Tel qu’il ressort du Message concernant la loi sur la remise de l’impôt du 23 octobre 2013, le nouveau régime de la remise d’impôt au niveau de la LIFD ne modifie “ni le droit d’harmonisation matériel ni la procédure devant les instances cantonales en ce qui concerne la remise des impôts cantonaux ou communaux”, le législateur ayant au contraire expressément renoncé à harmoniser les conditions de remise au niveau de l’IFD et des ICC. Chaque canton peut partant, dans le respect de la Constitution fédérale, réglementer à sa manière cet aspect du droit fiscal (cf. FF 2013 7549 ss, ch. 1.3.3 p. 7555, ch. 2.1 p. 7558 et ch. 2.3 p. 7566). La question d’une éventuelle remise des ICC relève par conséquent du droit cantonal autonome, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l’angle des droits constitutionnels et dans la limite des griefs invoqués, conformément à l’art. 106 al. 2 LTF.
S’appuyant sur les solutions dégagées par la LIFD ainsi que l’ordonnance du Département fédéral des finances concernant le traitement des demandes en remise de l’impôt direct du 19 décembre 1994 (Ordonnance sur les demandes en remise d’impôt), texte abrogé au 1er janvier 2016 par l’ordonnance homonyme du 12 juin 2015 (RS 642.121), l’intéressée soutient qu’elle aurait un droit à la remise des ICC demandée, qu’elle ne pourrait se voir refuser “que si les conditions ne sont manifestement pas réalisées” (recours, p. 4). En l’occurrence, le Tribunal cantonal aurait, en méconnaissance de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), manifestement violé l’art. 231 de la loi vaudoise sur les impôts directs cantonaux du 4 juillet 2000 (LI/VD; RS/VD 642.11) relatif à la remise des impôts cantonaux en considérant que les conditions d’octroi de la remise n’étaient pas remplies.
L’institution de la remise totale ou partielle des impôts normalement dus a pour objectif d’éviter les conséquences trop rigoureuses pour des contribuables tombés dans le dénuement (cf. ATF 142 II 197 consid. 6.3).
Sur le plan du droit fédéral, l’art. 167 LIFD, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2016 (RO 2015 9), prévoit:
“Si, pour le contribuable tombé dans le dénuement, le paiement de l’impôt, d’un intérêt ou d’une amende infligée ensuite d’une contravention entraîne des conséquences très dures, les montants dus peuvent, sur demande, faire l’objet d’une remise totale ou partielle.”
L’Ordonnance du 12 juin 2015 sur les demandes en remise d’impôt concrétise certains aspects du régime de la remise de l’IFD instauré par les art. 167 ss LIFD.
Nul n’est pourtant besoin d’interpréter la portée exacte des instruments de droit fédéral susmentionnés qu’invoque la recourante, dans la mesure où seul est en cause le refus par les autorités cantonales d’accorder la remise des impôts cantonal et communal vaudois. Or l’institution de la remise d’impôt ne fait pas l’objet d’une harmonisation par la LHID. Il s’agit d’une matière qui n’est pas visée par une harmonisation horizontale. Il n’y a pas non plus de motif d’exiger des cantons qu’ils mettent en place une solution identique à celle du droit fédéral (harmonisation verticale). Le droit fédéral ne peut, dans ce contexte, être pris en compte qu’à titre de source d’inspiration ou, tout au plus, en tant que droit cantonal supplétif, dont la Cour de céans ne saurait revoir l’application que sous l’angle de l’interdiction de l’arbitraire.
En conséquence, il convient d’examiner la portée conférée par le Tribunal cantonal à l’art. 231 LI/VD régissant la remise des ICC dans le canton de Vaud sous l’angle des droits constitutionnels invoqués par la recourante. L’art. 231 al. 1 LI/VD prévoit:
“L’Administration cantonale des impôts peut accorder une remise totale ou partielle des impôts, intérêts compensatoires et intérêts de retard, rappels d’impôts et amendes, lorsque leur paiement intégral frapperait trop lourdement le contribuable en raison de pertes importantes ou de tous autres motifs graves”.
Le Tribunal cantonal a considéré qu’il convenait d’interpréter la formulation potestative figurant à l’art. 231 al. 1 LI/VD comme n’octroyant aucun droit à une remise d’impôt aux contribuables vaudois. Compte tenu de l’interprétation motivée de la portée de cette disposition par la plus haute juridiction cantonale, de la formulation potestative utilisée par le législateur cantonal ainsi que de la brièveté du texte légal, tel qu’opposé, par exemple, à l’art. 240 al. 5, 1ère phr., de la loi cantonale bernoise sur les impôts du 21 mai 2000 (LI/BE; RS/BE 661.11: “Toute personne contribuable qui en réunit les conditions légales peut prétendre à une remise d’impôt”), dont il a été admis qu’elle reconnaissait un véritable droit à la remise des ICC (arrêt 2C_702/2012 du 19 mars 2013 consid. 3.4, in RF 68/2013 p. 464), cette interprétation n’apparaît pas insoutenable. La recourante ne présente au demeurant aucun élément permettant objectivement de s’écarter de l’interprétation littérale de l’art. 231 al. 1 LI/VD.
