Le litige porte sur le point de savoir si la fondation (= la recourante), en raison de la poursuite d’un but de service public, peut être exonérée de l’impôt fédéral direct et de l’impôt cantonal sur le bénéfice (et sur le capital pour l’impôt cantonal) affecté à ces buts.
Aux termes de l’art. 56 let. g LIFD, les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique sont exonérées de l’impôt sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts (première phrase). Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d’intérêt public (deuxième phrase).
L’exonération d’une personne morale sur la base de l’art. 56 let. g LIFD suppose la réalisation des trois conditions générales cumulatives suivantes: l’exclusivité de l’utilisation des fonds (l’activité exonérée s’exerce exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun), l’irrévocabilité de l’affectation des fonds (les fonds consacrés à la poursuite des buts justifiant l’exonération le sont pour toujours) et l’activité effective de l’institution conformément à ses statuts.
Outre ces trois conditions générales, il faut, conformément au texte de l’art. 56 let. g LIFD, que la personne morale poursuive un but de service public ou de pure utilité publique. Des conditions spécifiques distinctes s’appliquent à l’exonération selon qu’elle est fondée sur la poursuite d’un but de pure utilité publique ou d’un but de service public. La recourante prétend poursuivre celui de service public.
L’exonération fondée sur un but de service public constituant une exception, elle doit sous l’angle systématique être interprétée de manière restrictive. Une personne morale poursuit des buts de service public si elle accomplit des tâches étroitement liées aux tâches étatiques. Les tâches des collectivités sont multiples et la notion de service public n’est pas immuable, mais varie en fonction de l’évolution des conceptions et des besoins.
Une exonération en raison de la poursuite d’un but de service public est en principe exclue lorsqu’une personne morale poursuit principalement des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle, même si ceux-ci servent simultanément des buts d’intérêt public. Une exonération, totale ou partielle – étant précisé que l’exonération partielle demande une séparation claire du point de vue comptable -, demeure toutefois possible si la personne morale a été chargée d’une tâche de service public par un acte de droit public (par exemple une loi) ou si la collectivité publique (par ex. une commune) a manifesté expressément son intérêt pour cette personne morale. Il faut en outre que la personne morale soit soumise à une certaine surveillance de la collectivité publique, pour s’assurer qu’elle réalise effectivement la tâche de service public, et que ses fonds propres soient affectés par ses statuts de manière exclusive et irrévocable à ses buts d’intérêt public. Dans tous les cas, l’exonération ne peut être admise que si les buts lucratifs ou d’assistance mutuelle sont secondaires par rapport au but principal de service public de la personne morale. Ainsi, une exonération, même partielle, est exclue lorsque la personne morale poursuit des buts lucratifs ou d’assistance mutuelle qui excèdent une certaine mesure. Il s’agit en effet, en cas d’activité lucrative de la personne morale, de respecter le principe de neutralité concurrentielle. Celui-ci ne trouve toutefois à s’appliquer qu’entre personnes morales placées dans des situations comparables de concurrence.
La Conférence suisse des impôts a formulé, le 18 janvier 2008, des informations pratiques à l’intention des administrations fiscales cantonales au sujet de l’exonération fiscale des personnes morales qui poursuivent des buts de service public, d’utilité publique et des buts cultuels (ci-après: Informations pratiques; https://www.steuerkonferenz.ch, sous “Documents”, “Notices et Pratiques”, “Exonération”, consulté le 10 juin 2020). Ces informations contiennent une rubrique spécifiquement consacrée à l’exonération des écoles privées. Le Tribunal fédéral n’est pas lié par ces informations, qui ne font pas partie du droit fédéral. Toutefois, il y a lieu d’en tenir compte dans la mesure où elles permettent une application correcte des dispositions légales dans le cas d’espèce [la Fondation recourante est en effet active dans l’enseignement].
