Mission diplomatique, frontalier et clause du monteur

img_6083A.________, ressortissant suisse, est domicilié à B.________, en Haute-Savoie (France).

Selon contrat du 1er octobre 2011, A.________ est employé comme membre du personnel administratif par la délégation permanente de D.________ auprès d’une organisation internationale à Genève.

Le 22 novembre 2011, la Mission permanente de la Suisse auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève a adressé à D.________ en tant qu’employeur, ainsi qu’à A.________ en tant que contribuable, une information relative à la situation fiscale de l’intéressé. Il était indiqué que A.________ était entièrement soumis aux impôts suisses. Si D.________, qui n’y était pas tenue en raison du statut dont elle jouissait, ne prélevait pas l’impôt à la source, il appartenait à l’employé de s’annoncer auprès de l’Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l’Administration fiscale cantonale) pour déclarer ses revenus.

Par courriers des 23 mai, 14 juin, 28 juin et 20 juillet 2012, l’Administration fiscale cantonale a demandé à A.________ de produire sa déclaration fiscale pour l’impôt cantonal et communal (ci-après: ICC), ainsi que pour l’impôt fédéral direct (ci-après: IFD) pour la période fiscale 2011. Dans ses réponses des 29 mai, 20 juin, 2 juillet et 20 août 2012, A.________ a contesté devoir remplir une déclaration fiscale en Suisse au motif que sa résidence fiscale était en France, pays dans lequel il avait déjà satisfait, pour ses revenus 2011, à ses obligations fiscales.

Par bordereaux de taxation d’office du 13 septembre 2012, l’Administration fiscale cantonale a fixé l’ICC de A.________ pour l’année fiscale 2011 à 7’075.20 fr. et l’IFD à 1’539.75 fr., sur la base d’un revenu imposable de 37’500 fr. et d’une fortune de 50’000 fr. pour l’ICC et d’un revenu imposable de 37’500 fr. pour l’IFD.

A.________ conteste son assujettissement en Suisse.

La présente cause concerne donc l’assujettissement en Suisse de A.________ à l’impôt fondé sur la base d’un rattachement économique (art. 5 al. 1 let. a de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct [LIFD; RS 642.11]; art. 4 al. 2 let. a de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]) en l’absence de domicile ou de résidence en Suisse, et ce pour l’exercice 2011.

En présence d’une imposition comprenant des éléments d’extranéité, il convient d’établir en premier lieu si le droit interne prévoit une imposition. Ce n’est que lorsqu’il est établi qu’un impôt est dû en application du droit interne qu’il convient de se demander, dans un second temps, si le droit de prélever cet impôt est limité par une convention de double imposition. Une telle convention ne peut en effet ni créer ni élargir une imposition, mais seulement restreindre celle prévue par le droit interne.

Il s’agit donc de déterminer en premier lieu si le recourant, domicilié en France en 2011, peut être assujetti de manière limitée à l’impôt en Suisse pour l’année en question.

Le recourant ne peut pas bénéficier d’une exemption fiscale fondée sur les dispositions en matière de privilèges et immunités accordés aux membres du personnel des missions permanentes auprès des organisations intergouvernementales (cf. en particulier les dispositions de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’Etat hôte [LEH; RS 192.12] et son ordonnance d’application du 7 décembre 2007 [OLEH; RS 192.121], ainsi que de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques [RS 0.191.01], applicable par analogie [cf. art. 24 de l’Accord du 2 juin 1995 entre la Confédération suisse et l’Organisation mondiale du commerce en vue de déterminer le statut juridique de l’Organisation en Suisse; RS 0.192.122.632]).

En effet, en vertu de ces textes, les ressortissants suisses membres du personnel administratif et technique d’une mission permanente restent en principe soumis aux impôts en Suisse. L’exemption des impôts directs ne peut leur être accordée qu’à condition que le bénéficiaire institutionnel des privilèges et immunités qui les emploie ait introduit un système d’imposition interne (cf. art. 4 al. 2 LEH), ce qui, à teneur des constatations cantonales, n’est pas le cas de l’employeur du recourant.

D’après l’art. 5 al. 1 let. a LIFD, les personnes physiques qui, au regard du droit fiscal, ne sont ni domiciliées ni en séjour en Suisse, sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement économique notamment lorsqu’elles exercent une activité lucrative en Suisse. L’assujettissement est alors limité au revenu de l’activité lucrative (cf. art. 6 al. 2 LIFD).

Il est acquis que le recourant réside en France, mais qu’il a exercé durant l’année fiscale 2011 un emploi salarié en Suisse. Ainsi que l’a retenu la Cour de justice, les rémunérations qu’il a reçues à ce titre sont en conséquence en principe imposables en Suisse.

