Notion de revenu imposable, peine conventionnelle

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Dans leurs écritures, les recourants soutiennent que la peine conventionnelle qui leur a été versée compense un dommage que A.X.________ aurait subi, en l’occurrence une baisse – ou une non-augmentation – de la valeur des actions de C.________ qu’il possédait jusqu’au 15 janvier 2007, de sorte que le montant reçu ne représenterait pas un revenu imposable au sens de la LIFD. Il s’agit donc, avant toute chose, de rappeler la notion de revenu telle que définie par cette loi, de même que le régime applicable aux sommes versées en compensation de dommages subis.

L’art. 16 LIFD exprime, pour l’imposition du revenu des personnes physiques, le concept de l’accroissement net du patrimoine, respectivement de l’imposition du revenu global net (” Reinvermögenszugangstheorie “). Au regard de la clause générale de l’art. 16 al. 1 LIFD et de la liste exemplative des art. 17-23 LIFD, sont ainsi considérés comme revenus imposables tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. En font donc également partie, les indemnités obtenues en échange de la renonciation à l’exercice d’un droit (art. 23 let. d LIFD). Les gains en capital réalisés lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée (art. 16 al. 3 LIFD) et les différents cas de figure prévus par la liste exhaustive de l’art. 24 LIFD font par contre exceptions. Dans un système caractérisé par un impôt général sur le revenu, les exceptions doivent être interprétées restrictivement.

Le principe de l’accroissement net du patrimoine consacré à l’art. 16 al. 1 LIFD concrétise le principe constitutionnel de l’imposition selon la capacité économique. Il en découle que les simples échanges / permutations d’actifs, de même que les sommes versées en compensation de dommages subis, n’équivalent pas à des accroissements nets du patrimoine, dès lors qu’ils n’ont aucun impact sur la capacité économique des contribuables, et restent donc sont sans influence sur le revenu imposable de ces derniers (art. 16 al. 1 LIFD a contrario). En effet, une augmentation de la fortune ne peut pas constituer un accroissement net du patrimoine imposable si elle est ” corrélée “, de par la loi ou un contrat, à une réduction de cette même fortune (” korrelierender Abgang “). Il faut considérer que celle-ci ” neutralise ” (” neutralisiert “) en quelque sorte celle-là et la fait apparaître comme un ” non-revenu ” (” Nichteinkunft “). Le raisonnement vaut également dans la situation inverse, soit lorsqu’une baisse de la fortune se voit compensée par une entrée patrimoniale. On pensera au cas d’une indemnité payée en vue de la réparation d’un dommage subi ( damnum emergens).

Selon la jurisprudence, une entrée dans la fortune et une sortie patrimoniale – et vice versa – ne se compensent, d’un point de vue fiscal, que si elles se trouvent dans un rapport de corrélation suffisant. Elles doivent entretenir un lien étroit, de sorte à apparaître comme la cause et la conséquence nécessaire de l’une et de l’autre. Leur neutralisation ne doit pas être admise à la légère, au risque d’estomper la distinction entre les revenus qui accroissent le patrimoine (qui sont sujets à l’impôt) et l’utilisation de ceux-ci (qui n’est pas déterminante d’un point de vue fiscal).

En l’occurrence, dans son arrêt, la Commission de recours (VS) a considéré que la somme de 1’000’000 fr. que E.________ a dû payer à A.X.________ au titre de peine conventionnelle en raison du non-respect de la convention d’actionnaires du 18 janvier 2001 constituait un revenu imposable au sens de l’art. 16 LIFD. Elle a estimé qu’étant versées indépendamment de tout dommage, les peines conventionnelles ne pouvaient se voir appliquées la jurisprudence relative aux indemnités en dommages-intérêts et qu’elles devaient donc être considérées, de manière générale, comme des revenus imposables.

Les recourants contestent le raisonnement de la Commission de recours tel qu’il vient d’être présenté. Ils soutiennent qu’une peine conventionnelle peut, de manière générale, servir à compenser un dommage, quand bien même celui-ci serait difficile à prouver.

En l’occurrence, la peine conventionnelle de 1’000’000 fr. versée à A.X.________ repose sur la convention d’actionnaires conclue le 18 décembre 2001, avec d’autres actionnaires.

Réglée en droit suisse aux art. 160 ss CO, une telle peine consiste en une prestation qu’une personne promet à une autre en cas d’inexécution ou d’exécution imparfaite d’une obligation déterminée (obligation principale). Elle peut présenter deux fonctions, soit indemnitaire, soit répressive. Une telle promesse vise en effet à protéger l’intérêt du créancier à l’exécution du contrat, en constituant une incitation supplémentaire pour le débiteur à se conformer au contrat. Elle améliore également la position juridique du créancier, qui est dispensé de prouver un dommage (cf. art. 161 al. 1 CO). Cela étant, la question de savoir si, d’un point de fiscal, la fonction répressive des peines conventionnelles prime sur leur fonction indemnitaire, dès lors qu’elles sont en principe dues indépendamment de tout dommage, et si elles sont donc toujours imposables, comme l’a considéré la Commission de recours, n’a jamais été tranchée par le Tribunal fédéral. Elle peut en l’occurrence rester ouverte, dès lors que le recours peut être rejeté au regard des caractéristiques de la peine conventionnelle ici en cause et de la convention d’actionnaires l’ayant fondée.

En l’occurrence, la menace de devoir payer une peine conventionnelle, telle qu’elle assortissait la convention d’actionnaires du 18 décembre 2001, était censée dissuader les parties à cet accord de ne pas respecter les engagements pris. Autrement dit, sa fonction était d’assurer le respect des modalités d’exercice des droits d’actionnaires qui avaient été convenues. La clause pénale convenue correspondait ainsi à celles que contiennent classiquement de nombreuses conventions d’actionnaires. Elle avait pour but de pousser les actionnaires partenaires à coordonner leur comportement, le cas échéant après avoir pris certaines décisions de concert. À l’instar de la convention d’actionnaires qui la fondait, elle ne visait pas directement à assurer un résultat déterminé. Notons du reste qu’en règle générale, la conclusion d’une convention d’actionnaires n’a, en tant que telle, aucune influence directe sur la valeur intrinsèque de la société qu’elle concerne et donc sur les actions qui lui sont liées. Il en va a fortiori de même s’agissant de sa fin ou de sa rupture. Rien n’indique dès lors que la peine conventionnelle payée ait eu pour objectif ou pour fonction de ” neutraliser ” les éventuelles fluctuations de la valeur des actions de C.________ qui ont pu intervenir à la suite d’un non-respect de la convention d’actionnaires du 18 décembre 2001. Partant, on ne voit pas en quoi la somme perçue par A.X.________ serait directement et étroitement corrélée à un dommage constituant, selon celui-ci, en une baisse – ou en une non-augmentation – de la valeur vénale de ses titres, étant rappelé qu’un tel lien de corrélation ne doit être pas admis à la légère.

Dans leurs écritures, les recourants n’allèguent par ailleurs aucun fait susceptible d’établir un lien de corrélation direct et étroit entre la violation de la convention d’actionnaires du 18 décembre 2001, respectivement la peine conventionnelle perçue, et le dommage qu’ils auraient prétendument subi.

Il résulte de ce qui précède qu’il n’existe aucun lien de corrélation étroit entre la peine conventionnelle de 1’000’000 fr. versée à A.X.________ et le dommage que celui-ci prétend avoir subi à la suite de la violations de la convention d’actionnaires à laquelle il était partie. Partant, la Commission de recours n’a pas violé le droit fédéral, en particulier l’art. 16 al. 1 LIFD, en considérant que le versement opéré ne compensait pas un dommage subi d’un point de vue fiscal et qu’il constituait dès lors un revenu imposable au sens de cette disposition.

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_628/2018 du 7 mai 2019)

Me Philippe Ehrenström, LL.M. (Tax), avocat, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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