En ce qui concerne les écoles privées, ces Informations pratiques relèvent que “les différentes organisations d’écoles privées se basent le plus souvent sur une philosophie (par ex. les écoles Rudolf Steiner), des aspects religieux (les écoles confessionnelles) ou des raisons commerciales (but lucratif des participants). L’obtention de l’exonération de l’impôt par une école privée doit être à chaque fois traitée de manière individuelle” (ch. 2.I p. 6). S’agissant du but de service public, ce document mentionne :
” Le fait qu’une école privée soit subventionnée par les pouvoirs publics ne peut être considéré comme une raison suffisante à l’exonération de l’impôt. Il s’agit juste d’un indice prouvant l’existence d’une activité d’intérêt public, mais ne signifie pas que la société poursuive des buts de service public (ou d’utilité publique).
Les écoles privées ne peuvent bénéficier d’une exonération de l’impôt que si la direction de l’école, la gestion professionnelle, l’organisation et les locaux d’enseignement sont semblables à une école publique et garantissent la formation sur une longue durée. De plus, les disciplines des écoles publiques doivent être enseignées.
L’exonération est possible principalement pour les institutions qui proposent la formation scolaire depuis le degré primaire jusqu’à la fin de l’enseignement régulier, que ce soit dans le cadre de l’enseignement scolaire ordinaire ou d’une instruction spéciale. En dehors de ce cadre, le service public doit être prouvé d’une manière approfondie. Une des conditions fondamentales à une exonération éventuelle de l’impôt est régulièrement un plan d’enseignement reconnu officiellement par la direction cantonale de l’Instruction publique. Le plan d’enseignement décrit les domaines d’enseignement d’après le contenu et le nombre de leçons, les buts de formation et d’enseignement, ainsi que le temps d’enseignement hebdomadaire. Comme la direction de l’éducation décide quel est le matériel obligatoire d’enseignement et en recommande d’autres, il est également possible de trouver des indications supplémentaires pour les cas individuels en examinant le matériel d’enseignement. Le cas échéant, une prise de position peut être demandée à la direction de l’Instruction publique.
Afin de décider si une école privée peut être exonérée de l’impôt, les aspects suivants peuvent être pris en considération:
- De quels milieux proviennent les élèves ?
- Combien y a-t-il d’élèves ?
- Comment est composée la direction de l’école ?
- Quel est le matériel technique à disposition, tels qu’appareils et autres moyens éducatifs ?
- Existe-t-il une bibliothèque à l’école ?
- Existe-t-il une aide pour les élèves ayant des difficultés scolaires pour des raisons de langue étrangère, maladie, déménagement, relations familiales ou des motifs analogues
- Comment sont formés les élèves ayant des troubles d’apprentissage ou de comportement, respectivement les élèves handicapés ? ” (ch. 2.III p. 6).
Les indications qui précèdent ne sont pas contraires au droit fédéral et à la jurisprudence du Tribunal fédéral précédemment exposée, de sorte qu’elles peuvent être prises en compte.
En l’espèce, il est admis que la recourante remplit les trois conditions générales susmentionnées. Seule est litigieuse, la question de savoir si elle poursuit un but de service public ou de pure utilité publique.
Il sied de commencer par préciser que la recourante ne peut pas prétendre au but de pure utilité publique (et elle ne le revendique d’ailleurs pas). En effet, selon les Informations pratiques, dont il n’y a pas lieu de se distancier à cet égard, lorsque l’exploitation de l’établissement scolaire est poursuivie uniquement sur la base de l’écolage couvrant ou dépassant les frais, le critère d’utilité publique n’est pas rempli.
En lien avec le but de service public, il convient de prendre en considération les critères déterminés par la Conférence suisse des impôts dans une approche globale; chacun d’entre eux, pris individuellement, ne constitue qu’un indice allant ou pas dans le sens d’une exonération. Ces critères permettent notamment une application uniforme de l’art. 56 let. g LIFD, en ce qui concerne les écoles privées, dans les différents cantons.
