Prêt entre sociétés soeurs: avantage appréciable en argent?

Selon la jurisprudence, une société anonyme est libre d’accorder même à son actionnaire un prêt, dans la mesure et aux conditions à la jouissance duquel un tiers non participant pourrait accéder dans les mêmes circonstances. Une prestation appréciable en argent est néanmoins réalisée dans la mesure où l’opération s’écarte des usages et des affaires habituelles conformes au marché (ATF 138 II 57 consid. 3.1, in RDAF 2012 II 299 p. 303).

Le Tribunal fédéral a développé un certain nombre de critères dont la réalisation permet de conclure qu’un prêt à l’actionnaire constitue une prestation appréciable en argent. Tel est notamment le cas lorsque le prêt octroyé par la société n’est pas couvert par le but social ou qu’il s’avère inhabituel dans la structure globale du bilan (autrement dit, lorsque le prêt ne peut pas être couvert par les moyens existants de la société, ou qu’il apparaît excessivement élevé en comparaison avec les autres actifs et qu’il génère ainsi un gros risque), ensuite, en cas de doutes sérieux sur la solvabilité du débiteur ou lorsqu’aucune garantie n’est prévue et qu’il n’existe aucune obligation de remboursement, que les intérêts ne sont pas payés mais qu’ils sont portés constamment en augmentation du compte d’emprunt et qu’il n’existe pas de convention écrite (ATF 138 II 57 précité consid. 3.2).

Dans les cas de prestations appréciables en argent entre sociétés sœurs, l’avantage passe immédiatement d’une société à l’autre, sans passer par l’actionnaire commun. Entre de telles sociétés, des attributions fondées sur un rapport de participation commun constituent donc des prestations appréciables en argent pour l’actionnaire d’une part, et des apports dissimulés de capital de l’actionnaire à la société d’autre part (ATF 138 II 57 précité consid. 4.2).

Toutefois, en matière de prêt simulé entre deux sociétés sœurs, il ne suffit pas de mettre en évidence que le prêt en question n’aurait pas été octroyé entre tiers qui ne seraient pas proches ou alors seulement à d’autres conditions. Bien plus, il faut encore démontrer que, sur la base de la relation particulière entre les proches, on ne peut pas – ou plus – compter sérieusement sur un remboursement de l’emprunt (ATF 138 II 57 précité consid. 5).

Par conséquent, à teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 138 II 57 consid. 5.1 à 5.3), les critères susmentionnés revêtent une importance différente :

– à elle seule, l’absence d’une convention écrite ne s’avère que peu concluante (Archives 64 641 consid. 4a) puisqu’elle peut reposer sur d’autres raisons qu’une intention de simulation (RF 64/2009 308 consid. 3.1). Il est plus parlant que le prêt ne figure au bilan ni de la créancière ni du débiteur et que l’emprunteur ne revendique aucune déduction d’intérêts passifs auprès des autorités fiscales. Une telle manière d’agir peut signifier que les intéressés eux-mêmes partent de la non-existence (comptable) de l’emprunt.

– Le fait que le but statutaire de la prêteuse ne comprenne pas l’octroi de crédits ne permet pas non plus de conclure nécessairement à une simulation. L’existence d’une telle simulation doit cependant être admise lorsque les moyens qui ont afflué chez le bénéficiaire ont servi à financer des dépenses de son train de vie privé ou qu’ils ont permis à ce dernier de rembourser des dettes privées à l’aide d’un crédit commercial, soit en définitive, lorsqu’un prêt au sens étroit n’est certainement pas voulu.

– Pareillement, il y a lieu de faire des distinctions en rapport avec les situations de fortune respectives de la prêteuse et de l’emprunteur ; ainsi il peut bien paraître très insolite en comparaison avec des tiers que l’attribution effectuée atteigne une hauteur inhabituelle ; cela peut se produire dans la mesure où le prêt constitue le seul actif notable de la société ou qu’il dépasse le capital propre existant. Tout cela ne permet cependant pas encore de tirer la conclusion qu’il ne faut pas compter avec un remboursement du prêt. Le fait doit en tout cas être apprécié différemment si la prêteuse n’est certainement pas en mesure d’octroyer des prêts au moyen de ses propres ressources mais qu’elle doit elle-même se procurer ces moyens auprès d’un tiers. Les conditions pour reconnaître une simulation sont seulement clairement remplies lorsque le débiteur de l’emprunt se trouve dans des circonstances financières extrêmement serrées et qu’il ne lui est pas possible de satisfaire dans la durée, par ses propres moyens, aux obligations résultant de l’emprunt.

Me Philippe Ehrenström

 

About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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