L’employeur se sépare d’un employé et, pour des raisons diverses (conflits, volonté d’éviter un contentieux, bienveillance, modifications du contrat pendant le délai de préavis, reconnaissance, volonté de s’assurer du terme effectif du contrat, etc.), il lui verse une indemnité en numéraire et/ou en nature qui excède ses obligations aux termes du contrat de travail.
Les termes peuvent être assez variés – indemnité de départ, indemnité à bien plaire, severance payment, termination benefit, etc. – mais à chaque fois l’idée est la même : l’employeur fait plus que ce qu’il doit et verse, souvent d’un bloc, un certain montant à l’employé, en vue de certaines conséquences ou pour produire un certain effet.
Si l’on examine le sort fiscal réservé aux indemnités de départ versées par l’employeur, on constate qu’il n’y a pas d’uniformité, mais que le traitement fiscal varie en fonction de la nature de ces indemnités.
Le versement par l’employeur d’une indemnité de départ est généralement imposé de manière ordinaire en tant que revenu de l’activité dépendante. En effet, l’art. 16 al. 1 LIFD dispose que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. Ainsi, cet impôt couvre, entre autres, tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, y compris les revenus accessoires (cf. art. 17 al. 1 LIFD), les revenus provenant de la prévoyance (art. 22 LIFD), tout revenu acquis en lieu et place du revenu d’une activité lucrative (art. 23 let. a LIFD) et les indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci (art. 23 let. c LIFD).
En règle générale, l’indemnité de départ est donc imposable, selon les art. 17 al. 1 ou 23 let. a ou c LIFD, au taux plein avec les autres revenus du contribuable.
Dans deux cas cependant, la LIFD prévoit des exceptions à l’imposition au taux plein des indemnités de départ.
Premièrement, lorsque l’indemnité de départ constitue un versement de capitaux remplaçant des prestations périodiques qui ne revêtent pas un caractère prépondérant de prévoyance, elle est soumise au taux particulier prévu par l’art. 37 LIFD – soit au taux qui serait applicable si une prestation annuelle était servie en lieu et place de la prestation unique (taux de la rente).
Le taux privilégié de l’art. 37 LIFD – dit « taux de la rente » – s’applique aux versements en capital remplaçant des versements périodiques futurs ou passés qui n’auraient pas été touchés par le bénéficiaire sans faute de sa part. On peut penser à des versements remplaçant des rentes échues dans le domaine des assurances sociales, à des contributions d’entretien ou à des rappels de salaire, pour autant que les prestations périodiques auraient dû être versées mais ne l’ont pas été sans la faute du créancier.
L’art. 37 LIFD ne devrait donc pas s’appliquer à des indemnités de départ ou à des indemnités contractuelles versées en raison de longs rapports de service. En effet, dans ces hypothèses, les versements ne remplacent pas des prestations périodiques mais constituent un élément de salaire complémentaire unique.
La seconde exception à l’imposition au taux plein de l’indemnité de départ concerne le cas où celle-ci est analogue à un versement de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante. Une telle indemnité de départ bénéficie du taux d’imposition privilégié prévu par l’art. 38 LIFD. Cela signifie qu’elle est imposée séparément et soumise à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits.
L’administration fiscale a publié le 3 octobre 2002 une Circulaire no 1, « Les indemnités de départ et les versements de capitaux de l’employeur », qui clarifie (un peu) le traitement de ces indemnités de départ ayant un but de prévoyance.
La circulaire rappelle, qu’à teneur de l’art. 17 LIFD, sont imposables tous les revenus provenant d’une activité exercée dans le cadre d’un rapport de travail, qu’elle soit régie par le droit privé ou par le droit public, y compris les revenus accessoires, tels que les indemnités pour prestations spéciales, les commissions, les allocations, les primes pour ancienneté de service, les gratifications, les pourboires, les tantièmes et les autres avantages appréciables en argent. Les versements de capitaux provenant d’une institution de prévoyance en relation avec une activité dépendante et les versements de capitaux analogues versés par l’employeur sont par contre imposables spécialement d’après les dispositions de l’art. 38 LIFD, soit séparément et à un taux plus favorable.
