Trading, capital propre dissimulé et preuve du financement conforme au marché

Aux termes de l’art. 29 al. 1 LHID, l’impôt sur le capital a pour objet le capital propre. S’agissant des sociétés de capitaux, le capital propre imposable comprend le capital-actions ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 29 al. 2 let. a LHID). Intitulé “Objet de l’impôt; capital propre dissimulé”, l’art. 29a LHID dispose que le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui est économiquement assimilable au capital propre.

Le financement étranger est considéré comme économiquement assimilable au capital propre lorsque la société obtient l’apport des fonds en question d’un détenteur de parts ou d’une personne qui lui est proche, qu’elle n’aurait pas pu, par ses propres moyens, obtenir les fonds nécessaires de la part de tiers et qu’elle expose les fonds au risque inhérent à la marche des affaires dans une mesure inhabituelle. Les deux dernières conditions sont interdépendantes, dans la mesure où si un tiers indépendant ne prendrait pas le risque d’accorder un prêt de cette ampleur, il en découle en principe que les fonds en cause sont exposés dans une mesure inhabituelle.

Le capital propre dissimulé se détermine donc en comparant les fonds étrangers figurant au bilan avec ceux que la société, au vu de ses actifs, pourrait obtenir auprès de personnes indépendantes. Dans la mesure où les premiers dépassent les seconds et qu’ils proviennent d’une personne proche de la société, il s’agit de capital propre dissimulé (cf. notamment RDAF 2012 II 429). La preuve qu’un tiers indépendant aurait octroyé un prêt dans des circonstances identiques et que le rapport de financement est donc conforme au marché est réservée.

L’art. 29a LHID est une norme correctrice fiscale à rattachement économique qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1995 (RO 1995 1450). L’existence de capital propre dissimulé doit partant être examinée sous un angle économique et ne requiert plus que les conditions d’une évasion fiscale soient réunies. La notion a donc été objectivée.

L’Administration fédérale des contributions a précisé les éléments constitutifs du capital propre dissimulé dans la Circulaire no 6 du 6 juin 1997 relative au capital propre dissimulé de sociétés de capitaux et de sociétés coopératives. Bien que cette Circulaire ait été émise en relation avec l’art. 65 LIFD et l’ancien art. 75 LIFD, le Tribunal fédéral, qui n’est pas lié par ce texte, s’y est toujours référé aussi dans le cadre de l’art. 29a LHID.

Pour établir si et dans quelle mesure une société possède du capital propre dissimulé, la Circulaire prévoit qu’il faut partir de la valeur vénale des actifs et fixe sur cette base les fonds étrangers que la société peut obtenir par ses propres moyens sous la forme d’un tableau. Dans ce tableau, est attribué à chaque catégorie d’actifs un pourcentage de sa valeur vénale représentant le montant maximum que la société pourrait obtenir d’un tiers (Circulaire, ch. 2.1).

En particulier, les “stocks de marchandises” sont supposés permettre à la société qui en est propriétaire d’obtenir des fonds étrangers à concurrence de 85 % de leur valeur vénale, tout comme les “créances pour livraisons et prestations”, les “autres créances” et les “autres actifs circulants”, alors que, pour les “liquidités”, ce pourcentage s’élève à 100 %.

La différence entre le prêt (dette) au bilan et le montant maximum ainsi déterminé, dans la mesure où les moyens en question ont été fournis par des détenteurs de parts ou des personnes qui leur sont proches, représente le capital propre dissimulé.

Concernant l’origine du financement étranger, la Circulaire retient que “seuls les fonds qui proviennent directement ou indirectement de détenteurs de parts ou de personnes qui leur sont proches peuvent constituer du capital propre dissimulé. Il n’y a pas de capital propre dissimulé si le capital étranger est fourni par des tiers indépendants et que ni les détenteurs de parts ni des personnes qui leur sont proches ne le garantissent. Demeure réservée la preuve qu’un rapport concret de financement est conforme aux conditions du marché” (Circulaire, ch. 2.1).

Dans le cas d’espèce, les autorités cantonales ont procédé à la comparaison, prescrite par l’art. 29a LHID, entre les fonds étrangers figurant au bilan de la recourante ( = la contribuable) et ceux qu’elle aurait pu obtenir, au vu de ses actifs, auprès de personnes indépendantes. [Elles ont alors abouti à divers montants de capital propre dissimulés pour les exercices en cause].

La recourante ne conteste ni la qualité de “personne proche” des créanciers qui ont fourni les fonds litigieux, ni les montants sur lesquels se sont fondées les autorités précédentes pour calculer le capital propre dissimulé de la Société en 2006 et en 2007. Elle critique uniquement la façon dont la Cour de justice a appliqué les “ratios” prévus par la Circulaire (100 % pour les liquidités et 85 % pour les autres actifs).

Selon la contribuable, il ne serait pas possible de se fonder sur ces pourcentages en l’espèce, au vu de ses activités très spécifiques dans le domaine du trading. En particulier, les prêts qu’elle avait reçus de ses actionnaires (les sociétés du groupe Z.________) en 2006 et 2007, auraient été conformes aux conditions du marché, ce qui serait propre à exclure l’application de la Circulaire à son cas. Finalement, si le Tribunal fédéral devait parvenir à la conclusion inverse, la recourante “estime qu’un ratio de 93 % de fonds étrangers” devrait être admis dans sa situation, “car il correspond aux conditions de marché” relatives à ses activités.

En l’occurrence, l’argumentation de la contribuable concernant l’établissement de son capital propre dissimulé pour les années fiscales 2006 et 2007, repose entièrement sur l’affirmation selon laquelle les créances contractées par la Société envers ses actionnaires pendant les années en question auraient été conformes aux conditions du marché, en l’absence de toute forme de sous-capitalisation, ce qui exclurait l’application de la Circulaire.

La jurisprudence relative à la Circulaire et à la notion de capital propre dissimulé prévoit effectivement la possibilité pour le contribuable de prouver qu’un rapport concret de financement allant au-delà des taux prévus par la Circulaire est conforme aux conditions du marché.

A ce sujet, la Cour de justice du canton de Genève a toutefois constaté – sans arbitraire – que la recourante n’avait pas prouvé que, pendant la période litigieuse, elle aurait pu obtenir d’un tiers indépendant un financement dans les mêmes conditions que celui octroyé par ses actionnaires et que les fonds mis à sa disposition par les sociétés du groupe Z.________ étaient donc conformes aux conditions du marché.

Plus précisément, la Cour de justice a constaté que la recourante n’avait produit, à titre de moyen preuve, qu’un article publié par la Swiss Trading and Shipping Association (recte: Geneva Trading and Shipping Association; ci-après: GTSA), “selon lequel il [était] usuel que les banques acceptent de financer les transactions sur les matières premières à hauteur de 100 % de la valeur des marchandises”. A ce sujet, les juges précédents ont relevé que ledit article, qui avait été “publié par une association de défense des intérêts des sociétés d’échanges commerciaux, écrit non par un expert indépendant mais par un professionnel de ce domaine, ne saurait revêtir une valeur probante suffisante” (arrêt attaqué, p. 25). Sur cette base, la Cour de justice a constaté que la recourante n’avait pas démontré qu’elle aurait pu obtenir d’un tiers indépendant un financement dans les mêmes conditions que celui accordé par les sociétés appartenant au groupe Z.________, actionnaires de l’intéressée.

Pour le Tribunal fédéral, à la lecture de la pièce litigieuse, force est de constater qu’il s’agit d’un article en anglais, publié en septembre 2013 par une association réunissant des professionnels du commerce international, concernant les spécificités des sociétés de trading. Il ne s’agit donc pas d’un document rédigé par un expert indépendant. En outre, il ne se réfère à aucun autre moyen de preuve ou donnée de référence et ne fait qu’exposer, de manière générale, les principes de financement valables – selon son auteur – dans le domaine du trading. Dans ces circonstances, on ne voit pas en quoi il serait arbitraire de relativiser la portée de l’article en question et, en l’absence d’autres éléments de preuve, de retenir, comme l’a fait la Cour de justice, que pendant la période litigieuse la Société n’aurait pas pu obtenir d’un tiers indépendant (notamment une banque) le même financement qu’elle avait reçu de ses actionnaires.

Il n’apparaît ainsi pas arbitraire de retenir que le fait d’alléguer, de manière générale, sur la base d’un article isolé ne citant aucune donnée de référence et n’émanant pas d’un auteur indépendant, que les banques fournissent usuellement des financements de cette ampleur à des sociétés actives dans le domaine du trading, n’était pas apte à démontrer que la recourante aurait pu concrètement profiter d’un tel financement pendant les années fiscales litigieuses.

Il en résulte que c’est à juste titre que la Cour de justice a confirmé l’application des taux concernant les fonds étrangers admissibles prévus par la Circulaire.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_814/2015, 2C_815/2015 du 20 avril 2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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