Encore faut-il déterminer si cette imposition n’est pas limitée par une disposition conventionnelle visant à restreindre ou éliminer une éventuelle double imposition internationale. Selon le recourant, l’art. 17 par. 2 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (RS 0.672.934.91; ci-après: la CDI CH-FR) s’opposerait à l’imposition en Suisse de ses revenus.

Les dispositions de l’Accord du 11 avril 1983 entre le Conseil fédéral suisse (au nom des cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura) et le Gouvernement de la République française relatif à l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers (FF 1983 II 559 s.) ne trouvent pas d’application dans le canton de Genève (cf. ATF 136 II 241 consid. 9.2 p. 243). Par ailleurs, l’Accord du 29 janvier 1973 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française sur la compensation financière relative aux frontaliers travaillant à Genève ne contient pas de dispositions particulières concernant l’imposition des revenus de l’activité salariée. Ce sont en conséquence les règles générales de l’art. 17 CDI CH-FR qui s’appliquent .

En vertu de l’art. 17 par. 1 CDI CH-FR, sous réserve d’exceptions qui ne concernent pas la présente cause, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un Etat contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre Etat contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat.

L’art. 17 par. 2 CDI CH-FR prévoit une exception au principe de l’imposition du revenu au lieu de l’exercice de l’activité salariale. D’après cette disposition, les rémunérations qu’un résident d’un Etat contractant (ici la France) reçoit au titre d’un emploi salarié exercé dans l’autre Etat contractant (ici la Suisse) ne sont imposables que dans le premier Etat si:

  1. a) le bénéficiaire séjourne dans l’autre Etat pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours au cours de l’année fiscale considérée;
  2. b) les rémunérations sont payées par un employeur ou au nom d’un employeur qui n’est pas résident de l’autre Etat; et
  3. c) la charge des rémunérations n’est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l’employeur a dans l’autre Etat.

Les trois conditions énoncées à l’art. 17 par. 2 CDI CH-FR sont cumulatives. Si elles sont réalisées, l’Etat de résidence du travailleur possède le droit d’imposer des rémunérations réalisées à titre de revenus de l’emploi dans l’autre Etat (cf. arrêt 2C_627/2011 du 7 mars 2012 consid. 7.2). A l’inverse, si une de ces conditions fait défaut, l’Etat d’activité peut imposer la totalité des rémunérations réalisées sur son territoire, dès le premier jour d’activité.

Le critère des 183 jours énoncé dans la première condition de l’art. 17 par. 2 CDI CH-FR se réfère au nombre de jours de présence physique sur le sol de l’Etat d’activité, étant précisé que les fractions de journée, jour d’arrivée, jour de départ et tous les autres jours passés à l’intérieur de l’Etat où l’activité est exercée sont inclus dans le calcul. Selon le texte de la CDI CH-FR, les jours sont décomptés sur l’année fiscale considérée (contrairement au texte du MC OCDE, qui permet la prise en compte d’un séjour de 183 jours à cheval sur deux périodes fiscales).

En l’espèce, la Cour de justice a relevé que l’engagement du recourant par D.________ pour une durée indéterminée impliquait une activité de 236 jours au cours de l’année dans le canton de Genève. Elle en a conclu que le seuil des 183 jours de séjour était largement dépassé et que le recourant ne pouvait partant pas se prévaloir de l’exception prévue à l’art. 17 par. 2 CDI CH-FR.

Une telle position ne peut être suivie. En effet, il résulte des faits de l’arrêt entrepris que le contrat d’engagement du recourant par D.________ à Genève est daté du 1 er octobre 2011. Il est donc envisageable que, comme il le prétend, le recourant n’ait pas effectué 183 jours d’activité en Suisse en 2011. L’arrêt entrepris ne contient toutefois aucune indication sur une éventuelle activité du recourant en Suisse avant le 1 er octobre 2011. Dès lors qu’il convient d’examiner les jours de travail effectués par le recourant sur l’année fiscale 2011, la référence par la Cour de justice au fait que le contrat du recourant d’octobre 2011 est de durée indéterminée, ce qui implique en théorie 236 jours de travail effectif sur une année, n’est pas suffisante pour conclure à une activité supérieure à 183 jours.

Il suit de ce qui précède que la décision attaquée ne contient pas les éléments suffisants en fait permettant le contrôle de l’application de la première condition de la CDI CH-FR.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_436/2016, 2C_437/2016 du 21 décembre 2016)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève et Yverdon

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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