Le principe est donc l’imposition des indemnités de départ, sous la réserve de celles qui auraient un caractère privilégié de prévoyance car elles bénéficient d’une imposition séparée (ce qui casse la progressivité des taux) et de taux privilégiés.
La circulaire précise que les indemnités de départ ont un caractère de prévoyance lorsqu’elles sont destinées exclusivement et irrévocablement à atténuer les conséquences financières découlant des risques liés à la vieillesse, à l’invalidité et au décès.
Sont assimilables les indemnités accordées bénévolement par l’employeur à l’employé pour combler les lacunes de sa prévoyance professionnelle résultant de la cessation prématurée d’activité. L’indemnité doit être similaire aux prestations de la LPP et servir objectivement à assurer de façon adéquate au destinataire le maintien de son niveau de vie lors de la réalisation d’un cas de prévoyance (âge, décès, invalidité). L’appréciation du versement repose sur une vision d’avenir au moment où il est effectué.
La circulaire prévoit donc que les conditions suivantes doivent être réunies pour que le versement de l’employeur ait un caractère de prévoyance lui permettant de bénéficier d’une imposition privilégiée :
- a) le contribuable quitte l’entreprise alors qu’il a au moins 55 ans révolus ;
- b) l’activité lucrative principale est définitivement abandonnée ou doit l’être ;
- c) une lacune de prévoyance découle du départ de l’entreprise et de son institution de prévoyance. Elle doit être déterminée par cette dernière. Seules les lacunes portant sur les cotisations ordinaires de l’employeur et du salarié pour la période s’étendant entre la sortie de l’institution de prévoyance et le moment de l’âge ordinaire de la retraire, fondées sur le salaire assuré précédemment, peuvent être prises en considération. Une lacune déjà existante lors de la sortie de l’institution de prévoyance n’entre pas en compte dans le calcul.
L’employeur devra donc déterminer dans chaque cas, avec son institution de prévoyance, la part de l’indemnité nécessaire pour couvrir les lacunes liées au départ prématuré de l’entreprise.
Si le versement de l’employeur n’a pas un caractère de prévoyance selon ce qui précède, il sera normalement imposable soit en vertu de la clause générale de l’art. 17 al. 1 LIFD, soit au titre des revenus acquis en lieu et place d’une activité lucrative (art. 23 let. a LIFD) ou d’indemnités obtenues lors de la cessation d’une activité ou de la renonciation à l’exercice de celle-ci (art. 23 let. c LIFD). Ce sera notamment le cas s’il n’est pas possible de rattacher l’indemnité à une cause déterminée.
Dans les faits, l’employeur a l’obligation d’attester au contribuable le versement d’une indemnité de départ en précisant comme elle se compose et à quel(s) but(s) elle est destinée. Le calcul de la part de l’indemnité ayant un caractère de prévoyance et dont l’affectation est de combler une lacune de couverture due au départ prématuré de l’entreprise doit être attestée par l’institution de prévoyance.
Exemple tiré de la pratique :
Le rapport de travail d’un cadre dirigeant âgé de 58 ans est dissout par suite de restructuration. L’employeur verse une indemnité en capital de CHF 600’000.- représentant 3 ans de salaire. Le rapport de prévoyance est résilié et l’avoir de libre passage est transféré sur un compte de libre passage. L’activité lucrative est définitivement abandonnée. L’âge ordinaire de la retraite selon le règlement de prévoyance est de 65 ans. L’institution de prévoyance estime qu’il existe une lacune de prévoyance de CHF 280’000.- pour les 7 années restantes résultant de son départ prématuré, et ce en se basant sur le dernier salaire assuré.
L’imposition se fait de la manière suivante : CHF 280’000.- représentent un versement de capital analogue à la prévoyance effectuée par l’employeur et sont soumis à un impôt annuel entier, mais imposés séparément à un taux privilégié ; CHF 320’000.- représentent une prestation transitoire au sens de l’art. 23 let. a LIFD et sont imposés globalement avec les autres revenus.
Les critères de la circulaire ont toutefois été relativisés dans divers arrêts, dont un cantonal (Fribourg) daté de 2006 et publié dans la RDAF II 309 qu’il est utile d’évoquer.
