Impôt sur la fortune : imposition confiscatoire, garantie de la propriété

img_6216En vertu de l’art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst), la propriété est garantie.

De jurisprudence constante, en matière fiscale, ce droit fondamental ne va toutefois pas au-delà de l’interdiction d’une imposition confiscatoire. Ainsi, une prétention fiscale ne doit pas porter atteinte à l’essence même de la propriété privée (cf. art. 36 al. 4 Cst.). Il incombe au législateur de conserver la substance du patrimoine du contribuable et de lui laisser la possibilité d’en former un nouveau.

Pour juger si une imposition a un effet confiscatoire, le taux de l’impôt exprimé en pour cent n’est pas seul décisif; il faut examiner la charge que représente l’imposition sur une assez longue période, en faisant abstraction des circonstances extraordinaires; à cet effet, il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances concrètes, la durée et la gravité de l’atteinte ainsi que le cumul avec d’autres taxes ou contributions et la possibilité de reporter l’impôt sur d’autres personnes.

Le Tribunal fédéral a notamment jugé que l’essence de la propriété privée n’est pas touchée si, pendant une courte période, le revenu à disposition du contribuable ne suffit pas à s’acquitter de la charge fiscale sans entamer la fortune (ATF 106 Ia 342 consid. 6c p. 353; arrêt 2C_277/2008 du 26 septembre 2008 consid. 4.1, in RDAF 2007 I 573).

Dans le cas d’espèce :

Quand bien même le pourcentage de l’impôt dû au canton de Genève pour la période fiscale 2009 dépasse en l’espèce de 200 % le revenu imposable des recourants pour cette même période, cela ne suffit pas à qualifier l’imposition en cause de confiscatoire au sens de la jurisprudence.

En effet, les recourants perdent de vue que leur charge fiscale pour la période fiscale 2009 est constituée pour une grande partie de l’impôt sur la fortune prélevé sur la valeur de leurs actions. Cet impôt vise la substance de la fortune à la différence de l’impôt sur le revenu. On ne saurait par conséquent le rapporter au seul rendement de la fortune en ce sens qu’il serait exclu de prélever l’impôt en partie sur la substance de cette fortune.

Ce n’est que lorsque l’imposition, y compris l’impôt sur la fortune, dépasse durablement les revenus, y compris les rendements provenant de la fortune, qu’il y a lieu de constater que la fortune est à ce point entamée que l’imposition doit être qualifiée de confiscatoire.

C’est précisément la raison pour laquelle l’examen du caractère, le cas échéant, confiscatoire de l’imposition, doit d’emblée être étendu non pas à une seule période mais bien à plusieurs périodes. S’il fallait s’en tenir à une seule période s’agissant du seul impôt sur la fortune et en limiter la charge auprès du contribuable au seul rendement de celle-ci, alors l’impôt sur la fortune devrait être qualifié, contrairement à la logique du système, non plus d’impôt sur la substance, comme l’a voulu le législateur fédéral, mais d’impôt sur le revenu.

Par conséquent, dès lors que l’impôt sur la fortune a pour objet la substance de celle-ci et que c’est précisément en fonction du montant de celle-ci que s’établit la capacité contributive et dès lors que ce n’est que si les rendements de la fortune ne suffisent pas à couvrir la charge fiscale dans la durée que l’imposition doit être qualifiée de confiscatoire, on ne saurait déjà considérer que la garantie constitutionnelle de la propriété est violée lorsque, sur une seule période fiscale, la charge fiscale dépasse le rendement de la fortune.

A cela s’ajoute que, lorsqu’à la faveur d’une bonne conjoncture ou de bonnes affaires, la fortune augmente, année après année, et que l’imposition reste en-deçà de cette progression, on peut d’emblée nier le caractère confiscatoire de l’impôt. Ainsi en va-t-il de l’imposition de la valeur des actions, lorsqu’elle augmente parce que les bénéfices de la société sont thésaurisés au lieu d’être distribués. Dans ce cas, leur valeur intrinsèque progresse sans imposition de leur rendement, de sorte qu’en pareille hypothèse, une charge fiscale, même importante mais qui reste en-deçà des rendements thésaurisés, ne saurait être qualifiée de confiscatoire.

En l’espèce, pour la période fiscale 2009, les 75 actions des recourants, qui font l’objet de l’impôt sur la fortune et entrent dans la charge fiscale contestée, équivalent à la valeur de la société composée du cumul des bénéfices de celle-ci pour environ 26 millions de francs. En effet, de l’aveu même des recourants, les bénéfices n’ont pas ou que partiellement été distribués, de sorte qu’ils ont augmenté la valeur de celle-ci et par voie de conséquence, augmenté la valeur intrinsèque des actions des recourants pour la période 2009. L’objection selon laquelle le recourant n’avait pas de majorité lui permettant de faire voter une distribution de dividendes par l’assemblée générale n’a pas d’influence sur la valeur de ses actions. Il suffit en effet de constater qu’il en est bien propriétaire et qu’à ce titre, il ne s’agit pas d’expectatives non imposables. La charge fiscale en cause étant largement inférieure aux bénéfices thésaurisés, l’instance précédente pouvait confirmer, sans violer l’art. 26 Cst., que la charge fiscale des recourants pour la période fiscale 2009 n’était pas confiscatoire.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_826/2015 du 5 janvier 2017)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève et Yverdon

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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