Droits de mutation: notion de “société immobilière”

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Les droits de mutation sont des impôts indirects non soumis à l’exigence d’harmonisation découlant de l’art. 129 Cst. féd. Ils sont donc régis exclusivement par le droit cantonal.

L’objet du droit de mutation est le transfert d’immeuble situé dans le canton ou la commune, les législations cantonales divergeant toutefois fortement sur la définition de ce qu’est un transfert immobilier imposable. Certaines législations cantonales se réfèrent en effet exclusivement à l’art. 655 CC pour déterminer ce qu’est un immeuble (i.e. biens-fonds, droits distincts et permanents inscrits au RF, mines et parts de copropriété) dont le transfert est soumis au droit de mutation, alors que d’autres soumettent également les mutations économiques (transfert économique du pouvoir de disposer de l’immeuble) à l’impôt. Sur cette dernière notion, on renverra à l’art. 12 al. 2 let. a LHID concernant l’impôt sur les gains immobiliers qui précise que « sont assimilés à une aliénation (…) les actes juridiques qui ont les mêmes effets économiques qu’une aliénation sur le pouvoir de disposer d’un immeuble. »

Concernant plus particulièrement les sociétés immobilières (SI), le Tribunal fédéral admet en principe qu’il y a transfert économique du pouvoir de disposer de l’immeuble lorsque la participation transférée représente la totalité ou la plus grande majorité des actions de dite société. La doctrine admet plus largement que le critère déterminant d’un tel transfert est le transfert de la majorité des droits de vote à l’assemblée générale. Dans certaines situations, même le transfert d’une participation minoritaire peut représenter un transfert du droit de disposer de l’immeuble (la participation cédée est liée à un droit de jouissance sur une unité d’étage dans une PPE, action coordonnée avec plusieurs actionnaires, etc.)

Le traitement de l’achat de participations dans une SI varie grandement selon les cantons. On peut relever notamment les situations suivantes :

  • Cantons prélevant un droit de mutation sur tout transfert d’actions d’une SI, que la participation soit minoritaire ou majoritaire (Bâle-Ville, Valais) ;
  • Cantons prélevant un droit de mutation si l’acte juridique a le même effet économique qu’une acquisition en ce qui concerne le droit de dispose de l’immeuble (les deux Appenzell, Bâle campagne, Lucerne, Neuchâtel, Nidwald, Obwald, Soleure, Saint-Gall, Thurgovie) ;
  • Cantons prélevant un droit de mutation lors de l’acquisition des actions d’une SI si une participation majoritaire est atteinte (Berne, Fribourg, Grisons, Jura) ; et
  • Cantons ne prélevant pas de droit de mutation en cas de transfert d’actions d’une société immobilière (Argovie, Tessin, Vaud, Genève ; Glaris, Schaffhouse, Uri, Zoug et Zurich perçoivent un émolument du RF ; Schwyz ne perçoit ni droit de mutation ni émolument du RF).

Il faut aussi faire la différence entre le transfert (imposable) au sens de ce qui précède et l’achat de participations à une société d’exploitation qui n’est pas imposable sous l’angle du droit de mutation. En effet, dans cette dernière hypothèse, le transfert des parts d’une telle société représente un transfert d’une partie de son exploitation, ce qui est beaucoup plus large que le transfert du simple pouvoir de disposer d’un immeuble. En ce sens, l’acquisition et la vente de biens immobiliers sont alors secondaires par rapport au but d’exploitation poursuivi qu’elles servent. Dit autrement encore, lorsque les immeubles ne constituent que le support physique d’une exploitation industrielle ou commerciale, la société n’est pas une SI mais une société d’exploitation.

Dans un arrêt 2C_643/2017 du 15 janvier 2019 (RDAF 2019 II 424, commenté par Anne-Christine Schwab in RDAF 2019 II 317), le Tribunal fédéral a traité du cas d’une société avec siège à Malte acquérant 100% du capital-actions d’une société suisse détenant des appartements dans le canton du Valais. L’administration fiscale valaisanne a soumis le transfert aux droits de mutation, ce que contestait la contribuable en se basant notamment sur le régime d’autorisation découlant de la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE). L’acquisition d’actions d’une SI par une personne à l’étranger est en effet soumis à autorisation (art. 4 al. 1 let. e et g LFAIE) pour autant qu’une telle acquisition confère une position analogue à celle d’un propriétaire d’immeuble. Par contre l’autorisation n’est pas nécessaire notamment si l’immeuble sert d’établissement stable pour faire le commerce, exploiter une fabrique ou exercer en la forme commerciale une quelque autre industrie, ainsi que pour exercer une activité artisanale ou une profession libérale (art. 2 al. 2 let. a LFAIE).

La question posée était donc celle de la définition de ce qu’est une SI (par opposition à une société d’exploitation), la notion de société immobilière n’étant pas harmonisée.

Le Tribunal fédéral semble dès lors retenir les indices suivants pour qualifier la société de SI, l’examen se faisant au vu de toutes les circonstances d’espèce, au moment de l’aliénation et du point de vue de l’acheteur (débiteur de l’impôt) :

  • Le but statutaire et/ou l’activité économique effective de la société doivent consister exclusivement ou principalement à acquérir, posséder, gérer, etc. des biens immobiliers;
  • La valeur vénale des immeubles doit représenter au moins deux tiers de la valeur vénale des actifs ;
  • Les deux tiers du bénéfice au moins proviennent des activités « immobilières » ; et
  • Utilisation exclusive ou principale de la plus-value issue des biens-fonds ainsi que des biens-fonds eux-mêmes comme placement sûr et profitable (et non comme base objective/support de l’activité commerciale).

La qualification des immeubles détenus par la SI au sens de la LFAIE n’est par contre pas un critère pertinent, ce qui montre que la notion de « société immobilière » est bien une notion fiscale autonome.

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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