Installation photovoltaïque: impôt sur la fortune, impôt sur le revenu

 

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Installation photovoltaïque d’une surface de 54 m2 montée sur le toit d’une grange dans le canton de Berne. L’installation n’a pas été emmurée ni intégrée dans le toit, mais fixée à celui-ci de manière mécanique. L’installation photovoltaïque a produit de l’électricité, pour lesquels les contribuables ont été rémunérés selon les dispositions relatives à la rétribution à prix coûtant (RPC). Les contribuables ont déduit dans leurs déclarations fiscales à titre de frais d’entretien d’immeubles, différents montants en lien avec la réalisation de l’installation photovoltaïque.

Comment apprécier l’installation photovoltaïque sous l’angle de l’impôt sur la fortune, d’une part, et les revenus tirés de la RPC sous l’angle de l’impôt sur le revenu d’autre part ? C’est l’objet d’un arrêt du Tribunal fédéral Tribunal fédéral 2C_510/2017 du 16 septembre 2019, traduit dans la RDAF 2020 II, pp.183-194, qui pose – pour la première fois – divers principes en rapport.

Impôt sur la fortune

Les dépenses nécessaires à l’acquisition du revenu (appelées frais d’acquisition ou déductions organiques) et les déductions générales sont défalquées de l’ensemble des revenus imposables (art. 9 al. 1 1re phr. LHID; art. 25 LIFD). Cette disposition prévoit que les frais nécessaires à la réalisation du revenu imposable sont généralement déductibles.

L’administration fiscale du Canton de Berne fait valoir que tout objet dont les coûts sont déductibles en tant que frais d’entretien dans le cadre de l’imposition du revenu font partie de la fortune immobilière (art. 9 al. 1 1re phr. LHID; art. 25 LIFD).

Le Tribunal fédéral ne souscrit pas à cette manière de voir. Certes, l’art. 32 al. 2 LIFD envisage la déduction des frais d’entretien d’immeubles comme le corollaire des dispositions concernant l’imposition des revenus de la fortune immobilière privée, raison pour laquelle le propriétaire ne peut déduire au titre de frais d’entretien que des dépenses qui présentent un lien direct avec le revenu imposable de l’immeuble. Le législateur fédéral peut toutefois également, au moyen d’une disposition expresse, déclarer que certaines autres dépenses, qui n’ont pas de lien direct avec le revenu de l’immeuble, relèvent des frais immobiliers déductibles [p.ex. : frais de démolition en vue de reconstruction, restauration de monuments historiques, etc. – art. 32 al. 2 3e phr et art. 32 l. 3 LIFD]. La possibilité d’imposer un gain au titre de revenu immobilier doit se baser sur l’art. 7 LHID respectivement l’art. 21 LIFD et ne peut pas résulter d’autres normes qui -poursuivent d’autres buts.

Sont réputés investissements destinés à économiser l’énergie et à ménager l’environnement les frais encourus en vue de rationaliser la consommation d’énergie ou de recourir aux énergies renouvelables. Ces investissements concernent le remplacement d’éléments de construction ou d’installations vétustes et l’adjonction de nouveaux éléments de construction ou d’installations dans des bâtiments existants (art. 5 de l’Ordonnance du 24 août 1992 sur la déduction des frais relatifs aux immeubles privés dans le cadre de l’impôt fédéral direct [Ordonnance sur les frais relatifs aux immeubles; RS 642.116]). L’administration fiscale cantonale déduit du fait que des coûts supérieurs à 80’000 fr. ont pu être déduits en tant qu’investissement destiné à économiser l’énergie que les installations photovoltaïques représentent des valeurs immobilières. Toutefois, pour ce qui concerne les mesures destinées à économiser l’énergie, il n’est justement pas exigé que les éléments de fortune acquis constituent des parties intégrantes. Ceci découle déjà de la notion de «mesure», qui va au-delà des seuls investissements dans le bien-fonds lui-même. Pour diverses mesures destinées à économiser l’énergie, un lien matériel avec l’immeuble est même suffisant (sans que des valeurs immobilières ou des parties intégrantes ne doivent être créées à cet effet).

Il ressort de ce qui précède qu’il n’existe pas de lien, sous l’angle de la systématique fiscale, selon lequel les frais immobiliers en général ou les investissements en faveur de l’utilisation rationnelle de l’énergie en particulier se traduiraient nécessairement par des revenus immobiliers plus élevés ou par une augmentation de la valeur déterminante pour l’impôt sur la fortune immobilière. On ne peut donc tirer de la déduction des frais immobiliers aucune indication sur la manière dont les installations photovoltaïques doivent être imposées dans le cadre de l’impôt sur la fortune.

Les cantons sont tenus de prélever un impôt sur la fortune (art. 2 al. 1 lit. a LHID). L’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID). Sont dès lors imposables tous les actifs pour autant qu’ils ne soient pas exonérés de l’impôt par des dispositions légales spécifiques. La notion de fortune qui s’applique est ainsi conditionnée par le principe selon lequel l’impôt s’étend à l’ensemble de la fortune et correspond à l’idée de l’imposition selon la capacité contributive; elle comprend tous les droits appréciables en argent – portant sur des choses ainsi que sur des créances et des participations – qu’une personne détient sur le plan sur le plan du droit civil et qui peuvent être réalisés juridiquement, qu’ils soient de nature réelle ou contractuelle, indépendamment du fait qu’il s’agisse de la fortune privée ou commerciale, mobilière ou immobilière. Seul n’est pas imposé ce que la loi désigne expressément comme n’étant pas imposable, à savoir le mobilier de ménage et les objets personnels d’usage courant (art. 13 al. 4 LHID).

La LHID ne définit pas précisément la notion d’immeuble, respectivement ne l’emploie qu’en rapport avec l’impôt sur les gains immobiliers (art. 12 LHID) et l’impôt sur la fortune grevant les immeubles affectés à l’agriculture ou à la sylviculture (art. 14 al. 2 LHID). L’art. 13 s. LHID ne prévoit pas de critères permettant de répartir la fortune nette en biens meubles et immeubles. La question de savoir si et comment l’impôt sur la fortune est lié à la qualité d’immeuble relève ainsi du droit cantonal.

Les éléments de fortune du contribuable doivent être évalués selon l’art. 14 al. 1 LHID. Cette disposition laisse une marge de manœuvre importante aux cantons dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre des règles d’estimation, notamment pour ce qui concerne le choix de la méthode applicable dans la procédure d’estimation de la valeur vénale; la marge de manœuvre se limite toutefois aux critères d’estimation et ne permet pas d’imposer des choses qui ne tombent pas sous le coup de la définition de la fortune selon l’art. 13 LHID. On trouve par conséquent dans les cantons une grande variété de méthodes d’estimation des immeubles. Il n’est pas du ressort du Tribunal fédéral de donner ponctuellement des consignes aux cantons pour ce qui concerne les installations photovoltaïques. Au contraire, les cantons peuvent déterminer de manière autonome comment établir la valeur d’une installation photovoltaïque pour l’impôt sur la fortune. Il n’y a ainsi pas de nécessité, en vertu du droit fédéral, de lier l’estimation des installations photovoltaïques à la qualification de droit civil.

Les cantons doivent dès lors soumettre une installation photovoltaïque à l’impôt sur la fortune (art. 13 LHID), mais restent libre de déterminer les critères permettant d’en estimer la valeur, sans être liés par des qualifications juridiques relevant du droit civil.

Impôt sur le revenu

Selon l’art. 21 al. 1 LIFD sont imposables en tant que revenu de la fortune immobilière les rendements de la fortune immobilières, en particulier tous les revenus provenant de la location, de l’affermage, de l’usufruit ou d’autres droits de jouissance (lit. a), la valeur locative des immeubles ou de parties d’immeubles dont le contribuable se réserve l’usage en raison de son droit de propriété ou d’un droit de jouissance obtenu à titre gratuit (lit. b), les revenus provenant de droits de superficie (lit. c) et les revenus provenant de l’exploitation de gravières, des sablières ou d’autres ressources du sol (lit. d) [pourles impôts cantonaux, cf. art. 7 al. 1 LHID dont le contenu est similaire].

Selon une pratique cantonale largement répandue, les rétributions à prix coûtant et les recettes de la vente directe du courant produit constituent un rendement imposable de la fortune immobilière (cf. Rainer Zigerlig/Mathias Oertli/Hubert Hofmann, Das st. gallische Steuerrecht, 7e éd. 2014, IIe partie n. 465; Conférence suisse des impôts, Analyse du 15 février 2011 sur la qualification juridique fiscale des investissements dans les technologies respectueuses de l’environnement telles les installations photovoltaïques [actualisé pour la dernière fois le 3 février 2016], ch. 2.4; Directive de l’administration fiscale des impôts Thurgovie «Erträge aus unbeweglichem Vermögen», StP 23 n. 1 ch. 5). En procédant ainsi on oublie toutefois que l’art. 7 al. 1 LHID respectivement l’art. 21 al. 1 lit. a LIFD ne fournissent pas une base légale qui permettrait d’appréhender les rétributions à prix coûtant comme un rendement de la fortune.

On est en présence de rendements de la fortune au sens de l’art. 21 LIFD lorsqu’une personne privée perçoit une contre-prestation en raison de la mise à disposition d’éléments de fortune dont elle est propriétaire. Il n’y a toutefois pas de location ou d’affermage des installations photovoltaïques du producteur de courant à la centrale électrique. Les intimés ne mettent pas non plus les installations à disposition de la centrale électrique d’une autre manière. En outre, le courant qui est livré à un tiers ne peut pas non plus être considéré comme un revenu de la fortune immobilière sur la base de l’art. 21 al. 1 lit. d LIFD de manière analogue au gravier et au sable «et à d’autres ressources du sol», car l’électricité n’est pas un élément du sol.

On ne peut pas déjà parler de revenus de la fortune immobilière lorsque des parties d’un immeuble ou certains composants d’un immeuble sont mis à profit pour réaliser un revenu. Comme dans le cas de toute autre activité liée à un lieu, grâce à laquelle une plus-value commerciale est générée (par exemple plantations, rucher), on est aussi en présence dans le cas de la production d’énergie solaire d’un revenu d’une activité lucrative indépendante (accessoire) (art. 18 al. 1 LIFD respectivement art. 8 LHID), lorsqu’elle intervient à titre professionnel. Si la production de courant n’intervient pas à titre commercial, pour l’imposition des rétributions du courant injecté, seule la clause générale de revenu de l’art. 16 al. 1 LIFD peut entrer en considération comme base d’imposition à défaut de disposition spécifique. Savoir si l’installation photovoltaïque constitue un élément de l’immeuble ou un objet meuble indépendant n’est ainsi pas déterminant lorsqu’il s’agit de qualifier le revenu qu’elle permet de réaliser. Vu que les rétributions du courant injecté ne constituent pas un revenu de la fortune, le courant de la propre production ne peut pas non plus être soumis à l’imposition de la valeur locative, selon l’art. 21 al. 1 lit. b LIFD.

Les «autres droits de jouissance» selon l’art. 20 al. 1 lit. d, respectivement l’art. 21 al. 1 lit. a LIFD constituent la disposition générale qui permet d’imposer l’avantage appréciable en argent provenant de la mise à disposition d’un tiers. Pour ce qui concerne les installations photovoltaïques privées, seules des indemnités provenant de leur location complète à un tiers ainsi que de la mise à disposition de parts d’immeubles privées pour l’exploitation d’une installation solaire par un tiers pourraient être qualifiées de rendement imposable de la fortune. Dans le cas d’une installation photovoltaïque qui fait partie d’un immeuble, la contre-prestation obtenue dans cette constellation plutôt rare en pratique tomberait sous le coup de l’art. 21 LIFD, dans le cas d’une installation mobile par contre sous le coup de l’art. 20 al. 1 lit. d LIFD. Il n’y a pas lieu d’examiner la question en l’espèce, dès lors que les intimés utilisent eux-mêmes l’installation photovoltaïque et qu’ils ne la mettent à disposition de personne.

En résumé, il faut constater que les indemnités provenant de la livraison de courant ne peuvent pas être qualifiées de revenu de la fortune (au sens de l’art. 20 ou de l’art. 21 LIFD). Par conséquent la question de savoir si l’installation solaire est un meuble ou un immeuble n’est de manière générale pas déterminante, même sous l’angle de l’impôt fédéral direct, lorsque du courant est injecté dans le réseau contre rémunération.

(Arrêt du Tribunal fédéral Tribunal fédéral 2C_510/2017 du 16 septembre 2019 = RDAF 2020 II, pp.183-194 pour la traduction)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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