[Le litige porte sur le refus, par l’Administration cantonale des impôts (ACI – VD), de l’exonération d’une fondation de l’impôt sur le bénéfice et le capital, respectivement du droit de mutation sur les transferts immobiliers et de l’impôt sur les successions et donations :]
Aux termes de l’art. 56 al. 1 LIFD, sont exonérées de l’impôt notamment les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts. Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d’intérêt public. L’acquisition et l’administration de participations en capital importantes à des entreprises ont un caractère d’utilité publique lorsque l’intérêt au maintien de l’entreprise occupe une position subalterne par rapport au but d’utilité publique et que des activités dirigeantes ne sont pas exercées (let. g). Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2006, cette disposition prévoit l’exonération des personnes morales qui poursuivent des buts “d’utilité publique”, alors que l’ancienne loi prévoyait des buts de “pure utilité publique”; cette modification rédactionnelle n’a toutefois aucune incidence pratique dans son application (cf. arrêt FI.2012.0008 du 14 janvier 2013 consid. 2a et la référence).
S’agissant du droit intercantonal respectivement cantonal, les art. 23 al. 1 let. f de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID; RS 642.14) et 90 al. 1 let. g LI ont une teneur identique à celle de l’art. 56 al. 1 let. g LIFD – à cette seule différence que sont toujours évoquées des activités de “pure utilité publique” dans le cadre de l’art. 90 al. 1 let. g LI; cette dernière disposition étant pour le reste calquée sur la disposition fédérale par l’effet de l’harmonisation verticale, les principes juridiques applicables en matière fédérale s’appliquent par analogie en matière cantonale (cf. arrêts FI.2012.0008 précité, consid. 2a; FI.2011.0028 du 25 janvier 2012 consid. 2 in fine).
A teneur de l’art. 1 de la loi vaudoise du 27 février 1963 concernant le droit de mutation sur les transferts immobiliers et l’impôt sur les successions et donations (LMSD ; RSV 648.11), l’Etat perçoit, en se conformant aux dispositions de la présente loi, un droit de mutation sur les transferts immobiliers entre vifs à titre onéreux (let. a) et un impôt sur les successions et sur les donations (let. b).
Le droit de mutation n’est toutefois pas perçu, en particulier, sur les transferts immobiliers à des institutions ayant leur siège dans le canton qui se vouent, d’une manière désintéressée, à la bienfaisance, à l’éducation, à l’instruction ou à d’autres buts de pure utilité publique, pour les immeubles directement affectés au but poursuivi; s’agissant d’immeubles de placement, le droit peut, selon les circonstances, être réduit ou supprimé (cf. art. 3 let. c LMSD). Dans le même sens, sont exemptés de l’impôt sur les successions et sur les donations notamment les institutions ayant leur siège dans le canton qui se vouent, d’une manière désintéressée, à la bienfaisance, à l’éducation, à l’instruction ou à d’autres buts de pure utilité publique (art. 20 al. 1 let. d LMSD).
Selon la jurisprudence, l’exonération d’une personne morale sur la base de l’art. 56 let. g LIFD suppose la réalisation de trois conditions générales: l’exclusivité de l’utilisation des fonds, l’irrévocabilité de l’affectation des fonds et l’activité effective de l’institution conformément à ses statuts; en outre, l’exonération fondée sur la poursuite de buts d’utilité publique (respectivement de pure utilité publique) suppose le respect de deux conditions spécifiques: l’exercice d’une activité d’intérêt général en faveur d’un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (cf. TF, arrêt 2C_484/2015 et 2C_485/2015 du 10 décembre 2015 consid. 5.3 et les références; cf. ég. arrêt FI.2012.008 précité, consid. 2b). Ces différentes conditions sont détaillées dans la circulaire n° 12 de l’AFC, du 8 juillet 1994 (ci-après: circulaire n° 12).
