L’art. 1 let. k de la loi vaudoise du 5 décembre 1956 sur les impôts communaux (LICom ; RSV 650.11) dispose qu’avec l’autorisation du Conseil d’Etat et en se conformant aux dispositions de la LICom/VD les communes et fractions de communes dont les revenus ne suffisent pas à couvrir les dépenses peuvent percevoir un impôt sur les chiens.
L’art. 32 LICom/VD traite plus particulièrement de cet impôt. Ainsi, les chiens peuvent faire l’objet d’un impôt communal dans la commune où leur propriétaire est domicilié au 1 er janvier de l’année fiscale (al. 1). L’arrêté communal d’imposition peut décréter des exonérations et prévoir des taux d’imposition différents suivant les catégories de chiens (al. 4). L’art. 10 du règlement vaudois du 6 juillet 2005 concernant la perception de l’impôt cantonal sur les chiens (RICC/VD; RSV 652.31.1) prévoit quant à lui que l’impôt communal sur les chiens est perçu conformément à la réglementation en vigueur dans la commune de domicile du propriétaire ou détenteur.
Sur ces bases, la Commune de Vallorbe, le 31 octobre 2011, a adopté un arrêté d’imposition pour les années 2012 à 2016 (ci-après: l’arrêté d’imposition). Celui-ci a été approuvé par le Conseil d’Etat du canton de Vaud le 30 novembre 2011. L’art. 1 ch. 11 de l’arrêté d’imposition prévoit un montant d’impôt de 75 fr. par chien, à moins qu’il s’agisse de chiens de garde des maisons foraines, auquel cas ce montant se limite à 20 fr. (toutefois uniquement pour un chien). Toujours selon cette disposition, les chiens de police (services publics), les chiens des personnes bénéficiant des prestations complémentaires AVS/AI, ainsi que les chiens d’aveugles sont exonérés de l’impôt.
Dans l’arrêt déféré devant le Tribunal fédéral, le Tribunal cantonal a jugé que l’arrêté d’imposition ne prévoyait certes pas d’exonération de l’impôt sur les chiens en faveur des bénéficiaires du revenu d’insertion, mais que sous l’angle de la situation économique de ces derniers, et compte tenu du but de la législation sociale, il n’y avait pas de différence de statut ou de situation financière qui justifiait de privilégier, du point de vue fiscal, les seuls bénéficiaires de prestations complémentaires, à l’exclusion des bénéficiaires du revenu d’insertion. Selon l’autorité précédente, l’exonération fiscale poursuit des buts sociaux légitimes d’égalité devant l’impôt, si bien qu’il est contraire au principe d’égalité fiscale horizontale de ne pas prévoir d’exonération pour les bénéficiaires du revenu d’insertion, lorsqu’ils sont, comme l’intéressée, au moins aussi démunis que les bénéficiaires des prestations complémentaires.
La Commune de Vallorbe, recourante, estime elle que le Tribunal cantonal a violé le principe de la légalité de l’impôt, violé son autonomie communale et fait une mauvaise application du principe d’égalité. Elle considère en effet qu’il n’existe aucune base légale prévoyant l’exonération de l’impôt communal sur les chiens en faveur des bénéficiaires du revenu d’insertion et qu’une telle exonération ne peut pas être décidée par le Tribunal cantonal. Elle ajoute qu’en n’exonérant que les personnes au bénéfice de prestations complémentaires AVS/AI, son Conseil communal ” a voulu tenir compte de la situation spécifique à ce groupe de personnes, situation qui est différente de celle des bénéficiaires du revenu d’insertion, dont l’âge et l’état de santé ne s’opposent pas à ce qu’ils travaillent “.
Le litige porte donc sur le point de savoir si c’est à juste titre que le Tribunal cantonal a jugé que le principe d’égalité devant l’impôt justifiait d’exonérer l’intimée, détentrice de chiens et bénéficiaire du revenu d’insertion, de l’impôt communal sur les chiens, alors que les dispositions de droit communal ne prévoyaient expressément d’exonération que pour les détenteurs de chiens de police et d’aveugles, ainsi que pour les personnes bénéficiant de prestations complémentaires AVS/AI.
Selon l’art. 50 al. 1 Cst., l’autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de façon exhaustive, mais qu’il laisse en tout ou partie dans la sphère communale, conférant par-là aux autorités municipales une liberté de décision relativement importante. L’existence et l’étendue de l’autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées essentiellement par la constitution et la législation cantonales. Sous le titre “autonomie communale”, l’art. 139 de la Constitution du canton de Vaud du 14 avril 2003 (Cst-VD; RS 131.231) prévoit que les communes disposent d’autonomie, en particulier dans la gestion du domaine public et du patrimoine communal, l’administration de la commune, la fixation, le prélèvement et l’affectation des taxes et impôts communaux, l’aménagement local du territoire, l’ordre public et les relations intercommunales. La LICom/VD prévoit expressément la possibilité pour la commune, certes sous certaines conditions, de prélever un impôt sur les chiens (art. 1 let. k LICom/VD). L’art. 32 LICom/VD établit les règles minimales à respecter pour prélever cet impôt et laisse en particulier à la commune la possibilité de décréter des exonérations (al. 4). Ces dispositions concrétisent ainsi l’autonomie des communes dans le domaine de l’imposition des chiens.
La recourante se plaint de la violation du principe de la légalité. Elle est d’avis que le Tribunal cantonal ne pouvait pas se substituer au législateur communal pour décider des exonérations que celui-ci n’avait pas expressément prévues dans son règlement.
Le principe de la légalité gouverne l’ensemble de l’activité de l’Etat (cf. art. 5 al. 1 Cst.). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l’art. 127 al. 1 Cst. Cette norme – qui s’applique à toutes les contributions publiques, tant fédérales que cantonales ou communales – prévoit en effet que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi. Le principe de la légalité exige non seulement que le cercle des contribuables mais également que les exceptions à l’assujettissement soient définis dans une loi au sens formel. La base légale doit présenter une densité normative permettant de respecter les garanties de clarté et de transparence exigées par le droit constitutionnel. L’exigence de précision de la norme découle du principe général de la légalité, mais aussi de la sécurité du droit et de l’égalité devant la loi. L’exigence de la densité normative n’est toutefois pas absolue, car on ne saurait exiger du législateur qu’il renonce totalement à recourir à des notions générales, comportant une part nécessaire d’interprétation. Cela tient en premier lieu à la nature générale et abstraite inhérente à toute règle de droit, et à la nécessité qui en découle de laisser aux autorités d’application une certaine marge de manœuvre lors de la concrétisation de la norme.
Il est juste de relever, comme l’a fait la recourante, qu’il n’existe aucune base légale qui prévoit expressément une exonération de l’impôt communal sur les chiens en faveur des bénéficiaires du revenu d’insertion. Toutefois, le législateur communal a expressément prévu d’exonérer certaines catégories de personnes, notamment les bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI. Or, à partir du moment où de telles exonérations sont prévues, il convient d’examiner si ne sciemment pas prévoir ces exceptions pour d’autres catégories de personnes respecte le principe d’égalité, respectivement le droit supérieur. Les exceptions à l’assujettissement doivent certes être prévues par la loi (principe de la légalité), celles-ci doivent également respecter le principe de l’égalité de traitement, c’est-à-dire exonérer les autres personnes que les bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI qui se trouveraient dans une situation (patrimoniale) semblable.
Se pose donc la question de savoir si, sur la base de la volonté du législateur communal, il se justifie de traiter différemment les propriétaires de chiens bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI, de ceux qui bénéficient du revenu d’insertion. En effet, en droit fiscal, le principe d’égalité consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. est concrétisé par les principes de l’universalité, de l’égalité de l’imposition et de la capacité économique figurant à l’art. 127 al. 2 Cst. Selon le principe de l’égalité de l’imposition, les personnes dont les situations sont semblables doivent être imposées de la même manière. A l’inverse, de réelles différences dans les situations de fait doivent mener à des charges fiscales différentes.
Selon l’art. 4 al. 1 de la loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (Loi sur les prestations complémentaires, LPC ; RS 831.30), les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles perçoivent une rente de l’AVS ou de l’AI, ou auraient droit à une telle rente. Doivent être couverts au moyen des prestations selon la LPC, le minimum vital actuel et les besoins courants. Ainsi, selon art. 10 al. 1 LPC, pour les personnes qui ne vivent pas en permanence ni pour une longue période dans un home ou dans un hôpital (personnes vivant à domicile), les dépenses reconnues comprennent en premier lieu les montants destinés à la couverture des besoins vitaux (let. a). Ce montant annuel est notamment de 19’290 fr. pour les personnes seules (ch. 1), et 28’935 fr. pour les couples (ch. 2). Font en outre partie des dépenses reconnues le loyer d’un appartement et les frais accessoires y relatifs, les frais d’obtention du revenu, les frais d’entretien des bâtiments, les cotisations aux assurances sociales de la Confédération, un montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins ainsi que les pensions alimentaires versées en vertu du droit de la famille (art. 10 al. 1 let. b et al. 3 LPC). De plus, les cantons peuvent allouer des prestations allant au-delà de celles qui sont prévues par la LPC et fixer les conditions d’octroi de ces prestations. Dans le canton de Vaud, la loi vaudoise du 13 novembre 2007 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (LVPC/VD; RSV 831.21) prévoit que les personnes qui ont leur domicile dans le canton et qui remplissent les conditions de la LPC ont droit aux prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (art. 1 LVPC/VD).
Le revenu d’insertion est quant à lui fondé sur la législation cantonale. Il comprend une prestation financière et peut, le cas échéant, également comprendre des prestations sous forme de mesures d’insertion sociale ou professionnelle (art. 27 de la loi vaudoise du 2 décembre 2003 sur l’action sociale vaudoise [LASV/VD; RSV 850.051]). La prestation financière est composée d’un montant forfaitaire pour l’entretien, d’un montant forfaitaire destiné à couvrir les frais particuliers pour les adultes et d’un supplément correspondant au loyer effectif dans les limites fixées par le règlement (art. 31 al. 1 LASV/VD). La prestation financière est accordée dans les limites d’un barème établi par le règlement vaudois du 26 octobre 2005 d’application de la loi du 2 décembre 2003 sur l’action sociale vaudoise (RLASV/VD; RSV 850.051.1), après déduction des ressources du requérant, de son conjoint ou partenaire enregistré ou de la personne qui mène de fait une vie de couple avec lui et de ses enfants mineurs à charge (art. 31 al. 2 LASV/VD; art. 26 al. 1 RLASV/VD). Selon l’annexe au RLASV/VD, une personne seule vivant dans le Jura-Nord vaudois perçoit un montant mensuel forfaitaire de 1’100 fr., un forfait pour frais particuliers de 50 fr., ainsi qu’un montant de 842 fr. (charges en sus) pour le loyer.
La recourante est d’avis que les personnes au bénéfice de ce revenu ne sauraient être comparées aux bénéficiaires des prestations complémentaires AVS/AI, car leur âge et leur état de santé ne s’opposent pas à ce qu’ils travaillent. Un tel raisonnement, et pour autant qu’il remplisse les conditions de motivations de l’art. 106 al. 2 Cst., ne convainc nullement. En premier lieu, on relèvera que les bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI n’ont pas forcément atteint l’âge de la retraite. Au contraire, aucune des personnes percevant de telles prestations en complément d’une rente AI n’a atteint cet âge. De plus, il n’est pas non plus exclu que ces personnes puissent travailler, dès lors que rien n’empêche un assuré dont le degré d’invalidité n’est pas de 70% au moins (ouvrant le droit à une rente entière; cf. art. 28 al. 2 LAI) de requérir des prestations complémentaires AVS/AI. De surcroît, une personne qui aurait atteint l’âge de la retraite et dont l’état de santé empêcherait toute activité, mais qui bénéficierait d’une fortune ou d’un revenu suffisant, excluant le droit à des prestations complémentaires, se trouverait dans la situation décrite par la recourante, sans toutefois pouvoir bénéficier d’exonération de l’impôt sur les chiens. On constate donc que ce n’est pas tant l’âge ou l’état de santé du détenteur de chien bénéficiant de prestations complémentaires AVS/AI qui est déterminant pour l’exonération de l’impôt, comme l’avance la recourante, mais bien plus la situation patrimoniale. Or, cette situation est sensiblement la même, qu’il s’agisse d’un bénéficiaire de prestations complémentaires ou d’un bénéficiaire du revenu d’insertion. La différence réside uniquement dans le fait que le second ne remplit pas les conditions de l’art. 4 LPC. Comme l’a jugé le Tribunal cantonal, rien ne justifie de privilégier fiscalement les premiers, à l’exclusion des seconds. Dans la mesure où le législateur communal a choisi de prévoir des cas d’exonération, ceux-ci doivent respecter le principe de l’égalité de l’imposition et ainsi s’appliquer à toutes les personnes se trouvant dans une situation semblable. La recourante ne peut pas invoquer son autonomie pour contourner le droit supérieur. On ajoutera au demeurant que cette solution tendant à exonérer les bénéficiaires du revenu d’insertion est en adéquation avec celle retenue par le législateur cantonal qui, à l’art. 4 RICC/VD, a expressément prévu que les bénéficiaires de prestations complémentaires AVS/AI (y compris les prestations complémentaires pour frais de guérison) et du revenu d’insertion sont exonérés de l’impôt (cantonal) sur les chiens.
Partant, le Tribunal cantonal n’a pas violé l’autonomie communale de la recourante en reconnaissant à l’intimée, bénéficiaire du revenu d’insertion, une situation personnelle justifiant d’être exonérée de l’impôt sur les chiens en application du principe de l’égalité de traitement.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_309/2017 du 20 octobre 2017)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon