Déduction des pertes, manteau d’actions

Innondation

L’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD). Selon l’art. 58 al. 1 let. a LIFD, le bénéfice net imposable comprend le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent. Les pertes des sept exercices précédant la période fiscale peuvent être déduites du bénéfice net de cette période, à condition qu’elles n’aient pas pu être prises en considération lors du calcul du bénéfice net imposable de ces années (art. 67 al. 1 LIFD).

La déduction des pertes n’est admise qu’auprès de la personne morale contribuable qui les a subies. Est réservé le cas de la restructuration (fusion, scission, transformation), où la reprise des pertes reportées de la société absorbée par la société reprenante est en principe autorisée (sur les conditions, cf. arrêts 2C_1114/2018 du 7 juin 2019 consid. 4.1; 2C_351/2011 du 4 janvier 2012, in RDAF 2012 II 288). La notion de contribuable doit s’entendre dans un sens économique. Ainsi, malgré l’identité juridique de la société sur le plan du droit civil, un report des pertes des années précédentes est exclu en cas de vente d’un manteau d’actions. Sur le plan fiscal, une telle vente est en effet considérée comme une liquidation de la société suivie de la création d’une nouvelle; il y a donc changement de sujet fiscal).

Le transfert d’un manteau (ou cadre) d’actions consiste en une vente de droits de participation permettant à leur acquéreur de disposer d’une société non encore dissoute juridiquement, mais économiquement liquidée, alors même qu’elle peut avoir conservé au bilan certains actifs en liquide (argent comptant, avoirs en banques, titres cotés) déterminant la valeur vénale des actions. Cette opération est assimilée à une liquidation de société, suivie d’une nouvelle création, car elle présente les caractéristiques de l’abus de droit. En effet, le vendeur de ces actions cherche, en principe, à éviter les frais et les impôts liés à une dissolution de la société, alors que l’acquéreur souhaite éluder le droit de timbre d’émission et les frais liés à la fondation d’une nouvelle société. Pour être qualifiée de transfert d’un cadre d’actions, une vente doit aboutir économiquement au même résultat que la liquidation d’une ancienne et la fondation d’une nouvelle société. Divers indices permettent de retenir l’existence d’un tel transfert, notamment des changements au sein du conseil d’administration ou la modification du siège, du but ou de la raison sociale). En matière d’impôt anticipé et de droits de timbre, le prélèvement de l’impôt en cas de vente d’un cadre d’actions est soumis à deux conditions cumulatives: la majorité du capital-actions doit avoir changé de mains, en un ou plusieurs paquets, et la société doit avoir été économiquement liquidée ou ses actifs avoir été rendus liquides.

En l’espèce, il résulte de l’arrêt entrepris que, par convention du 23 août 2015, C.________ a cédé l’intégralité des actions de la société recourante, dont la raison sociale était alors “B.________ SA”, à D.________. Au moment de la vente, les actifs de la société ne se composaient que de postes liquides. La société n’avait par ailleurs pratiquement plus d’activité depuis 2011. Selon les faits retenus dans l’arrêt querellé, à la suite de la vente, un nouveau directeur a été nommé, en octobre 2015. La recourante a changé de raison sociale en avril 2016 et son but s’est quelque peu modifié, comprenant désormais aussi des activités dans le domaine du “Customer-Relationship Management”, alors qu’elle était auparavant en particulier active dans la recherche de clients et les activités de promotion. Tous ces éléments plaident en faveur de la qualification de vente d’un manteau d’actions pour décrire le transfert du 23 août 2015.

La société recourante s’oppose à cette qualification en soulignant que son activité s’est poursuivie par l’exploitation des ressources immatérielles (fichiers clients et marques commerciales) transmises lors de la vente d’août 2015. La présence de ces actifs immatériels n’a pas été constatée dans l’arrêt entrepris et la Cour de justice n’est pas tombée dans l’arbitraire à cet égard. Au reste, on peut ajouter que le prix relativement bas de la vente (20’000 fr. pour la totalité du capital-actions avec cession d’une créance d’environ 40’000 fr.) tend à démontrer que les actifs immatériels de la société en 2015, si tant est qu’ils existaient, n’avaient qu’une très faible valeur. Or, on voit mal que l’exploitation de ces ressources et la poursuite des mêmes activités de marketing aient permis de générer, selon les déclarations fiscales de la société, un salaire de 24’000 fr. en 2015, puis de 98’975 fr. en 2016 en faveur du nouveau directeur, étant rappelé qu’entre 2011 et 2014, la société n’avait plus encaissé aucun produit.

Le seul élément de fait attestant d’une certaine continuité est la présence du même administrateur pour la société B.________ SA que, depuis 2016, pour la société A.________. Ainsi que l’a relevé à juste titre la Cour de justice, cette circonstance doit toutefois être relativisée. En effet, selon l’arrêt entrepris, cet administrateur était indiqué comme étant le liquidateur de la société B.________ SA dans les déclarations fiscales 2011 à 2013 et il n’est plus apparu dans les déclarations fiscales 2014 et 2015. Au surplus, la seule présence d’un ancien administrateur ne saurait suffire à contrebalancer les nombreux éléments de fait indiquant en l’espèce une liquidation de fait et la vente d’un manteau d’actions.

Sur le vu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour de justice n’a pas méconnu le droit fédéral en qualifiant la vente du 23 août 2015 de vente d’un manteau d’actions. C’est partant à bon droit qu’elle a rétabli la décision sur réclamation de l’Administration fiscale cantonale en matière d’IFD scindant l’année 2015 en deux et refusant la déduction des pertes des années précédentes après la date de la vente.

Les considérations développées pour l’impôt fédéral direct s’appliquent aux ICC. Il s’ensuit que le recours doit également être rejeté en tant qu’il s’y rapporte.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2019 du 13 janvier 2020)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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