L’activité exonérée doit ainsi, en particulier, s’exercer exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun; le but poursuivi ne doit pas être lié à des buts lucratifs ou à d’autres intérêts de la personne morale, de ses membres ou de ses associés (circulaire n° 12, ch. II/2/b). Les buts visés doivent encore être effectivement poursuivis; le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l’impôt n’est pas suffisant (circulaire n° 12, ch. II/2/d). Pour que l’exonération soit accordée, l’autorité se basera ainsi sur l’activité statutairement prévue et exercée effectivement par la personne morale et sur l’affectation directe réelle des biens et bénéfices aux buts fiscalement favorisés.
La condition du désintéressement implique en outre que l’activité de l’institution se fonde sur l’altruisme – étant rappelé qu’un but est dit altruiste lorsqu’il vise des avantages exprimables en argent en faveur de tiers (cf. arrêt FI.2012.0008 précité, consid. 2b). Les membres dirigeants de la personne morale sont dès lors en principe tenus d’exercer leurs fonctions de manière bénévole, sous réserve d’un remboursement de leurs frais effectifs. Le désintéressement exige un sacrifice au profit de tiers, dans l’intérêt de la communauté, qui doit revêtir une certaine importance par rapport aux moyens dont dispose la personne morale; concernant le rapport entre les moyens de l’institution et son activité, la circulaire n° 12 précise (dans le cadre de l’exigence d’une activité effective; ch. II/2/d) que “les fondations qui ont pour but principal de constituer des capitaux en accumulant le produit de leurs placements (« fondation de thésaurisation ») sans commune mesure avec la réalisation de tâches futures, n’ont aucun droit à l’exonération” (cf. TF, arrêt 2C_484/2015 et 2C_485/2015, consid. 5.5.1).
Toute activité lucrative ne conduit pas au refus de l’exonération, pour autant que cette activité ne constitue pas le but final de l’institution et ne soit qu’un moyen d’atteindre son but d’utilité publique (circulaire n° 12, ch. II/3/b); si, dans l’exercice d’une activité lucrative accessoire, la personne morale couvre ses charges sans marge bénéficiaire, il s’agit d’un indice en faveur de l’exercice d’une activité compatible avec le but d’utilité publique (TF, arrêt 2C_251/2012 du 17 août 2012 consid. 3.1.1). Dans le même sens, l’administration de la fortune de la personne morale ne peut être considérée comme une activité annexe exclue de l’exonération au motif qu’elle ne poursuit pas en tant que telle un but de pure utilité publique (CR LIFD-Urech, art. 56 LIFD N 76).
S’agissant pour le reste de la participation de l’institution dans le capital d’entreprises, elle ne s’oppose pas à l’exonération de l’impôt lorsque les placements ne permettent pas d’exercer une influence sur la direction de l’entreprise concernée; la participation au capital ne doit par conséquent pas permettre d’influencer l’activité économique de cette dernière, ce qui implique une séparation claire entre le conseil de fondation de l’institution et le conseil d’administration de l’entreprise (qui doivent être indépendants l’un de l’autre) – une personne assurant les liaisons étant toutefois tolérée. En cas de participation importante, la loi exige en outre que l’intérêt visant au maintien de l’entreprise soit subordonné au but d’utilité publique. L’entreprise détenue doit donc fournir des contributions régulières et importantes à la fondation qui doit les consacrer effectivement à une activité altruiste et d’intérêt général, donc d’utilité publique
Une institution ne peut en principe bénéficier d’une exonération que si la réalisation de ses buts d’utilité publique est effectivement poursuivie pendant la période de calcul et de taxation, c’est à dire si son activité est actuelle; sauf exception (notamment s’agissant d’une courte “période de démarrage” à titre exceptionnel), le revenu et la fortune ne doivent donc pas seulement être destinés à des buts d’utilité publique, mais doivent être employés à la réalisation de ces buts pendant la période de calcul de l’impôt et celle de la taxation.
(Arrêt de la CDAP FI.2015.0031 du 03.05.2016)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève et Yverdon