Parmi les contributions publiques, la jurisprudence et la doctrine distinguent les impôts, les contributions causales et les taxes d’orientation (ATF 135 I 130 consid. 2.; 121 I 230 consid. 3e; arrêt 2C_466/2008 du 10 juillet 2009 consid. 4.2 et les références citées).
Les contributions causales représentent la contrepartie d’une prestation spéciale ou d’un avantage particulier appréciable économiquement accordé par l’Etat. Elles reposent ainsi sur une contre-prestation étatique qui en constitue la cause.
Généralement, les contributions causales se subdivisent en trois sous-catégories qui comprennent notamment les taxes d’utilisation. Celles-ci ne peuvent en principe être prélevées que lorsqu’une prestation effective est fournie par la collectivité publique. Elles représentent la contrepartie à cette prestation.
Toutes les contributions (impôts ou taxes) peuvent revêtir un caractère incitatif (ou d’orientation). Les taxes d’orientation peuvent être destinées de façon exclusive (la doctrine parle alors de pures taxes d’incitation) ou prépondérante (la doctrine parle alors de taxes d’orientation mixtes ou hybrides) à modifier le comportement des particuliers en vue d’atteindre un objectif voulu par le législateur. Le but principal de cette contribution n’est donc pas prioritairement de procurer des ressources supplémentaires à l’Etat, mais d’agir sur les citoyens.
Le Tribunal fédéral estime qu’aussi bien un impôt qu’une taxe peuvent présenter une composante incitative (cf. arrêt 2C_467/2008 du 10 juillet 2009 consid. 3.2.3 et les références citées). Il en déduit que la qualification juridique d’une contribution ne dépend pas de son but, mais de sa nature, et que les critères de distinction habituels entre les impôts et les taxes demeurent également pertinents pour désigner les contributions ayant une composante incitative.
La jurisprudence a ainsi repris à son compte les notions, consacrées par la doctrine, d’impôt d’orientation (Lenkungssteuer) et de taxe causale d’orientation (Lenkungskausalabgabe).
Les taxes de fourniture d’eau potable constituent en principe des contributions causales, et plus particulièrement des taxes d’utilisation.
Dans le cas d’espèce, la taxe en cause a ceci de particulier que sa part la plus importante, c’est-à-dire celle qui a trait au prix de vente de l’eau (en l’occurrence 3’537 fr. 60, représentant 96% de la taxe), est fixée en fonction de la consommation d’eau et que plus la consommation est importante, plus le prix du mètre cube d’eau augmente.
La Municipalité justifie l’usage de telles tranches tarifaires en raison du fait qu’une consommation excédant 60 m 3 par an et par personne est supérieure à la consommation moyenne annuelle en Suisse. Elle a ainsi expliqué vouloir inciter ses administrés à contenir leur consommation d’eau potable. Quant à la finance annuelle, qui représente environ 4% du total de la taxe en cause, celle-ci est calculée en fonction du calibre, respectivement de la capacité de mètres cubes par heure de l’installation du contribuable.
Ainsi, la taxe litigieuse constitue une contribution causale, c’est-à-dire une taxe d’utilisation, puisqu’elle vise à couvrir les coûts liés à l’exploitation du système d’approvisionnement en eau potable et représente la contreprestation pour la livraison de l’eau. Elle vise néanmoins également, en instaurant différentes tranches tarifaires, à inciter les consommateurs à limiter leur consommation. En ce sens, elle a un caractère fortement incitatif puisque, si le recourant avait payé l’entier de son eau potable au tarif fixé par la Municipalité pour un consommateur suisse moyen (c’est-à-dire 1 fr. 80 le mètre cube d’eau, la consommation annuelle moyenne en Suisse étant de 60 m3), il aurait uniquement dû s’acquitter de 1’301 fr. 40, au lieu de 3’537 fr. 60, soit près de trois fois moins. On la qualifiera donc de taxe causale d’orientation.
Le principe de la légalité gouverne l’ensemble de l’activité de l’Etat (cf. art. 5 al. 1 Cst.). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l’art. 127 al. 1 Cst.
L’art. 127 al. 1 Cst. – qui s’applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales – prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi. Si cette dernière délègue à l’organe exécutif la compétence d’établir une contribution, la norme de délégation ne peut constituer un blanc-seing en faveur de cette autorité; elle doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l’objet et la base de calcul de cette contribution. Sur ces points, la norme de délégation doit être suffisamment précise (exigence de la densité normative). Il importe en effet que l’autorité exécutive ne dispose pas d’une marge de manœuvre excessive et que les citoyens puissent cerner les contours de la contribution qui pourra être prélevée sur cette base.