Au surplus, on ne perçoit pas en quoi les juges cantonaux auraient grossièrement méconnu les conditions cumulatives posées à une éventuelle remise des ICC (art. 231 al. 1 LI/VD), à savoir, d’une part, la disproportion entre la dette fiscale et la capacité économique du contribuable (“leur paiement intégral frapperait trop lourdement le contribuable”) et d’autre part, les motifs graves en présence desquels le droit vaudois autorise l’octroi d’une remise des impôts (“en raison de pertes importantes ou de tous autres motifs graves”).
S’agissant en effet de la première exigence légale, à savoir la disproportion entre la dette fiscale et la capacité économique, le Tribunal cantonal a constaté que la recourante avait réalisé des revenus importants en 2010 (226’000 fr.) et 2011 (184’975 fr.) et réduit ses dettes auprès de la Banque en 2011; elle n’avait en revanche pas constitué de réserves pour payer ses arriérés d’impôt, alors même qu’elle avait été avisée le 1er mars 2009 qu’une procédure de rappel d’impôt avait été ouverte à son encontre. Les juges cantonaux en ont déduit que la recourante s’était mise elle-même dans l’impossibilité de s’acquitter de ses dettes fiscales alors qu’elle aurait disposé des moyens pour le faire (partiellement); en outre, depuis 2012, ses revenus avaient certes diminué, mais excédaient de plus de 1’500 fr. par mois son minimum vital selon la LP (RS 281.1). Quoi qu’il en fût, on devait déduire des montants d’impôt en jeu (478’812 fr. 65, sans compter les intérêts moratoires) et de sa situation financière actuelle que la recourante n’était pas en mesure de rembourser ses dettes fiscales dans les délais légaux (art. 222 LI/VD) ou sans l’octroi de facilités de paiement (art. 230 LI/VD), de sorte que le paiement intégral des arriérés d’impôt la frapperait lourdement. En d’autres termes, le Tribunal cantonal a admis que l’intéressée remplissait la première condition pour pouvoir, le cas échéant, obtenir une remise des impôts, point en sa faveur que la recourante rediscute ainsi inutilement dans son mémoire.
S’agissant de la seconde exigence relative aux causes du dénuement pouvant justifier une remise, soit une perte importante ou un autre motif grave, le Tribunal cantonal a considéré que la recourante n’avait pas fait valoir de “motifs graves”, au sens de l’art. 231 al. 1 LI/VD. Il fallait s’en tenir à la pratique, inspirée de l’art. 3 al. 2 de l’actuelle ordonnance fédérale sur les demandes en remise d’impôt, selon laquelle la collectivité publique ne saurait accorder de remise que si et dans la mesure où les autres créanciers consentaient également à un abandon de créance. Or, les négociations menées par la recourante avec la Banque en vue d’un abattement de sa dette privée n’ayant pas (encore) abouti, une remise de la dette fiscale revenait à avantager les autres créanciers de l’intéressée. De surcroît, le Tribunal cantonal a jugé qu’au vu du montant dû au titre de l’IFD (159’150 fr. 60, sans compter les intérêts moratoires), une remise des ICC ne suffisait pas pour assainir durablement la situation financière de la recourante, but inhérent à l’institut de la remise, y compris sur le plan cantonal. Quant au risque que la recourante perde son agrément de réviseur si elle était poursuivie pour dette, il ne s’agissait pas, d’après les juges cantonaux, d’un motif grave mais plutôt de la conséquence, hypothétique et indirecte, d’actes de défaut de biens concernant le réviseur insolvable.
Il n’est pas exclu que les conséquences (quoiqu’indirectes, dès lors qu’elles dépendent de l’émission d’actes de défaut de biens) de l’exigence d’un paiement intégral de la dette d’impôt par le fisc frapperaient lourdement la contribuable, au sens de l’art. 231 al. 1 LI/VD. En revanche, cette situation n’a pas été déclenchée par des “pertes importantes” subies par la recourante mais par sa négligence à créer des réserves lorsqu’elle avait réalisé des hauts revenus en 2010 et 2011. Les juges cantonaux pouvaient en outre nier sans arbitraire l’existence d’ “autres motifs graves”. De manière défendable, ils ont en effet interprété cette notion comme se limitant en principe aux cas de dégradation économique qui sont indépendants de la volonté ou d’une faute caractérisée du contribuable (par ex. un chômage prolongé, de lourdes charges familiales, des dépenses extraordinaires, des pertes commerciales ou des frais de maladie élevés non couverts par des tiers). Or, les difficultés alléguées par la recourante puisent leur origine dans les soustractions fiscales qu’elle avait commises. En outre, à défaut pour l’intéressée d’avoir obtenu en l’état de ses créanciers privés que ceux-ci renoncent (partiellement) à leurs créances à son égard, on ne voit pas que les autorités cantonales auraient tenu un raisonnement insoutenable en considérant qu’une remise d’impôt bénéficierait de façon inacceptable auxdits créanciers privés.
En pareilles circonstances, le grief d’arbitraire dans l’application du droit cantonal sera par conséquent écarté.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2D_7/2016 du 25 août 2017, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon