Salaire excessif, méthode valaisanne et preuve du caractère non insolite de la rémunération

Il y a prestation appréciable en argent – également qualifiée de distribution dissimulée de bénéfice (art. 58 al. 1 let. b LIFD) – devant être réintégrée dans le bénéfice imposable de la société lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont réalisées :

1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le touchant de près ; 3) elle n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que le caractère insolite de la prestation est reconnaissable par les organes de la société. Il ne s’agit pas d’examiner si les parties ont reconnu la disproportion, mais plutôt si elles auraient dû la reconnaître.

Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Le versement d’un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice. En présence d’une prestation appréciable en argent, les conséquences fiscales sont multiples. Au niveau de la société, l’autorité fiscale réintégrera par xemple la prestation dans les bénéfices imposables de celle-ci.

En définissant le bénéfice imposable par renvoi au solde du compte de résultat, l’art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce le principe de l’autorité du bilan commercial ou de déterminance, selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L’autorité peut en revanche s’écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou des normes fiscales correctrices l’exigent.

Le droit fiscal et le droit comptable suisses poursuivent en effet des objectifs différents.

Le premier recherche une présentation qui fasse ressortir au mieux le résultat effectif et la réelle capacité contributive de l’entreprise, tandis que le second est avant tout orienté sur la protection des créanciers et fortement marqué par le principe de prudence. Dans ce contexte, les règles correctrices fiscales figurant à l’art. 58 al. 1 let. b et c LIFD visent à compenser le fait que le résultat comptable puisse s’éloigner de la réalité économique ; elles assurent une imposition du bénéfice qui tienne compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d’une société. Par leur intermédiaire, le droit fiscal cherche à se rapprocher d’un système fondé sur le principe de l’image fidèle (« true and fair »), qui prévaut dans les normes de comptabilité internationales.

Lorsqu’elle doit déterminer si la rémunération servie par la société à ses employés actionnaires est en rapport avec l’importance de leur prestation de travail, l’autorité fiscale n’a pas à substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société, mais la liberté de l’employeur n’est pas sans limite. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. L’élément pertinent est donc la rémunération conforme au marché. Pour savoir si la rémunération est excessive et constitue une distribution dissimulée de bénéfice, il convient de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Parmi les critères pertinents, figure notamment la rémunération des personnes de rang et de fonction identiques ou similaires, les salaires versés par d’autres entreprises opérant dans le même domaine, la taille de l’entreprise, sa situation financière, ainsi que la position du salarié dans l’entreprise, sa formation et son expérience.

Pour fixer un salaire de base moyen lorsque les données servant de référence à la détermination de la rémunération des cadres dans une société font défaut ou sont inexploitables, il est admissible de se fonder sur des statistiques. Ce schématisme a l’avantage d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes travaillant dans la même branche. La simplification de cette détermination doit toutefois rester dans certaines limites afin de ne pas tomber dans l’arbitraire. Il a été jugé à cet égard que le fait d’individualiser le salaire moyen en fonction des circonstances du cas d’espèce et de prendre en compte pour ce faire le cahier des charges relatif au poste en cause, les fonctions et les responsabilités des personnes concernées conduit à un schématisme exempt d’arbitraire.

Dans ce cadre, la méthode la plus communément appliquée en Suisse romande pour déterminer le salaire admissible d’employés actionnaires est la méthode dite valaisanne :

Pour arrêter la rémunération à prendre en considération, un salaire de base est déterminé ; il est augmenté d’une participation au chiffre d’affaires et au bénéfice. Cette méthode prend ainsi en compte dans le calcul de la rémunération l’implication des salariés actionnaires dans la bonne marche de l’entreprise et, pour une part au moins, leur activité en qualité d’apporteurs d’affaires.

La méthode consiste donc à déterminer un salaire de base moyen, puis à l’augmenter d’une participation au chiffre d’affaires de la société (1 % jusqu’à CHF 1’000’000.-, 0.9 % jusqu’à CHF 5’000’000.- et 0.8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés) ainsi qu’une part du bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes).

Le Tribunal fédéral a confirmé l’application de la « méthode valaisanne » dans la mesure où elle a conduit à un résultat exempt d’arbitraire, adapté aux circonstances du cas d’espèce (arrêts du Tribunal fédéral 2C_660/2014 du 6 juillet 2015 consid. 6.2 notamment). La « méthode valaisanne » a aussi reçu l’aval de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) et son application a été entérinée par la jurisprudence cantonale (ATA/480/2016 du 7 juin 2016 ; ATA/94/2016 du 2 février 2016 ; ATA/184/2015 du 17 février 2015).

En l’espèce, l’AFC-GE a considéré que les prestations versées à l’actionnaire avaient un caractère insolite, la rémunération ne correspondant pas à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. À défaut de données de référence, l’AFC-GE a appliqué la « méthode valaisanne » afin de déterminer ce salaire. Tant la jurisprudence, que l’administration fédérale des contributions, ont confirmé l’application de cette méthode, sous réserve du respect du principe de l’interdiction de l’arbitraire. Contrairement à ce que prétend la recourante, cette méthode est ainsi actuelle et reconnue.

Pour procéder à l’examen de l’admissibilité du salaire versé à l’actionnaire-employé, l’AFC-GE s’est fondée sur les dossiers des déclarations fiscales et les justificatifs annexés, soit les comptes de l’entreprise. Il incombe à la recourante, conformément à la répartition du fardeau de la preuve, d’apporter la démonstration des éléments qui sont, selon elle, susceptibles d’influencer la taxation, soit de démontrer que le salaire versé à M. E______ est justifié par l’usage commercial.

Or, elle s’est limitée à expliquer qu’en parallèle à sa fonction de commercial, M. E______ endosse celle de directeur général d’un groupe de logistique, gérant 105 employés et une surface de stockage de 14’000 m2 pour un chiffre d’affaires de 45 millions et que son activité principale peut être comparée à celle effectuée par des sociétés comme « F______ » ou « G______ ». Aucun élément ne permet cependant de comparer effectivement le salaire versé, avec d’autres rémunérations de cadre dans le même domaine d’activité. De plus, la recourante a varié dans ses explications. Elle a d’abord prétendu que le salaire de M. E______ était fixe, pour finalement admettre qu’il pouvait varier, comme en 2010, afin de tenir compte des bénéfices et des pertes de la société. La recourante n’ayant pas démontré, à satisfaction de droit, que le montant du salaire était justifié par l’usage commercial, elle doit supporter l’échec de la preuve démontrant que le salaire de son actionnaire ne présentait pas un caractère insolite.

Au vu de ce qui précède, il n’existait pas de données servant de référence à la détermination de la rémunération de l’intéressée. Or, c’est précisément dans de telles circonstances qu’il convient, selon la jurisprudence, de recourir à la méthode valaisanne.

L’AFC-GE a ainsi à bon droit recouru à cette dernière pour déterminer si, sur le plan fiscal, une partie de la rémunération versée à l’actionnaire constitue une distribution dissimulée de bénéfices devant être réintégrés dans le bénéfice imposable. Le grief de la contribuable sera dès lors écarté.

Dès lors que le calcul effectué par l’AFC-GE selon la « méthode valaisanne » n’est pas contesté et apparaît correct, le montant de la reprise, qu’elle a effectué en bénéfice sera confirmé.

(ATA/778/2016)

Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève – Yverdon

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
This entry was posted in Activité dépendante, Distributions dissimulées de bénéfice, Impôt sur le bénéfice, Impôt sur le revenu and tagged , , . Bookmark the permalink.

Leave a comment