, non celle de services tels que le médecin soignant sa famille ou l’avocat procédant dans sa propre cause.
Les art. 18 LIFD et 3 al. 1 aLIPP-IV concernent plus particulièrement le produit de l’activité lucrative indépendante. Ainsi, sont imposables tous les revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou sylvicole, de l’exercice d’une profession libérale ou de toute autre activité lucrative indépendante). Tous les bénéfices en capital provenant de l’aliénation, de la réalisation ou de la réévaluation comptable d’éléments de la fortune commerciale font partie du produit de l’activité lucrative indépendante. Le transfert d’éléments de la fortune commerciale dans la fortune privée ou dans une entreprise ou un établissement stable sis à l’étranger est assimilé à une aliénation. La fortune commerciale comprend tous les éléments de fortune qui servent, entièrement ou de manière prépondérante, à l’exercice de l’activité lucrative indépendante.
La notion d’activité lucrative indépendante est une notion de droit fiscal qui n’est pas définie clairement dans la pratique, eu égard aux états de fait diversifiés auxquels elle doit s’appliquer. De manière générale, on y englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l’engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie, et avec l’intention de réaliser un bénéfice. Pour le Tribunal fédéral, les critères de cette activité ne doivent pas être considérés de manière isolée et peuvent apparaître avec des intensités variables. L’analyse se concentre sur cinq éléments principaux : (a) une activité aux risques du contribuable ; (b) la mise en œuvre de travail et de capital ; (c) une organisation librement choisie ; (d) une organisation reconnaissable de l’extérieur ; (e) un but lucratif.
Toutefois, de par l’extension jurisprudentielle de la notion d’« autre activité lucrative indépendante » de l’art. 18 al. 1 in fine LIFD, seuls sont impondérables le premier et le dernier de ces critères. La notion des risques encourus par le contribuable signifie qu’il agit pour son propre compte, et qu’il supporte cas échéant personnellement une perte. Quant au but lucratif à l’activité, il est un critère subjectif que l’on mesure à l’aide d’indices extérieurs, et non par de simples déclarations de l’intéressé. L’absence d’un tel motif est toutefois l’élément caractéristique du hobby.
A titre d’exemple, l’activité exercée par des architectes indépendants dans des affaires privées ne conduit pas à un revenu imposable provenant de l’activité indépendante, s’agissant de prestations à soi-même sans pertinence d’un point de vue fiscal, qui ne conduisent pas à un accroissement provenant de l’extérieur et qui ne représentent pas non plus un transfert de la fortune commerciale à la fortune privée.
Les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont notamment les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu’elles aient été comptabilisées (art. 27 al.1 et 2 let. b LIFD). En revanche, ne peuvent pas être déduits les frais d’entretien du contribuable et de sa famille, y compris les dépenses privées résultant de sa situation professionnelle (art. 34 let. a LIFD).
Dans le cas d’espèce,
il s’agit tout d’abord de déterminer si les travaux effectués par le contribuable sur sa propre maison rentrent dans la définition de prestations en nature imposables de l’art. 16 al. 2 LIFD, plus précisément celle de produits et marchandises prélevés dans sa propre exploitation et destinés à sa consommation personnelle ou dans celle d’activité lucrative indépendante de l’art. 18 LIFD.
À l’instar du maçon mettant à profit ses loisirs pour construire son propre logement, le contribuable effectuant des travaux sur sa propre maison ne réalise pas de revenu s’il n’a pas d’intention de vendre ladite villa. L’accroissement de fortune qui peut en résulter n’est pas imposable.
Les travaux effectués ne peuvent non plus être qualifiés d’activité lucrative indépendante, le contribuable n’ayant obtenu aucune contre-prestation ou accroissement fiscalement pertinent de patrimoine à la suite de ces travaux. En effet, le contribuable n’avait pas l’intention de réaliser un bénéfice en réalisant ces travaux. Il s’agit au contraire plutôt d’un hobby qui constitue précisément une activité non dirigée vers l’obtention d’un profit matériel.
L’activité exercée sous la forme d’un hobby est en règle générale exempte d’impôt, sauf selon certains si elle dégage des revenus ; ce qui est conforme au principe de l’imposition du revenu global net comme découlant de celui de l’imposition selon la capacité contributive.
Toutefois, dans l’état actuel de la pratique fiscale en Suisse, les autorités de taxation s’en tiennent, en dehors des relations de travail, à une approche mesurée et proportionnée de l’imposition des revenus en nature. Elles saisissent avant tout lesdits revenus donnés à titre d’exemples à l’art. 16 al. 2 LIFD, soit les avantages d’hébergement ainsi que la consommation des produits de sa propre exploitation. Le revenu en nature sous forme de pension et de logement se rencontre avant tout dans le cadre de l’activité lucrative dépendante. Les prélèvements de produits et de marchandises ne concernent quant à eux que les indépendants, et l’on n’impose que la consommation de biens qui ont une valeur bilancielle, non celle de services. Les circulaires édictées par l’AFC-CH sur l’estimation des prestations en nature sont cantonnées aux deux exemples donnés à l’art. 16 al. 2 LIFD précités.
Quant à la jurisprudence, elle s’est le plus souvent déterminée sur des situations où le contribuable entendait déduire les pertes de ses activités, en faisant valoir leur caractère commercial.
En l’occurrence, il n’appert pas que le contribuable ait prélevé des marchandises ou produits de son entreprise mais plutôt qu’il ait travaillé lui-même pour effectuer des rénovations chez lui. Quant aux achats de matériaux ou fournitures pour l’exécution desdits labeurs, aucune preuve au dossier ne laisse présumer qu’ils auraient été déduits à titre de frais de sa société comme étant justifiés pour l’usage commercial, ou comptabilisés comme charges dans le compte d’exploitation, et en tout état de cause tel n’est pas l’objet du présent litige.
Par conséquent, les travaux entrepris sur la villa familiale des contribuables doivent être qualifiés de prestations à soi-même et ne constituent pas un revenu imposable provenant de l’activité indépendante, ni un transfert de sa fortune commerciale à sa fortune privée.
(ATA/1419/2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon