Electricité: le « supplément » comme nouvelle forme de contribution causale

Le droit de l’énergie a consacré la notion de « supplément », i.e. un prélèvement s’ajoutant à un coût ou à une contribution et affecté à certains buts. La qualification fiscale de ce supplément n’est pas claire. Nous traiterons donc ci-après de la classification générale des contributions publiques, avant d’aborder le supplément au sens de la nouvelle loi fédérale du 30 septembre 2016 sur l’énergie (LEne ; RS 730.0), entrée en vigueur le 1er janvier 2018.

Parmi les contributions publiques, il convient de distinguer les impôts, les contributions causales et les taxes d’orientation.

L’impôt est une contribution versée par un particulier à une collectivité publique pour participer aux dépenses résultant des tâches générales dévolues à cette dernière. Il est perçu de manière inconditionnelle, sans considération d’une contre-prestation de l’Etat ou de l’octroi d’un avantage particulier. Les contributions causales représentent quant à elles la contrepartie d’une prestation spéciale ou d’un avantage particulier appréciable économiquement et qui en constitue la cause.

Toutes les contributions peuvent revêtir un caractère d’orientation. Les taxes d’orientation sont destinées de façon exclusive ou prépondérante à modifier le comportement des particuliers en vue d’atteindre un objectif politique voulu par le législateur.

La distinction entre impôts et taxes causales a des conséquences, notamment sur le principe de la légalité (art. 127 al. 1 Cst). Les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi. Si cette dernière délègue à l’organe exécutif la compétence d’établir une contribution, la norme de délégation doit indiquer, au moins dans les grandes lignes, le cercle des contribuables, l’objet et la base de calcul de cette contribution.

Ces exigences valent pour les impôts comme pour les contributions causales. Elles sont toutefois assouplies pour ces dernières. La compétence d’en fixer le montant peut en effet être déléguée plus facilement à l’exécutif dans la mesure où leur quotité est limitée par les principes de la couverture des frais et de l’équivalence. Selon le premier, le produit global des contributions ne doit pas dépasser l’ensemble des coûts engendrés. Le second implique que le montant de la contribution soit en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et reste dans des limites raisonnables, même si un certain schématisme est permis. La contribution doit aussi être établie selon des critères objectifs et s’abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents.

La LEne, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, vise à contribuer à un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économique et respectueux de l’environnement (art. 1 al. 1 et 2 LEne).

Une des outils mis en place par la LEne pour atteindre ces objectifs est le . L’organe d’exécution perçoit en effet auprès des gestionnaires de réseau un supplément sur la rémunération versée pour l’utilisation du réseau de transport qu’il verse à un fonds. Les gestionnaires de réseau peuvent répercuter ce supplément sur les consommateurs finaux. Le supplément permet notamment de financer la prime d’injection, les coûts de rétribution de l’injection (aLEne), la rétribution unique, les contributions d’investissement, etc. soit une gamme de prestations bien supérieure à ce que prévoyait l’ancienne LEne.

Le montant du supplément est de 2,3 ct./kWh au maximum (art. 35 al. 3 et 72 al. 6 LEne). Ce montant est à comparer, par exemple, à un prix du kWh pour un profil de consommation c3 en 2019 (150 000 kWh/an: entreprise moyenne, puissance max.: 50 kW) de 15.73 à 21.28 cts, ce qui montre que ce n’est pas une « bagatelle ».

L’instrument du supplément n’est, en lui-même, pas nouveau. Fiscalement par contre, sa qualification doit être précisée.

Le caractère « causal » du supplément découle d’abord du caractère causal propre de la rémunération versée pour l’utilisation du réseau de transport. En effet, cette rémunération résulte de l’utilisation des infrastructures de transport d’électricité et elle vient en contrepartie d’un avantage octroyé au distributeur, puis au consommateur final. Le supplément a donc la même nature que la taxe qu’il augmente.

Le supplément comporte également un caractère d’orientation. Il est en effet édicté pour atteindre les objectifs de la LEne et ceux de la nouvelle stratégie énergétique de la Suisse, lesquels visent clairement à modifier les comportements. Le renchérissement du prix a aussi un effet d’orientation en réduisant la consommation.

Les principes relatifs aux taxes causales ne s’appliquent toutefois que de manière limitée au supplément. Le principe de la couverture des coûts est inapplicable au supplément dans la mesure où celui-ci s’ajoute aux coûts de transports qui sont déjà supportés par le consommateur final. Par contre, le principe de l’équivalence demeure, le supplément devant se maintenir dans des limites raisonnables par rapport à l’usage fait de la prestation par le contribuable. Il devra donc être fondé sur des critères appropriés, ne pas créer de différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents et ne pas poursuivre un objectif purement « fiscal ».

Eu égard à ce qui précède, on comprend que le supplément ne saurait être utilisé par la collectivité comme le moyen de dégager, aisément, des recettes supplémentaires, comme cela a pu être le cas avec la redevance d’utilisation du domaine public. Or la tentation existe, comme en atteste l’élargissement des usages des montants en découlant et l’importance de son montant dans le coût final du kWh.

(Adapté de Philippe Ehrenström, Fiscalité de la distribution d’électricité : questions choisies, in : Jusletter 12 novembre 2018 Nos 37-51)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), Genève et Onnens (VD)

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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