Ces exigences valent en principe pour les impôts (cf. art. 127 al. 1 et 164 al. 1 let. d Cst.) comme pour les contributions causales. La jurisprudence les a cependant assouplies en ce qui concerne la fixation de certaines de ces contributions. La compétence d’en fixer le montant peut ainsi être déléguée plus facilement à l’exécutif, lorsqu’il s’agit d’une contribution dont la quotité est limitée par des principes constitutionnels contrôlables, tels que ceux de la couverture des frais et de l’équivalence (cf. ATF 135 I 130 consid. 7.2). Le principe de la légalité ne doit toutefois pas être vidé de sa substance ni, inversement, être appliqué avec une exagération telle qu’il entre en contradiction irréductible avec la réalité juridique et les exigences de la pratique (ATF 135 I 130 consid. 7.2
Les principes constitutionnels permettant un contrôle de la légalité des taxes causales sont définis comme suit par la jurisprudence :
Selon le principe de la couverture des frais, le produit global des contributions ne doit pas dépasser, ou seulement de très peu, l’ensemble des coûts engendrés par la branche ou subdivision concernée de l’administration, y compris, dans une mesure appropriée, les provisions, les amortissements et les réserves. De telles réserves financières violent le principe précité lorsqu’elles ne sont plus justifiées objectivement, c’est-à-dire lorsqu’elles excèdent les besoins futurs prévisibles estimés avec prudence.
Le principe d’équivalence – qui est l’expression du principe de la proportionnalité en matière de contributions publiques – implique que le montant de la contribution soit en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et reste dans des limites raisonnables. Le principe d’équivalence n’exige pas que la contribution corresponde dans tous les cas exactement à la valeur de la prestation; le montant de la contribution peut en effet être calculé selon un certain schématisme tenant compte de la vraisemblance et de moyennes. La contribution doit cependant être établie selon des critères objectifs et s’abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents.
L’exigence de la légalité s’applique aussi en matière de taxes d’orientation et de taxes causales d’orientation. La taxe d’orientation n’est pas soumise aux principes de la couverture des frais et de l’équivalence. Reprenant les critiques de la doctrine (cf. arrêt 2C_609/2010 du 18 juin 2011 consid. 3.3), le Tribunal fédéral a relevé qu’une partie de celle-ci prône l’assouplissement de l’exigence de la légalité en présence de contributions hybrides en raison de leur composante causale. La doctrine majoritaire souligne toutefois de manière générale qu’en tant que ces taxes d’orientation ou ces taxes hybrides ne sont pas ou qu’imparfaitement soumises aux principes de l’équivalence ou de la couverture des frais permettant un contrôle de l’action du fisc, l’exigence de la base légale formelle doit s’interpréter de façon stricte. En cas de délégation à l’exécutif du pouvoir de réglementer une telle taxe, le montant maximal devra en tous les cas être fixé dans la loi au sens formel.
En l’espèce, si la composition de la taxe d’eau potable, c’est-à-dire une finance annuelle fixe et un prix de vente au mètre cube, est prévue par une loi au sens formel, le principe des paliers tarifaires ainsi que le prix du mètre cube d’eau et de la finance annuelle fixe ont quant à eux été définis par la Municipalité uniquement.
Dans sa jurisprudence (ATF 118 Ia 320 consid. 4d p. 326 s.; arrêts 2C_86/2009 du 19 novembre 2009 consid. 7.2; 2C_150/2007 du 9 août 2007 consid. 4; 2P.239/1993 du 29 septembre 1995 consid. 3d; 2P.200/1994 du 9 juin 1995 consid. 5a, in ZBl 97/1996 p. 563, RDAF 1997 I 379), le Tribunal fédéral a jugé qu’en matière de tarifs de distribution d’eau potable, ni le principe de la couverture des frais, ni celui de l’équivalence ne permet aux citoyens d’évaluer la légalité de la taxe et ainsi de compenser le manque de base légale formelle. Une loi au sens formel doit donc contenir les critères de calcul, dont la fixation ne peut être simplement laissée à l’organe exécutif par délégation. A fortiori, cette règle vaut également lorsque le tarif de distribution d’eau potable contient une composante incitative, comme c’est le cas en l’espèce. Or les bases légales, dans le cas d’espèce, se contentent, de manière très générale, de déléguer toutes compétences en matière de prix et tarifs à la Municipalité, ce qui n’est pas admissible pour une taxe causale d’orientation telle que la présente.
Il s’ensuit que l’autorité précédente, faute de base légale suffisante, a violé le droit fédéral (art. 127 al. 1 Cst.) en confirmant la contribution perçue par la Municipalité auprès du recourant pour la consommation d’eau potable pour l’année 2013. Le recours doit donc être admis et l’arrêt entrepris annulé.
(Arrêt du Tribunal fédéral (2C_768/2015 du 17 mars 2017, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon