Le litige porte sur le point de savoir si le recourant peut bénéficier de l’art. 48a LI en lien avec les honoraires qu’il a encaissés en 2009.
L’art. 48a al. 1 LI est libellé comme suit: “Le total des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices commerciaux est imposable séparément des autres revenus si le contribuable âgé de 55 ans révolus cesse définitivement d’exercer son activité lucrative indépendante ou s’il est incapable de poursuivre cette activité pour cause d’invalidité (…) ”
Les juges précédents ont constaté que le recourant avait définitivement cessé d’exercer une activité lucrative indépendante à la fin de l’année 2008, que, né en 1940, il remplissait la condition liée à l’âge et que la poursuite d’une activité lucrative dépendante au sein de Y.________ SA ne constituait pas un obstacle à l’application de l’art. 48a LI. Ils ont en revanche considéré que l’encaissement de factures en 2009 n’avait pas représenté la réalisation de réserves latentes, de sorte que cette condition d’application de l’art. 48a al. 1 LI n’était pas remplie.
Le recourant soutient que l’analyse des juges cantonaux est contraire à l’art. 11 al. 5 LHID et qu’une interprétation correcte de cette disposition aurait dû les amener à retenir qu’il avait bien réalisé des réserves latentes au sens de cette disposition en encaissant des factures en 2009.
L’art. 11 al. 5 LHID, entré en vigueur le 1er janvier 2009, a été introduit par la loi fédérale du 23 mars 2007 sur l’amélioration des conditions fiscales applicables aux activités entrepreneuriales et aux investissements (Loi sur la réforme de l’imposition des entreprises II; RO 2008 2893). Cette loi a également donné lieu, au plan de l’impôt fédéral direct, au nouvel art. 37b LIFD, en vigueur depuis le 1er janvier 2011. Partant, bien que le litige concerne uniquement l’impôt cantonal et communal, il y a lieu d’interpréter la LHID de la même manière que la LIFD, dans un souci d’harmonisation verticale. La première phrase de ces deux dispositions est identique et a été reprise telle quelle à l’art. 48a al. 1 LI:
“Art. 11 al. 5 LHID / art. 37b al. 1 LIFD
Le total des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices commerciaux est imposable séparément des autres revenus si le contribuable âgé de 55 ans révolus cesse définitivement d’exercer son activité lucrative indépendante ou s’il est incapable de poursuivre cette activité pour cause d’invalidité. (…) ”
Ces dispositions exposent ensuite le mécanisme d’imposition séparée des réserves latentes réalisées. Il s’agit en substance de distinguer entre la part de ces réserves comblant une lacune de prévoyance (rachat fictif), destinée à être imposée aux taux applicables aux prestations en capital de la prévoyance, et le solde de ces réserves, qui doit être imposé de manière séparée au taux prévu par l’art. 37b LIFD pour l’impôt fédéral direct et à celui fixé par les cantons au niveau de l’impôt cantonal, dans les limites de l’art. 11 al. 5 LHID. L’ordonnance sur l’imposition des bénéfices de liquidation en cas de cessation définitive de l’activité lucrative indépendante (OIBL; RS 642.114), entrée en vigueur le 1er janvier 2011, règle l’exécution de l’art. 37b LIFD.
Ces nouvelles dispositions ont été introduites dans le but d’alléger l’imposition des bénéfices réalisés sur les réserves latentes en cas de fin d’activité indépendante. La cessation d’une activité indépendante a en effet pour conséquence la liquidation de tous les actifs et passifs de l’entreprise, ce qui entraîne la réalisation et partant l’imposition de toutes les réserves latentes. Or, le fait de les imposer avec les autres revenus a été jugé pénalisant pour l’indépendant en raison de la progressivité des taux. Un allègement de l’imposition en cas de fin d’activité a aussi été voulu, afin de pallier l’absence de prévoyance professionnelle, l’indépendant n’étant pas, contrairement au salarié, obligatoirement affilié à une institution de prévoyance (FF 2005 4559 s. ch. 4.5.1). Pour le Conseil fédéral, il s’agissait aussi d’atténuer les différences entre les cantons dualistes et les cantons monistes dès lors que, dans les premiers, le produit de liquidation des gains immobiliers est inclus dans l’impôt sur le revenu et partant influe sur le taux d’imposition et que, dans les seconds, ce produit est soumis à une imposition spéciale (FF 2005 4560 ch. 4.5.1).
En l’espèce, les juges cantonaux ont considéré qu’en encaissant des factures en 2009, le recourant n’avait pas réalisé des réserves latentes, mais un revenu ordinaire de son activité d’ingénieur civil. L’art. 48a LI visait à atténuer l’imposition du bénéfice de liquidation provenant de l’accumulation, sous la forme de réserves latentes, de bénéfices durant de nombreuses années. Or, l’imposition selon les encaissements que pratiquait le recourant avait certes pu avoir un effet comparable, mais sur une période beaucoup plus limitée, puisque bon nombre de factures encaissées en 2009 se rapportaient à des prestations fournies en 2008. Au surplus, la question de savoir si des réserves latentes pouvaient être constituées sur des actifs circulants tels que les travaux en cours pouvait rester ouverte, puisque X.________ n’avait pas constitué de réserves latentes sur débiteurs ou travaux en cours.
Le recourant soutient que les juges cantonaux ont adopté une définition de la notion de réserves latentes restrictive, contraire à la lettre claire de l’art. 11 al. 5 LHID et arbitraire. Le Tribunal fédéral avait reconnu que la méthode de l’encaissement engendrait un report d’imposition comparable à la constitution de réserves latentes. Distinguer une dissolution de réserves latentes représentant un bénéfice de liquidation d’une dissolution constituant un revenu ordinaire serait contraire à la volonté du législateur. L’interprétation historique et téléologique de l’art. 11 al. 5 LHID, de même que le texte de l’art. 1 al. 3 let. a OIBL, conduiraient à adopter une définition large de la notion, dépendant non pas de la “provenance” des réserves, mais du moment de leur réalisation. La conception restrictive retenue par les juges précédents serait aussi incompatible avec le but de l’art. 11 al. 5 LHID, visant à alléger l’imposition des bénéfices de liquidation des indépendants, qui disposent souvent d’une prévoyance professionnelle insuffisante, également dans le but de favoriser les investissements.
Ni la LHID ni la LIFD, ni l’OIBL ne fournissent de définition des réserves latentes. On ne trouve pas non plus de définition dans les dispositions du code des obligations relatives à la comptabilité commerciale (cf. art. 959 ss CO; l’art. 959c al. 1 ch. 3 CO ne fait que mentionner la notion).
Appartenant au lexique propre à la comptabilité, une interprétation économique de la notion est justifiée. Cela étant, il faut aussi tenir compte, pour l’interprétation, du contexte fiscal dans lequel elle est utilisée, car sa définition peut s’écarter de la compréhension économique courante. Les règles usuelles d’interprétation s’appliquent donc toujours pour circonscrire ce que le législateur fiscal a réellement voulu inclure sous la notion de réserves latentes dans le contexte de l’allègement du bénéfice de liquidation des indépendants. Conformément à une jurisprudence constante, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique).
L’interprétation littérale de l’art. 11 al. 5 LHID permet d’emblée de retenir que seuls les revenus découlant de la réalisation de réserves latentes sont concernés par l’imposition séparée en cas de cessation de l’activité indépendante. Il s’ensuit qu’a contrario, les autres revenus de l’indépendant, et en particulier les revenus ordinaires de l’activité, ne peuvent pas bénéficier de l’allègement, et ce quand bien même leur réalisation interviendrait au cours de la liquidation de l’entreprise. L’art. 1 al. 3 let. a OIBL exclut du reste expressément de l’application de cette ordonnance les revenus de l’activité lucrative indépendante et les autres revenus qui ne proviennent pas de la liquidation (cf. Circulaire n° 28 du 3 novembre 2010 de l’Administration fédérale des contributions sur l’imposition des bénéfices de liquidation en cas de cessation définitive de l’activité lucrative indépendante, Annexe II: Commentaire de l’OIBL, ad art. 1 al. 3 let. a OIBL, p. 7, ch. 2.1). Ainsi, et contrairement à ce que semble soutenir le recourant, le seul fait d’avoir réalisé un revenu au moment de la liquidation de son entreprise ne suffit pas pour que ce revenu bénéficie de l’imposition privilégiée.
En comptabilité, il y a réserve latente lorsque la valeur réelle d’un actif est supérieure à sa valeur comptable, respectivement que la valeur réelle d’un passif est inférieure à sa valeur comptable. Le montant des réserves latentes d’un actif correspond à la différence entre sa valeur réelle et sa valeur comptable. Le fait que la notion de réserves latentes soit une notion comptable ne signifie toutefois pas que, d’un point de vue fiscal, les indépendants ne tenant pas de comptabilité commerciale ne peuvent pas réaliser de réserves latentes. Ceux-ci disposent en effet aussi d’une fortune commerciale, dont la réalisation est susceptible de dissoudre les réserves latentes formées (cf. art. 8 al. 1 LHID et art. 18 al. 2 LIFD). La notion de réserves latentes dans un contexte fiscal apparaît dès lors plus large que son acception dans le contexte purement comptable. Les indépendants ne tenant pas de comptabilité commerciale ont donc aussi vocation de réaliser des réserves latentes lors de la cessation de leur activité indépendante au sens des art. 11 al. 5 LHID et 37b LIFD, ce qui n’est du reste pas contesté dans l’arrêt attaqué. Il faut toutefois que, du point de vue économique, le revenu correspondant représente la réalisation de réserves latentes.
Invoquant l’arrêt 2C_468/2009 du Tribunal fédéral du 18 janvier 2010, le recourant soutient que le report de l’imposition des honoraires facturés induit par la méthode de l’encaissement qu’il appliquait équivaut économiquement à la constitution de réserves latentes. Il aurait donc bien dissout des réserves latentes en encaissant des factures en 2009 pour des prestations effectuées avant qu’il ne cesse son activité.
Les indépendants ne tenant pas de comptabilité commerciale doivent présenter un état des actifs et des passifs et un relevé de leurs recettes et dépenses (cf. les art. 42 al. 3 LHID et 125 al. 2 LIFD dans leur version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015 applicable au cas d’espèce et, depuis le 1er janvier 2016, les art. 42 al. 3 let. b LHID et 125 al. 2 let. b LIFD). Sous l’angle du moment de la réalisation du revenu, ces indépendants peuvent choisir la méthode de l’encaissement, selon laquelle un revenu est réputé réalisé au moment de l’encaissement seulement et pas déjà lors de la facturation.
L’arrêt dont le recourant se prévaut a été rendu dans le contexte spécifique de l’impôt annuel sur le bénéfice de liquidation en cas de fin d’activité indépendante dans le système praenumerando, qui entraînait une taxation intermédiaire (cf. art. 47 aLIFD, abrogé au 1er janvier 2014 par la loi fédérale sur la mise à jour formelle du calcul dans le temps de l’impôt direct dû par les personnes physiques du 22 mars 2013; RO 2008 2397). Selon cette disposition, les bénéfices en capital qui n’avaient pas été imposés comme revenus ou qui ne l’avaient pas été pendant une période fiscale entière étaient soumis ensemble, l’année fiscale au cours de laquelle ils avaient été acquis, à un impôt annuel entier perçu au taux correspondant à ces seuls revenus. Etaient soumis à cette imposition spéciale non seulement les bénéfices de liquidation obtenus lors de la cessation de l’activité, mais aussi toutes les réserves réalisées à cette occasion, y compris celles n’étant pas en rapport direct avec la liquidation elle-même. Cette conception, large, de ce qui faisait partie du bénéfice de liquidation au sens de l’art. 47 aLIFD visait à soumettre à l’impôt des revenus qui y auraient sinon échappé du fait de la brèche de calcul provoquée par la taxation intermédiaire. Cette conception ne peut être reprise dans le contexte des art. 11 al. 5 LHID et 37b LIFD. Ces dispositions poursuivent en effet un autre but, à savoir l’allègement des revenus provenant de réserves latentes accumulées en cas de fin d’activité indépendante. Comme déjà relevé, ces dispositions n’ont pas pour vocation à modifier la qualification fiscale d’un revenu, de sorte qu’un revenu d’exploitation conserve cette qualité même s’il est réalisé lors d’une liquidation. Or, la perception d’honoraires représente un revenu ordinaire d’exploitation pour un indépendant et il semble au demeurant qu’aucun auteur ne soutienne qu’un indépendant appliquant la méthode de l’encaissement réaliserait par là non pas un revenu ordinaire d’exploitation, mais des réserves latentes. Dans le contexte de l’allègement de l’imposition en cas de cessation d’activité, les auteurs relèvent au contraire la nécessaire distinction qu’il faut opérer entre ces deux types de revenus.
L’approche du recourant pourrait du reste conduire à reporter de manière abusive l’encaissement de factures, afin de bénéficier de l’allègement fiscal. Or, les art. 11 al. 5 LHID et 37b LIFD ne peuvent avoir pour effet de laisser un contribuable différer à sa guise le moment de réalisation d’un revenu en créant artificiellement des réserves latentes (cf. dans le même sens l’arrêt 907/2012 du 22 mai 2013 consid. 5.3.4, in RDAF 2013 II 505, où le Tribunal fédéral a relevé que, s’agissant d’une société anonyme, ne pas comptabiliser les travaux en cours à la fin de l’exercice et considérer ces derniers comme des réserves latentes violait les principes comptables applicables).
Il en découle qu’en encaissant en 2009 des honoraires provenant de montants facturés pour des prestations effectuées avant la cessation, fin décembre 2008, de son activité indépendante, le recourant n’a pas réalisé des réserves latentes, mais un revenu d’exploitation ordinaire de son activité d’ingénieur civil, même si, du fait de la méthode utilisée, ce revenu n’a été fiscalement réalisé qu’au moment de son encaissement. C’est donc en conformité avec l’art. 11 al. 5 LHID que les juges précédents ont refusé de considérer ce revenu comme le produit de la réalisation de réserves latentes au sens de l’art. 48a al. 1 LI.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1015/2015 du 8 décembre 2016)
Me Philippe Ehrenström, avocat, ll.m. (tax), Genève et Yverdon