Le 17 juin 2015, le Conseil d’Etat de la République et canton de Genève (ci-après: le Conseil d’Etat) a déposé un projet de loi (PL 11685) modifiant la loi genevoise du 27 septembre 2009 sur l’imposition des personnes physiques (LIPP/GE; RSGE D 3 08) autorisant la déduction des frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail jusqu’à concurrence de CHF 500.—au maximum.
A.________ (la recourante) est une ressortissante suisse domiciliée en France, à plus de 30 km de Genève, localité où elle se rend quotidiennement pour travailler. Elle a opté pour le statut de quasi-résidente lui permettant de porter en déduction de ses revenus imposés à la source et perçus à plus de 90% en Suisse les mêmes déductions que celles des contribuables domiciliés en Suisse. Par acte du 16 novembre 2016, elle a interjeté recours auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice de la République et canton de Genève, recours partiellement admis par la Cour de justice le 3 août 2017 concernant la date d’entrée en vigueur de la loi.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais, outre l’effet suspensif, d’annuler l’arrêt de la Cour de justice du 3 août 2017, ainsi que la loi 11685. Par ordonnance du 26 septembre 2017, le Président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête d’effet suspensif.
La recourante, qui exerce une activité lucrative dépendante dans le canton de Genève, est assujettie à l’impôt à raison d’un rattachement économique entraînant une imposition limitée dans ce canton (art. 3 al. 1 let. e LIPP/GE) et en Suisse (art. 5 al. 1 let. a de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD ; RS 642.11)).
En vertu de l’art. 17 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Confédération suisse et la République française en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (RS 0.672.934.91; ci-après: CDI CH-FR), sous réserve d’exceptions qui ne trouvent pas application en l’espèce, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un Etat contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre Etat contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat. Sur le vu de ce qui précède, les rémunérations reçues en Suisse au titre d’un emploi salarié sont donc imposables dans ce pays (et dans le canton de Genève) tant du point de vue du droit interne que du droit international.
Plus particulièrement, la recourante est imposé à la source, et bénéficie d’un statut de quasi-résident. En effet, en principe, le contribuable imposé à la source dans le canton de Genève au titre de travailleur qui n’est ni domicilié ni en séjour en Suisse, ne peut pas, contrairement au contribuable soumis au régime d’imposition ordinaire, obtenir la déduction de ses dépenses effectives en matière de frais professionnels (art. 9 LIPP/GE), puisque ces dépenses sont déjà comprises forfaitairement dans le barème. Toutefois, pour les frontaliers qui perçoivent plus de 90% de leurs revenus en Suisse, le Tribunal fédéral, en application de l’ALCP (art. 2 ALCP et 9 par. 2 annexe I ALCP), a jugé que ceux-ci devaient être qualifiés de quasi-résidents et être traités comme des contribuables résidents. Ils doivent donc notamment avoir la possibilité de faire valoir les dépenses effectives pour les frais de déplacement nécessaires entre leur lieu de résidence et leur lieu de travail (ATF 136 II 241 consid. 15.1; cf. également l’art. 35a al. 1 de la loi du 16 décembre 2016 sur la révision de l’imposition à la source du revenu de l’activité lucrative [FF 2016 8659] dont l’entrée en vigueur est prévue au plus tôt pour le 1 er janvier 2020 et qui codifie cette jurisprudence), comme le permet le régime ordinaire d’imposition.
Selon le régime ordinaire d’imposition, l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques y compris les prestations en nature (art. 7 LHID; art. 17 LIPP/GE; cf. également art. 16 LIFD). L’imposition ordinaire ne frappe toutefois que le revenu net qui se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 9 et 10 de la loi du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14)), respectivement 29 à 37 LIPP/GE (cf. art. 9 al. 1 phr. 1 LHID, art. 28 LIPP/GE; également 25 ss LIFD). Lorsqu’il exerce une activité lucrative dépendante, le contribuable peut, de manière générale, déduire les dépenses nécessaires à l’acquisition du revenu (art. 9 al. 1 phr. 1 LHID; 29 al. 1 let. c LIPP/GE; art. 26 al. 1 let. c LIFD). Cela inclut en particulier les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail (art. 9 al. 1 LHID; art. 29 al. 1 let. a LIPP/GE; art. 26 al. 1 let. a LIFD).
Par votation du 9 février 2014, la majorité du peuple et des cantons suisses a accepté l’arrêté fédéral du 20 juin 2013 portant règlement du financement et de l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (RO 2015 645). Se fondant sur le mandat constitutionnel figurant à l’art. 87a Cst. (financement de l’infrastructure ferroviaire) contenu dans cet arrêté, l’Assemblée fédérale a arrêté la loi fédérale du 21 juin 2013 sur le fonds de financement de l’infrastructure ferroviaire (RO 2015 661). Cette loi a eu pour conséquence de modifier différentes autres lois (cf. RO 2015 651), dont notamment la LIFD et la LHID. Ainsi, la nouvelle teneur de l’art. 26 al. 1 let. a LIFD prévoit que les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail jusqu’à concurrence de 3’000 fr. peuvent être déduits au titre des frais professionnels. Quant à l’art. 9 al. 1 LHID, il dispose dorénavant que les dépenses nécessaires à l’acquisition du revenu et les déductions générales sont défalquées de l’ensemble des revenus imposables. Un montant maximal peut être fixé pour les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail. Toutes les dispositions précitées sont entrées en vigueur le 1 er janvier 2016.
