Impôt anticipé, prestation appréciable en argent, absence de dividende, extourne

IMG_6500La Confédération perçoit un impôt anticipé sur les revenus de capitaux mobiliers, les gains faits dans les loteries et les prestations d’assurances (art. 132 al. 2 Cst. ; art. 1 al. 1 LIA). L’impôt anticipé sur les revenus de capitaux mobiliers a pour objet les intérêts, rentes, participations aux bénéfices et tous autres rendements d’actions, de parts sociales, de bons de jouissance ou de bons de participation émis par des sociétés de capitaux ou des sociétés coopératives domiciliées en Suisse (cf. art. 4 al. 1 let. b LIA). Pour les revenus de capitaux mobiliers, l’impôt anticipé s’élève à 35% de la prestation imposable (art. 13 al. 1 let. a LIA).

En vertu de l’art. 4 al. 1 let. b LIA, toutes les prestations appréciables en argent faites aux actionnaires ou à leurs proches et qui grèvent le compte de pertes et profits sont imposables. A cet égard, la notion de prestations appréciables en argent développée en relation avec l’impôt fédéral direct se recoupe en principe avec celle applicable en matière d’impôt anticipé. L’imposition vise ainsi toutes les attributions à un actionnaire ou à une personne qui lui est proche et dont le fondement réside exclusivement dans le rapport de participation.

Est un rendement imposable d’actions, parts de sociétés à responsabilité limitée et sociétés coopératives, toute prestation appréciable en argent faite par la société aux possesseurs de droits de participation, ou à des tiers les touchant de près, qui ne se présente pas comme remboursement des parts au capital social versé existant au moment où la prestation est effectuée, tels que dividendes, bonis, actions gratuites, bons de participation gratuits, excédents de liquidation, etc. (art. 20 al. 1 OIA).

Les autorités fiscales ne sont pas strictement liées par la qualification de droit privé de l’opération juridique, mais elles doivent plutôt apprécier l’état de fait conformément à la réalité économique. Il appartient, en principe, à l’autorité fiscale d’apporter la preuve des éléments propres à démontrer l’existence d’une prestation appréciable en argent. Si elle y échoue, c’est à elle de supporter l’échec de la preuve.

Les distributions dissimulées de bénéfice qui ne découlent pas d’une décision formelle de la société constituent entres autres des prestations appréciables en argent. Selon la jurisprudence constante, entre dans cette catégorie (1) toute attribution faite par la société, sans contre-prestation équivalente (2) à ses actionnaires ou à toute personne la ou les touchant de près (3) qu’elle n’aurait pas faite dans les mêmes circonstances à des tiers non participants, soit toute prestation qui n’est pas commercialement justifiée et apparaît comme insolite. Par ailleurs, (4) le caractère insolite de cette prestation doit être reconnaissable par les organes de la société (cf. ATF 140 II 88 consid. 4.1, 138 II 57 consid. 2.2, 131 II 593 consid. 5.1 p.ex.). Il convient ainsi d’examiner si la prestation aurait été accordée dans la même mesure à un tiers étranger à la société, soit si la transaction respecte le principe de pleine concurrence (« dealing at arm’s length »). L’examen de ces critères intervient exclusivement du point de vue de la société qui fournit la prestation et non du point de vue du destinataire.

Pour que l’impôt soit dû, la société doit subir un désavantage économique, lequel doit trouver son fondement dans les rapports de participation. Du fait de la distribution dissimulée de bénéfice, la société est appauvrie (perte ou manque à gagner). Lorsqu’une société paie des intérêts à un taux surfait sur les créances détenues par un actionnaire ou par des personnes le touchant de près, elle leur concède en principe une prestation appréciable en argent. Ne sont, en revanche, pas soumises à l’impôt les prestations que la société effectue en faveur de ses actionnaires ou personnes proches et qui reposent sur une base juridique autre que les rapports de participation, par exemple un contrat de droit privé qui aurait également pu être conclu avec n’importe quel tiers non participant.

L’AFC édicte chaque année des directives sur les taux d’intérêt déterminants pour le calcul des prestations appréciables en argent, publiées sous la forme de lettres-circulaires, destinées à simplifier la mise en oeuvre du principe de pleine concurrence en relation avec les taux d’intérêt de prêts conclus en francs suisses entre des sociétés et leurs actionnaires ou associés (ou leurs proches). Spécifiquement en matière de prêts, les lettres-circulaires guident ainsi le calcul pour les prestations appréciables en argent. Les taux d’intérêt déterminants fixés par l’AFC ne constituent cependant que des « safe harbour rules ». L’irrespect de ces taux ne crée, en conséquence, qu’une présomption réfragable d’existence de prestation appréciable en argent, qui renverse toutefois le fardeau de la preuve en défaveur de la société contribuable, cette dernière devant alors démontrer que la prestation octroyée est néanmoins conforme au principe de pleine concurrence.

S’agissant de la créance fiscale pour les revenus de capitaux mobiliers, elle prend naissance au moment où échoit la prestation imposable. La capitalisation d’intérêts ou la décision de transférer le siège à l’étranger (cf. art. 4 al. 2 LIA) entraînent la naissance de la créance fiscale (art. 12 al. 1 LIA). Il s’agit d’une obligation ex lege. La créance fiscale prend, en effet, directement naissance dès que l’état de fait décrit par la loi est rempli. En particulier, l’erreur sur les conséquences fiscales d’un acte juridique ne constitue pas une erreur essentielle, mais une erreur non pertinente sur les motifs (cf. art. 24 CO ). En outre, la forme d’exécution de la prestation imposable n’est pas déterminante non plus. Dite exécution intervient donc notamment dès que la prestation est créditée, étant précisé qu’il n’est même pas nécessaire que ladite prestation soit effectivement versée (cf. art. 14 al. 1 LIA).

L’échéance de la prestation imposable au sens de l’art. 12 al. 1 LIA se détermine en principe d’après les règles du droit civil. Lorsque l’actionnaire unique accorde à « sa » société anonyme un prêt et reçoit, en retour, un taux d’intérêt surfait, la créance fiscale naît généralement au moment de l’exigibilité de l’intérêt (cf. art. 314 al. 2 CO).

Conformément à l’art. 16 al. 1 let. c LIA, l’impôt anticipé sur les autres revenus de capitaux mobiliers et sur les gains faits dans les loteries échoit trente jours après la naissance de la créance fiscale (cf. art. 12 LIA). L’échéance de l’impôt au sens de cette disposition détermine le moment auquel le contribuable doit exécuter son obligation fiscale et à partir duquel l’AFC peut exiger que la créance fiscale soit acquittée. La notion d’échéance de l’impôt anticipé au sens de l’art. 16 LIA doit dès lors être distinguée de la notion d’échéance de la prestation imposable au sens de l’art. 12 LIA qui fait naître la créance fiscale. Dès l’échéance du délai de trente jours de l’art. 16 al. 1 let. c LIA, un intérêt moratoire de 5% l’an est dû, sans sommation, sur les montants d’impôt impayés (art. 16 al. 2 LIA en relation avec l’art. 1 al. 1 de l’ordonnance sur l’intérêt moratoire en matière d’impôt anticipé du 29 novembre 1996 [RS 642.212]). Ledit intérêt ne revêt pas de caractère pénal et est dû indépendamment de toute faute du contribuable. Il est même perçu lorsque le contribuable n’était pas en mesure de s’acquitter plus tôt de son obligation fiscale ou lorsque la créance fiscale n’a pas encore été fixée dans une décision entrée en force.

D’après la pratique dite « de l’extourne » (Stornopraxis), l’annulation de prestations exécutées, et donc imposables, est exceptionnellement admise aux conditions suivantes : (1) la prestation imposable est comptabilisée avant tout contrôle effectué par l’administration fiscale et (2) la comptabilisation de cette prestation intervient correctement au cours de l’exercice comptable concerné, à tout le moins avant l’approbation des comptes par l’assemblée générale, et ce, au plus tard un an après la fin de l’exercice comptable concerné. Ainsi donc, lorsque la mesure rectificative intervient seulement après un contrôle effectué par l’administration, il n’y a en principe pas lieu de tenir compte des corrections apportées.

En l’espèce,

ainsi que le relèvent les deux parties, le litige porte principalement sur deux questions. La Cour de céans doit ainsi déterminer s’il existe, ou non, une prestation appréciable en argent lorsqu’une société – la recourante -, réalisant des pertes, verse à son actionnaire des intérêts supérieurs à ceux admis par les lettres-circulaires de l’AFC sur les taux déterminants pour le calcul des prestations appréciables en argent. Dans ce prolongement, il s’agit de décider si le fait d’extourner après coup des intérêts excessifs, en comptabilisant en 2011 un bénéfice extraordinaire correspondant, supprime, ou non, les prestations appréciables en argent et, partant, les créances d’impôt anticipé pour les exercices 2007 à 2010.

La Cour de céans constate que la recourante ne conteste ni le prêt accordé par son actionnaire, ni – semble-t-il – la perception desdits intérêts par le prêteur. Au vu des développements de la recourante dans son mémoire, la Cour de céans retiendra en outre qu’elle ne nie pas l’existence d’une divergence entre les taux d’intérêts qu’elle a appliqués au prêt pour les exercices 2007 à 2010 et les taux de référence prévus par l’administration pour les exercices considérés, ni même, en particulier, le pourcentage retenu par l’administration dans ses lettres-circulaires pour les taux de référence. La recourante soutient, en revanche et pour l’essentiel, que l’absence de bénéfice durant les années 2007 à 2010 implique l’absence de prestations appréciables en argent, ce qu’il convient donc tout d’abord d’analyser.

Cela étant précisé, la reconnaissance – expresse ou implicite – de l’irrespect des taux des lettres-circulaires de l’AFC par la recourante entraîne l’application de la présomption réfragable d’existence d’une prestation appréciable en argent. En d’autres termes, le fardeau de la preuve est renversé en sa défaveur. Il lui revient donc, autrement dit, de démontrer que la prestation octroyée au prêteur – l’actionnaire – reste conforme au principe de pleine concurrence, c’est-à-dire demeure admissible malgré une divergence avec les taux « ordinaires » prévus par les lettres-circulaires de l’AFC.

En premier lieu, s’agissant des conditions de la prestation appréciable en argent, la réalisation effective d’un bénéfice n’est pas indispensable pour retenir une distribution dissimulée de bénéfices. Cela vaut d’autant plus lorsque la prestation appréciable en argent prend la forme d’un taux d’intérêt surfait appliqué au prêt accordé par l’actionnaire unique de la société contribuable. Il suffit, à cet égard, que la société subisse un désavantage économique, lequel doit trouver son fondement dans les rapports de participation. Peu importe également la manière dont intervient cet appauvrissement, qu’il s’agisse d’une perte ou d’un manque à gagner. L’élément déterminant pour que la comptabilisation d’un taux d’intérêt ne respectant pas les lettres-circulaires de l’AFC n’entraîne pas l’existence d’une prestation appréciable en argent demeure, en définitive, la démonstration du respect du principe de pleine concurrence.

Or, force est de constater, alors même que le fardeau de la preuve incombe à la recourante, qu’elle n’apporte au Tribunal de céans aucun élément lui permettant de retenir que les prestations appréciables en argent – les intérêts élevés en faveur de l’actionnaire – seraient conformes au principe de libre concurrence pour les années 2007 à 2010.

En référence à l’art. 675 al. 2 CO, la Cour de céans remarque, de surcroît, que le versement d’un dividende n’est – même du point de vue civil – pas uniquement conditionné par la réalisation d’un bénéfice, mais que des réserves peuvent être constituées à cet effet. De toute manière, les conditions civiles régissant le versement d’un dividende ne sauraient être directement déterminantes sous l’angle de l’impôt anticipé. L’élément à cet égard décisif reste bien plus l’examen des conditions, à l’aune du droit fiscal, d’une prestation appréciable en argent pour les exercices considérés.

La recourante s’est donc appauvrie en concédant un avantage à son actionnaire qu’elle n’aurait pas accordé à un tiers dans les mêmes conditions. Elle ne conteste du reste pas les pertes, mais tente bien plus de s’en prévaloir pour obtenir la non-taxation à titre d’impôt anticipé de la différence entre le taux d’intérêt admissible et le taux d’intérêt qu’elle a appliqué. L’on ne saurait d’ailleurs déduire de la référence à ces pertes un argument en faveur du respect du principe de pleine concurrence par la recourante, en ce sens que les pertes justifieraient l’application d’un taux d’intérêt plus élevé en faveur du tiers.

S’agissant enfin du caractère reconnaissable, pour les organes de la société, de la nature insolite de la prestation appréciable en argent faite à l’actionnaire (consid. 2.2.3 ci-avant), l’administrateur – et mandataire professionnel présent lors du contrôle de l’AFC (dossier autorité inférieure, pièce 1) – ne pouvait, de l’avis de la Cour de céans, raisonnablement ignorer les incidences, du point de vue de l’impôt anticipé, de l’application d’un taux surfait.

Vu les différents éléments qui précèdent, la recourante a donc échoué à renverser la présomption découlant de l’application de taux d’intérêts trop élevés par rapport aux directives de l’AFC. Partant, le Tribunal de céans considère que les intérêts comptabilisés pour les années 2007 à 2010 et dépassant les taux prévus par les lettres-circulaires de l’AFC constituent des prestations en argent imposables.

Il reste cependant encore à examiner si, en extournant – respectivement « en réintégrant » pour reprendre les termes de la recourante – les intérêts en tant que « bénéfice extraordinaire » en 2011, la société a valablement corrigé rétroactivement l’imposition dont elle a fait l’objet pour les années 2007 à 2010 en raison des intérêts excessifs.

L’argument soulève les questions de l’extourne, de la naissance de la créance fiscale, de l’échéance de la créance fiscale et, dans leur prolongement, des intérêts moratoires.

S’agissant tout d’abord de l’extourne des intérêts excessifs comptabilisés pour l’exercice 2011, la Cour de céans est d’avis que l’on ne saurait autoriser ici la pratique – exceptionnelle – de l’extourne. En effet, la correction entreprise par la recourante, dont il est établi qu’elle a été annoncée à l’autorité inférieure – certes à une date inconnue entre le 26 juin 2012 et le 8 novembre 2012 – est, en particulier, postérieure au contrôle de l’AFC effectué en date du 4 juin 2012 déjà.

En lien avec la naissance de la créance fiscale, la Cour de céans rappelle que l’échéance de la prestation imposable (cf. art. 12 al. 1 LIA) se détermine, en principe, d’après les règles de droit civil. Comme date déterminante, l’AFC a retenu le 31 décembre de chaque exercice comptable pour les années 2007 à 2010. Cette manière de faire ne prête pas le flanc à la critique, également dans la mesure où l’art. 314 al. 2 CO dispose que, sauf convention contraire, les intérêts stipulés pour le contrat de prêt de consommation se paient annuellement. Pour la présente cause, il y a donc lieu de considérer que les créances fiscales, pour les années considérées, sont nées respectivement le 31 décembre 2007, le 31 décembre 2008, le 31 décembre 2009 et le 31 décembre 2010. Ces créances ne sont pas prescrites, compte tenu également des interventions de l’AFC tendant à obtenir le paiement de la créance fiscale auprès de la recourante (cf. art. 17 al. 1 et 3 LIA). A juste titre, la recourante ne soulève ainsi pas l’argument de la prescription.

Concernant l’échéance de l’impôt anticipé, les dates implicitement retenues par l’AFC en rapport avec l’intérêt moratoire, soit respectivement le 30 janvier 2008, le 30 janvier 2009, le 30 janvier 2010 et le 30 janvier 2011, elles ne prêtent pas non plus le flanc à la critique (décision attaquée, p. 2). Elles consacrent du reste une application correcte de l’art. 16 al. 1 let. c LIA en relation avec la date retenue pour la naissance de la créance fiscale. Comme pour la date de la naissance de la créance fiscale , la recourante ne critique d’ailleurs pas spécifiquement, en tout cas pas d’une manière suffisamment explicite, le choix des dates retenues par l’administration pour l’échéance de l’impôt anticipé.

S’agissant finalement des intérêts moratoires, les prestations appréciables en argent étant en la présente cause confirmées, le Tribunal de céans constate que lesdits intérêts ont été correctement calculés et que la recourante ne les conteste d’ailleurs pas. En outre, tant la naissance de chaque créance fiscale que l’échéance de l’impôt anticipé ont été correctement déterminées par l’autorité inférieure. Le taux de 5% appliqué à partir respectivement du 31 janvier 2007, du 31 janvier 2008, du 31 janvier 2009 et du 31 janvier 2010 correspond finalement aux dispositions légales pertinentes.

Les considérants qui précèdent conduisent le Tribunal de céans à rejeter le recours et à confirmer la décision de l’AFC.

(Arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1427/2016 du 9 août 2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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