Pour le Tribunal administratif fribourgeois, plusieurs critères énoncés par la Circulaire no 1 apparaissent trop absolus dans leur formulation. Il en va notamment de l’exigence d’une destination exclusive de l’indemnité à des fins de prévoyance, celle-ci s’avérant incompatible avec le principe selon lequel la prestation en capital doit avoir un caractère de prévoyance prépondérant.
Dans la mesure où c’est l’ensemble des circonstances qui doit être examiné, il n’apparaît pas non plus justifié d’exclure d’emblée l’existence d’un but de prévoyance lorsque le bénéficiaire n’a pas atteint l’âge de 55 ans.
Enfin, la condition de l’abandon de l’activité lucrative principale doit elle aussi être relativisée.
En effet, le seul fait que la poursuite d’une activité professionnelle soit prévisible ne suffit pas à garantir que le niveau de vie puisse être maintenu face à la réalisation d’un cas de prévoyance, notamment lorsque qu’il apparaît objectivement que la prise du nouvel emploi entraînera une baisse sensible du revenu.
Pour déterminer si la prestation versée par l’employeur a effectivement un caractère de prévoyance au sens de ce qui précède, le Tribunal affirme qu’il convient de se référer à l’ensemble des circonstances du cas. En particulier, plus le travailleur bénéficiaire est âgé au moment du versement, plus le caractère de prévoyance de la prestation devrait être reconnu. L’existence d’un devoir contractuel sur lequel serait fondée la prestation en capital s’opposerait plutôt à une telle reconnaissance. Pour le reste, il convient d’examiner la situation professionnelle du travailleur bénéficiaire, l’état des avoirs de prévoyance professionnelle déjà acquis et les explications des personnes concernées.
Dans cette démarche, c’est toujours la situation telle qu’elle se présentait au moment du versement en cause qui est déterminante. L’âge avancé et les années d’ancienneté dans l’entreprise constituent des indices en faveur du versement d’une prestation de prévoyance. En outre, en cas de cessation de l’activité professionnelle avant l’âge donnant droit à une rente de vieillesse, les prestations ont un caractère de prévoyance si elles servent, de manière transitoire, à compenser en tout ou en partie la perte de revenu du salarié jusqu’à l’âge d’ouverture du droit à une rente de l’AVS ou de la prévoyance professionnelle. Quant au fait que la somme versée est graduellement augmentée en fonction de l’âge et des années de service, il ne suffit pas, à lui seul, à lui conférer un caractère de prévoyance.
S’agissant des versements opérés par l’employeur en faveur de travailleurs licenciés en raison de la fusion d’entreprises ou de mesures de restructuration, de telles prestations ne ressortent pas de la prévoyance lorsqu’elles ont pour but de compenser le dommage subi temporairement par la perte de l’emploi ou les inconvénients liés à la recherche d’une nouvelle activité.
Lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que la prestation en capital n’a pas été versée exclusivement dans un but de prévoyance, une imposition privilégiée au sens de l’art. 17 al. 2 LIFD est admise à condition que le caractère de prévoyance soit prépondérant.
En application de ces critères, le Tribunal retient donc que, dans le cas particulier qui lui était soumis, une indemnité versée ensuite d’un licenciement collectif pouvait avoir un caractère de prévoyance prépondérant.
Dans un autre arrêt (RDAF 2011 II 60), le Tribunal fédéral a aussi retenu le caractère de prévoyance prépondérant d’un versement effectué alors que le bénéficiaire n’avait pas atteint l’âge limite, qu’il avait retrouvé un emploi qui entraînait une baisse sensible du revenu et ne permettait pas de compenser la perte de prévoyance future causée par la perte d’emploi et, enfin, que le versement avait été affecté à une police d’assurance du 3e pilier.
On peut aussi citer un autre arrêt vaudois paru dans la RF 65/2010 198 qui a reconnu un caractère de prévoyance à une partie d’une indemnité versée à un employé âgé de 53 ans et 7 mois lors de son licenciement.
Les critères mis en place par la Circulaire no 1 de 2002 doivent donc être appréciés avec mesure et en tenant compte de ce qui précède.