En l’espèce, il est tout d’abord relevé que la recourante n’offre pas une formation scolaire complète, puisque le programme proposé ne va que jusqu’à la fin de l’école primaire; il ne comprend pas le degré secondaire I, appelé cycle d’orientation dans le canton de Genève, où il s’y déroule sur trois ans, destiné aux enfants de 12-15 ans. Or, l’exonération fiscale est en principe réservée aux écoles qui dispensent des programmes complets. Un autre élément important à prendre en considération dans le cadre de l’exonération fiscale d’une école privée est le plan d’enseignement qui doit être reconnu par le Département de l’instruction publique. In casu, il ressort du rapport d’inspection que ce plan ne l’est que partiellement: si la recourante enseigne des disciplines imposées par le plan d’études romand, elle ne suit pas ce plan, puisqu’elle possède son propre programme qui est inspiré du programme suédois. Ainsi, un second élément posé pour la reconnaissance d’un but de service public fait défaut. De plus, le Tribunal fédéral relève qu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué, et la recourante ne le prétend pas, que l’école disposerait d’une aide particulière pour les enfants ayant des difficultés scolaires ou pour ceux en prise avec des troubles d’apprentissage ou du comportement.
A cela, il faut ajouter le critère mentionné dans les Informations pratiques selon lequel l’école privée doit être ouverte à tous les milieux sociaux. Or, in casu, le montant de l’écolage est très élevé, puisqu’il se monte, au niveau primaire, à 22’280 fr. pour une année scolaire (11’140 fr. par semestre [art. 105 al. 2 LTF]). Cela a pour conséquence que seuls des enfants provenant de milieux sociaux privilégiés peuvent y accéder. Cette école est donc réservée à un spectre extrêmement étroit de la population enfantine. De plus, il ne ressort pas du dossier que l’école prévoirait un soutien pour les parents qui n’auraient pas les moyens financiers d’acquitter les montants requis. Dans ce cadre, la Cour de justice a reproché à la recourante d’avoir accumulé des bénéfices, ce qui était constitutif d’une activité lucrative; l’intéressée réplique qu’une activité menée en la forme commerciale et rentable apparaît comme une condition sine qua non, afin de se voir reconnaître l’exercice d’un service public et que le fait de viser une rentabilité suffisante ne serait pas pertinent quant à l’exonération fiscale. S’il est certain que pour survivre une école privée doit viser une rentabilité minimale, la présence de bénéfices reportés est un élément à prendre en compte dans la pondération des critères établis pour déterminer l’octroi d’une exonération fiscale. En effet, une école privée gérée comme une entreprise commerciale dans le but de réaliser un bénéfice ne peut pas en bénéficie. En conclusion, l’existence de bénéfices reportés va à l’encontre d’une exonération fiscale.
Les éléments susmentionnés, pris dans leur ensemble, ne sauraient contrebalancer ceux qui plaident en faveur d’un but de service public, à savoir l’organisation de l’école en cause, sa direction, sa gestion et ses locaux qui, selon l’arrêt entrepris, sont semblables à ceux d’une école publique. L’exploitation de la crèche ne change rien à ce constat.
Au regard de ce qui précède, l’activité en cause telle que déployée par la recourante ne peut être qualifiée de tâche de service public au sens de l’art. 56 let. g LIFD et le recours est rejeté en tant qu’il concerne l’impôt fédéral direct. Il n’y a pas lieu d’examiner si l’exonération fiscale de 50% accordée par le Tribunal administratif de première instance était justifiée ou pas, cet élément ne faisant pas partie de l’objet du litige.
Les conditions de l’exonération fiscale pour les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique sont les mêmes pour les impôts cantonaux et communaux que pour l’impôt fédéral (cf. art. 23 al. 1 let. f LHID; art. 9 al. 1 let. f de la loi genevoise du 23 septembre 1994 sur l’imposition des personnes morales [LIPM; RS/GE D 3 15]; cf. arrêt 2C_147/2019 du 20 août 2019 consid. 6).
Partant, les considérations développées ci-dessus pour l’impôt fédéral direct valent mutatis mutandis pour les impôts cantonaux et communaux. L’arrêt entrepris sera donc confirmé en tant qu’il rejette l’exonération totale de l’école pour lesdits impôts et le recours est rejeté pour les mêmes motifs.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1050/2019 du 22 juillet 2020, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)