La Confédération perçoit un impôt sur le bénéfice des personnes morales (art. 1 let. b de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 – LIFD – RS 642.11). Sont susceptibles d’assujettissement, les personnes morales définies à l’art. 49 LIFD, notamment les personnes morales étrangères (art. 49 al. 3 LIFD). L’assujettissement peut être illimité en fonction d’un rattachement personnel lorsque la personne morale a son siège ou son administration effective en Suisse (art. 50 et 52 LIFD). En tel cas, il débute le jour de la fondation de la personne morale, de l’installation de son siège ou de son administration effective en Suisse (art. 54 al. 1 LIFD). Il est en revanche limité en fonction d’un rattachement personnel lorsque la personne morale qui n’a ni son siège, ni son administration effective en Suisse réalise les conditions de l’art. 51 al. 1 let. a à e LIFD, l’assujettissement étant limité dans ce cas au bénéfice imposable en Suisse (art. 52 al. 2 LIFD). [En droit cantonal harmonisé : art. 2 al. 1 let. b et 20 et ss de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID – RS 642.14)].
En l’occurrence, la contribuable n’a pas son siège en Suisse. Il reste à déterminer si son administration effective s’y exerce.
Le lieu où s’exerce l’administration effective au sens de l’art. 50 al. 1 LIFD est un critère qui ne concerne que les sociétés ayant leur siège à l’étranger (StE 2002 B 91.3 n. 3, 2A). À teneur de la jurisprudence, l’administration effective d’une telle entité se trouve à l’endroit où celle-ci a le centre effectif et économique de son existence, à l’endroit où est assurée la gestion qui, normalement, se déploie au siège de la société, à l’endroit où sont accomplis les actes qui, dans leur ensemble, servant à la réalisation du but statutaire (arrêt du Tribunal fédéral 2A 321/2003 du 4 décembre 2003 consid. 3.1, définition reprise de la jurisprudence antérieure en matière de double imposition intercantonale). La doctrine approuve une telle solution (voir la doctrine citée dans l’arrêt du Tribunal fédéral 2A 321/2003 précité ; Jean-Blaise PACHOUD in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Commentaire de la loi sur l’impôt fédéral direct, 2ème éd. 2008, ad art. 50 p. 630 n. 14 ; Xavier OBERSON, précis de droit fiscal international, 4ème éd., 2014, p. 62 n. 178 à 180). Il ne s’agit pas d’une notion différente de celle de direction effective des affaires utilisée dans le droit international de la double imposition. Elle correspond aussi à celle de siège de la direction effective figurant à l’art. 4 § 3 du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune adopté par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (ci-après : CM-OCDE) (Xavier OBERSON, op. cit., 2014, p. 159 n. 500).
La détermination du lieu de l’administration de la direction effective s’effectue sur la base d’indices, le critère déterminant étant celui où se déploient les activités courantes de la société, soit les actes qui, dans leur ensemble, servent à la réalisation du but statutaire, l’accent étant mis sur l’activité de direction, en opposition à celle d’administration d’exécution (arrêt du Tribunal fédéral 2A 321/2003 consid. 3.1).
La charge de la preuve de l’assujettissement revient à l’autorité fiscale, le contribuable ayant celle d’apporter la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. Le contribuable a notamment la charge de la preuve de l’effectivité de l’administration de l’entreprise à l’étranger, faute de quoi l’imposition a lieu en Suisse (ATA/798/2013 du 10 décembre 2013, consid. 5d).
Les parties admettent à juste titre que la direction effective de la société ne s’exerce pas dans le baillage de Guernesey, qui n’est que le siège administratif à partir duquel ne s’exercent que des activités de gestion permettant le maintien de l’existence légale de la contribuable, sans rapport avec l’accomplissement de son but social. Elles s’opposent par contre sur le lieu d’exercice de cette administration effective.
Pour trancher cette question, doit être pris en compte le fait que le seul but de la société est de détenir un navire, de l’entretenir et de le mettre à disposition de son actionnaire qui a entièrement financé son achat. En outre, c’est ce dernier qui finance lui-même et directement en Turquie les dépenses, et c’est lui qui a mandaté un agent et un capitaine pour s’occuper du navire à Bodrum. Dans la mesure où il n’est nullement allégué que ledit navire soit exploité pour des activités de type commercial telles des activités de charter ou, plus généralement, de trafic international au sens de l’art. 8 CM-OCDE, qui se dérouleraient à partir de la Turquie, l’AFC-GE était en droit de retenir l’existence d’une administration effective dans le canton de Genève.
La recourante le conteste et affirme avoir délégué l’administration effective à deux personnes qui se trouvent en Turquie, en leur laissant en quelque sorte « carte blanche » pour gérer le bateau en faveur de la société. Elle ne peut être suivie parce que ses explications ne reposent sur aucune documentation, alors qu’elle a la charge de la preuve inverse, si elle désire établir l’existence d’une administration effective en un autre lieu. On ignore ainsi tout du contenu du mandat confié à l’agent et au capitaine. De même, s’il est établi que différents montants leur ont été transférés par l’actionnaire de la société par le biais de l’un de ses comptes bancaires, on ignore à quoi ces différents transferts se rapportent. On ne sait ainsi s’il s’agissait de couvrir la rémunération des représentants du propriétaire, de frais liés à l’immobilisation du bateau dans le port de Bodrum, ou de frais d’entretien. Il n’est guère concevable que le propriétaire d’un bateau destiné à la navigation en mer et de la valeur à laquelle celui-ci figure à l’actif des comptes de la société, puisse accepter de financer les frais d’entretien d’un bateau en déléguant totalement cette tâche à des tiers sans savoir à quoi sont affectés les montants qu’il verse.
Selon la recourante le navire stationné en Turquie constitue un établissement stable situé à l’étranger, ce qui l’exempterait de toute taxation en Suisse, dans l’hypothèse où l’on retenait l’existence d’un assujettissement illimité en Suisse.
Selon l’art. 52 al 1 LIFD, l’assujettissement illimité fondé sur un rattachement personnel ne s’étend notamment pas aux établissements stables situés à l’étranger. La définition de l’établissement stable s’inspire de celle de l’art. 5 § 1 CM-OCDE et en reprend les mêmes éléments constitutifs. Trois éléments sont essentiels pour admettre l’existence d’un établissement stable : il doit y avoir une installation d’affaires, celle-ci doit être fixe et l’entreprise doit exercer ses activités en tout ou partie par l’intermédiaire de l’installation fixe. Par installation d’affaires, on entend tout local, matériel ou installation utilisée pour l’exercice des activités de l’entreprise. Pour être fixe, l’installation doit être établie en un lieu précis et revêtir un certaine degré de permanence.
En l’occurrence, le bateau de plaisance géré par la recourante en faveur de son actionnaire est ancré dans le port de Bodrum. Il ne remplit pas les conditions précitées. Il ne constitue pas une installation et au demeurant n’a aucun caractère fixe autorisant de ne pas étendre aux revenus qui sont liés à sa présence en Turquie l’assujettissement illimité de la société en Suisse.
Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.
(ATA/856/2016)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève – Yverdon