Salaire excessif, distribution dissimulée de bénéfice et méthode valaisanne

L’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD). Celui-ci comprend tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial tels que, notamment, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (art. 58 al. 1 let. b LIFD). Les prélèvements qui ne sont pas conformes à l’usage commercial doivent être réintégrés dans le bénéfice imposable.

Il y a prestation appréciable en argent – également qualifiée de distribution dissimulée de bénéfice – lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont réalisées : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le touchant de près ; 3) ladite prestation n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que le caractère insolite de la prestation est reconnaissable par les organes de la société. Il ne s’agit pas d’examiner si les parties ont reconnu la disproportion, mais plutôt si elles devaient la reconnaître.

Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Le versement d’un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 consid. 3.1 et les références citées).

L’avantage octroyé au titre de distribution dissimulée de bénéfice doit s’expliquer par le lien particulier entre le bénéficiaire de la prestation et la société. Entrent avant tout en ligne de compte les actionnaires majoritaires. La question de savoir si un actionnaire minoritaire sans influence particulière sur la société peut percevoir une prestation appréciable en argent fait débat au sein de la doctrine (cf. notamment Pierre-Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice : le principe de déterminance dans le contexte des apports et autres contributions de tiers, 2005, p. 109, et Danielle YERSIN, Apports et retraits de capital propre et bénéfice imposable, 1977, p. 249, cités dans l’ATA/485/2013).

La jurisprudence retient quant à elle comme potentiels bénéficiaires non seulement les actionnaires d’une société, mais également toutes les personnes qui les touchent de près (ATF 131 II 593 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_377/2014 du 26 mai 2015 consid. 9.6 ; 2C_645/2012 du 13 février 2013 consid. 3.1), et que selon la théorie dite du triangle, une prestation appréciable en argent faite par une société directement à un tiers proche de son actionnaire doit ainsi être traitée comme si elle avait été octroyée à ce dernier (ATF 138 II 57 consid. 4.2 ; 131 I 722 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_610/2012 du 1er février 2013 consid. 8.1, dans lequel l’amie de l’actionnaire a été considérée comme un proche de ce dernier et la prestation appréciable en argent admise ; ATA/485/2013).

Lorsqu’elle doit déterminer si la rémunération servie par la société à ses employés actionnaires ou à des proches de ceux-ci est en rapport avec l’importance de leur prestation de travail, l’autorité fiscale n’a pas à substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société mais la liberté de l’employeur n’est pas sans limite. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. L’élément pertinent est donc la rémunération conforme au marché.

Pour savoir si la rémunération est excessive et constitue une distribution dissimulée de bénéfice, il convient de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 consid. 3.1 et 3.3 et les références citées). Parmi les critères pertinents, figure notamment la rémunération des personnes de rang et de fonction identiques ou similaires, les salaires versés par d’autres entreprises opérant dans le même domaine, la taille de l’entreprise, sa situation financière, ainsi que la position du salarié dans l’entreprise, sa formation et son expérience.

Pour fixer un salaire de base moyen lorsque les données servant de référence à la détermination de la rémunération des cadres dans une société font défaut ou sont inexploitables, il est admissible de se fonder sur des statistiques. Ce schématisme a l’avantage d’assurer l’égalité de traitement entre les personnes travaillant dans la même branche. La simplification de cette détermination doit toutefois rester dans certaines limites afin de ne pas tomber dans l’arbitraire. Il a été jugé à cet égard que le fait d’individualiser le salaire moyen en fonction des circonstances du cas d’espèce et de prendre en compte pour ce faire le cahier des charges relatif au poste en cause, les fonctions et les responsabilités des personnes concernées conduit à un schématisme exempt d’arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2008 consid. 5.3).

Dans ce cadre, la méthode la plus communément appliquée en Suisse romande pour déterminer le salaire admissible d’employés actionnaires est la méthode dite « valaisanne ». Pour arrêter la rémunération à prendre en considération, un salaire de base est déterminé ; il est augmenté d’une participation au chiffre d’affaires et au bénéfice. Cette méthode prend ainsi en compte dans le calcul de la rémunération l’implication des salariés actionnaires dans la bonne marche de l’entreprise et, pour une part au moins, leur activité en qualité d’apporteurs d’affaires.

La méthode consiste à déterminer un salaire de base moyen, puis à l’augmenter d’une participation au chiffre d’affaires de la société (1 % jusqu’à CHF 1’000’000.-, 0,9 % jusqu’à CHF 5’000’000.- et 0,8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés) ainsi qu’une part du bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes).

Le Tribunal fédéral a pour sa part confirmé l’application de la « méthode valaisanne » dans la mesure où elle a conduit à un résultat exempt d’arbitraire, adapté aux circonstances du cas d’espèce (arrêts du Tribunal fédéral 2C_421/2009 consid. 3.3 ; 2C_188/2008 consid. 5.3). La « méthode valaisanne » a reçu l’aval de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) et son application a été entérinée par la jurisprudence cantonale (ATA/485/2013; ATA/125/2013 du 26 février 2013 ; ATA/25/2013 du 15 janvier 2013 ; ATA/170/2012 et les références citées).

Dans le canton de Genève, la Cour de justice a admis, dans le cadre du calcul du salaire qualifié d’excessif selon la « méthode valaisanne », le fait de prendre comme salaire de base le calculateur en ligne de l’OGMT, reposant sur des salaires bruts totaux, toutes prestations comprises. Elle a relevé que les données de l’OGMT devaient être considérées comme objectives et conformes aux méthodes de calcul préconisées par le Tribunal fédéral (ATA/485/2013; ATA/674/2011; ATA/777/2010). En outre, le recours à un tel instrument aboutissait à établir un salaire fixé au maximum de la fourchette des rémunérations possibles (ATA/25/2013).

(Tiré de : ATA/480/2016)

Me Philippe Ehrenström

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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