C’est le nouvel art. 9 al. 1 LHID qui est à la base de la loi 11685 du 17 décembre 2015 faisant l’objet de la présente procédure. Le législateur genevois a décidé de faire application de la liberté conférée par la LHID et ainsi de limiter à un montant maximal de 500 fr. les déductions pour les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail des personnes exerçant une activité lucrative dépendante.
La recourante est d’abord d’avis que l’arrêt entrepris et, par conséquent, la loi 11685 violent le principe de non-discrimination contenu à l’art. 2 ALCP, ainsi qu’aux art. 9 par. 2 et 15 par. 2 annexe I ALCP. Comme l’a jugé le Tribunal fédéral (ATF 136 II 241 consid. 13.3, confirmé dans l’ATF 140 II 141 consid. 7.1.1) en se référant à la jurisprudence européenne, le fait pour un Etat membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est certes, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents. Comme on l’a cependant déjà relevé précédemment, il peut en revanche y avoir discrimination entre résidents et non-résidents si, nonobstant leur résidence dans des Etats membres différents, il est établi que, au regard de l’objet et du contenu des dispositions nationales en cause, les deux catégories de contribuables se trouvent dans une situation comparable. Cela est notamment le cas lorsque, comme dans l’ATF 136 II 241, le non-résident tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’Etat d’emploi. Le fait que l’Etat d’emploi traite ces contribuables non-résidents différemment de personnes résidentes également occupées sur son territoire constitue alors une discrimination contraire à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement. La CJCE (et à sa suite le Tribunal fédéral) a jugé qu’il n’existait aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l’imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable entre un résident et un tel non-résident.
En application de ce qui précède et à l’inverse de ce qu’avance la recourante, la situation des résidents n’est donc pas différente de celle des quasi-résidents. Il convient ainsi de les traiter de la même manière pour éviter toute discrimination. Or, contrairement à l’état de fait prévalant dans l’ATF 136 II 241, où les quasi-résidents étaient traités différemment des résidents en ce que toute déduction supplémentaire par rapport aux déductions comprises dans le barème applicable de l’impôt à la source leur était refusée, la loi 11685 ne fait aucune différence entre les résidents et les non-résidents. Elle traite tous les contribuables de la même manière, sans aucune distinction de leur nationalité ou de leur lieu de domicile et ne réserve aucun avantage fiscal aux seuls résidents d’un Etat membre. Les éventuelles différences de déductions pouvant exister entre contribuables résidents et non-résidents ne sont pas la conséquence du système fiscal, mais de l’offre de transports publics, respectivement du choix du contribuable dans la détermination de son domicile et l’absence de prise en compte de cette offre.
La recourante se plaint ensuite d’une entrave à la libre circulation. Selon elle, la déduction entière des frais réels de déplacement des contribuables frontaliers quasi-résidents exerçant une activité lucrative dépendante conditionne l’accès au marché du travail en Suisse.
En l’occurrence, la loi 11685 constitue une réglementation limitant la possibilité offerte aux résidents et quasi-résidents exerçant une activité lucrative dépendante et imposés dans le canton de Genève de déduire un montant pour les trajets qu’ils effectuent entre leur domicile et leur lieu de travail. On ne saurait voir là une entrave à la libre circulation des personnes, en ce sens que des contribuables établis dans un pays de l’Union européenne seraient dissuadés de venir travailler en Suisse du fait que cela les priverait de la possibilité de déduire de leurs revenus une éventuelle part des dépenses consenties pour leurs trajets entre leur domicile et leur lieu de travail. La réglementation en cause permet bien plus à ceux-ci, ainsi qu’à toutes les autres personnes physiques salariées imposées dans le canton de Genève, de déduire un montant pour les trajets effectués afin d’obtenir leur revenu. Certes, le montant déductible est limité à 500 francs. Toutefois, cette limitation ne constitue pas non plus à elle seule une entrave à la libre circulation. En faisant le choix de vivre, respectivement de travailler à une distance relativement importante du canton de Genève, les quasi-résidents et les résidents travaillant dans un autre canton acceptent d’éventuellement ne pas pouvoir déduire l’entier de leurs dépenses de déplacements. Comme on l’a vu précédemment, tous les contribuables, qu’ils soient résidents ou non, travaillant à une distance relativement importante de leur lieu d’habitation, se verront limités dans leurs déductions. Partant, il n’est pas non plus nécessaire de trancher le point de savoir si de telles restrictions sont de manière générale prohibées par l’ALCP.
Citant les art. 8 et 127 al. 2 Cst., la recourante fait encore valoir une violation des principes de l’égalité de traitement, de la généralité de l’impôt et de l’imposition selon la capacité contributive.
En vertu de l’art. 127 al. 2 Cst., dans la mesure où la nature de l’impôt le permet, les principes de l’universalité, de l’égalité de traitement et de la capacité économique doivent, en particulier, être respectés. En vertu des principes de l’égalité d’imposition et de l’imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable; lorsqu’ils sont dans des situations de faits différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et être adaptée. Ainsi, d’après le principe de la proportionnalité de la charge fiscale à la capacité contributive, chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens.
On ne peut décider sur la base de critères formels si une loi fiscale satisfait aux exigences constitutionnelles précitées car cette question dépend de celle de savoir si la loi est juste. La réponse à cette question évolue avec les circonstances politiques, sociales et économiques. Il convient à cet égard d’éviter la tendance naturelle à n’examiner le respect d’un principe constitutionnel qu’isolément sans prendre en considération la pluralité des principes exprimés par la Constitution, qui ne valent jamais sans exception et entrent parfois en contradiction les uns avec les autres. L’interprétation de la Constitution se doit de ménager et d’aménager ces principes en créant entre eux une concordance pratique.
C’est par conséquent, du point de vue démocratique, au législateur fiscal (art. 127 al. 1 Cst.) qu’il appartient d’aménager le système fiscal, d’arbitrer les conflits de valeurs et de concrétiser les principes d’imposition de façon à conférer précision, prévisibilité et sécurité à la réglementation fiscale. Le législateur dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation étendu. Sous cet angle, la comparaison verticale, c’est-à-dire entre contribuables ayant une capacité économique différente est plus difficile à établir que ne l’est la comparaison horizontale c’est-à-dire entre contribuables jouissant de la même capacité économique. Néanmoins, dans les rapports horizontaux, le principe de l’imposition selon la capacité économique n’exige pas une imposition absolument identique, la comparaison étant également limitée dans ce cas. Dans l’examen de dispositions légales inévitablement imparfaites, le juge constitutionnel doit par conséquent faire preuve d’une certaine retenue sous peine de courir le danger de créer une nouvelle inégalité alors qu’il cherche à obtenir l’égalité entre deux catégories de contribuables. Il ne peut pas s’écarter à la légère des règles légales édictées par le législateur.
En l’occurrence, on rappellera que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu’en soit l’origine, avant déductions (art. 7 al. 1 LHID; art. 17 LIPP/GE) et que le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 29 à 37 LIPP/GE (art. 28 LIPP/GE), dont notamment les frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail (art. 29 al. 1 let. a LIPP/GE).
Dans sa motivation, la recourante n’explique pas clairement si c’est la comparaison verticale ou horizontale qui lui paraît ne pas respecter le principe de la capacité contributive et de l’égalité de traitement. On peut néanmoins retenir que, lorsqu’elle parle de discrimination des quasi-résidents par rapport aux résidents, elle entend s’en prendre à la comparaison horizontale, c’est-à-dire l’imposition prétendument différente des quasi-résidents ayant une capacité contributive semblable aux résidents. Or, contrairement à ce que semble penser la recourante, un quasi-résident qui dispose d’une capacité contributive semblable à un résident sera imposé de la même manière. Les deux ne pourront faire valoir qu’un montant maximal de 500 fr. de frais de déplacement. Certes, il n’est pas exclu qu’en raison de la limitation à 500 fr. précitée, un contribuable qui peut se rendre sur son lieu de travail à Genève au moyen des transports publics ou qui n’a que quelques kilomètres à parcourir avec son véhicule privé se verra imposé de manière plus conforme à sa capacité contributive qu’une personne effectuant d’importants trajets pour se rendre sur son lieu de travail. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue que le juge constitutionnel doit faire preuve d’une certaine retenue et accepter un certain schématisme dans la façon d’imposer les contribuables. Ainsi, même si elle n’est que peu élevée, la limitation à 500 fr. des déductions pour frais de déplacement n’est pas à ce point insignifiante qu’elle ne prendrait pas en compte la capacité contributive des contribuables genevois. En tout état de cause, on ajoutera que même si l’on doit reconnaître que la limitation des déductions pour frais de déplacement nécessaires entre le domicile et le lieu de travail pourrait contrevenir au principe de la capacité contributive, force serait de constater que, selon l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Or, les art. 26 al. 1 let. a LIFD (quant à l’impôt fédéral direct) et 9 al. 1 phr. 2 LHID (quant aux impôts cantonaux) permettent expressément une telle limitation. De plus, en matière d’impôt fédéral direct, la limitation précitée a pour fondement la nécessité d’accumuler des moyens financiers afin d’améliorer l’infrastructure ferroviaire, mais également de réduire le nombre de pendulaires. Il s’agit de buts sans composante fiscale qui peuvent certes être contraires au système, mais qui ne sont pas pour autant anticonstitutionnels. Un tel raisonnement est également valable en matière d’impôt cantonal.
Le recours est donc rejeté.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_735/2017 du 6 février 2018)
Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Yverdon