L’imposition de l’indemnité de départ peut aussi se faire dans le cadre d’une situation internationale.
Lors de la cessation des rapports de travail, il arrive en effet que l’employé quitte la Suisse pour, par exemple, retourner dans son pays d’origine. Il peut ensuite toucher tout ou partie d’une indemnité ou d’un versement de l’employeur. Il convient alors d’établir en premier lieu si le droit interne prévoit une imposition. Ce n’est que lorsqu’il est établi qu’un impôt est dû en application du droit interne qu’il convient de se demander, dans un second temps, si le droit de prélever cet impôt est limité par une convention de double imposition. Une telle convention ne peut ainsi ni créer ni élargir une imposition, mais seulement restreindre celle prévue par le droit interne.
Si la prestation est versée en rapport avec une prestation de travail qui a eu lieu en Suisse, l’employé qui a quitté entre temps la Suisse reste assujetti de manière limitée à l’impôt (art. 5 al. 1 LIFD) qui sera prélevé à la source.
Exemple tiré de la pratique :
Un ressortissant britannique avait travaillé comme cadre d’une société à Zurich jusqu’au 31 juillet 1996, date de son retour en Grande-Bretagne. En mars 1997, la société zurichoise avait versé à son ancien employé une prime de plus de CHF 300’000.- concernant l’exercice commercial 1996. Ce montant avait été soumis à l’impôt à la source, ce que l’intéressé contestait en arguant du fait qu’au moment du versement il n’était plus domicilié en Suisse. En se fondant sur la CDI applicable, le Tribunal fédéral a confirmé l’imposition à la source, en considérant que le point déterminant était que la prime se rapportait directement à l’activité lucrative exercée en Suisse jusqu’au 31 juillet 1996. Lors de son versement, l’intéressé demeurait assujetti de manière limitée en Suisse à raison du rattachement économique, la prime en question constituant un revenu d’activité lucrative dépendante imposable à la source en vertu de l’art. 91 en relation avec l’art. 84 al. 2 LIFD (ATF 2P.172/2000).
L’employé peut toutefois être également assujetti dans son nouveau pays d’accueil. La question doit alors s’examiner sous l’angle de la CDI applicable, s’il en existe une.
Selon le commentaire modèle MC-OCDE, le par. 1 de l’art. 15 pose la règle générale applicable en matière d’imposition des revenus provenant d’activités salariées, à l’exception des pensions, selon laquelle ces revenus sont imposables dans l’Etat où l’emploi salarié est effectivement exercé. L’emploi est exercé à l’endroit où le salarié est physiquement présent lorsqu’il déploie les activités en contre-prestation desquelles la rémunération est versée. La condition prévue par l’art. 15 MC-OCDE pour l’imposition par l’Etat de la source est que les salaires, traitements et autres rémunérations similaires proviennent de l’exercice d’un emploi dans cet Etat. Cette règle s’applique quel que soit le moment où cette rémunération est versée, créditée ou autrement définitivement acquise par le salarié.
Par « salaire, traitement ou rémunération similaire », au sens de l’art. 15 par. 1 MC-OCDE, il faut entendre toutes les prestations (périodiques ou non) fournies en raison d’une activité salariée dont elles constituent la contrepartie, à l’exclusion des pensions et autres rémunérations visées par l’art. 18 MC-OCDE. Les compléments de salaire tels que les primes (boni) constituent clairement une rémunération au sens de l’art. 15 al. 1 MC-OCDE.
S’agissant de la délimitation par rapport à l’art. 18 MC-OCDE qui règle le cas des pensions, les montants versés avant que le travailleur ait atteint l’âge de la retraite constituent en principe la rémunération du travail au sens de l’art. 15 par. 1 MC-OCDE ; il peut cependant s’agir de versements similaires à des pensions (art. 18 MC-OCDE), lorsqu’ils sont destinés à assurer la transition jusqu’à la retraite.
Enfin la clause « attrape-tout » de l’art. 21 MC-OCDE attribue les « autres revenus » à l’Etat de résidence.
Pour en savoir plus:
Se former:
Salaire, bonus, gratification, intéressement – Comprendre et maîtriser les aspects légaux de la rémunération, Lausanne, 11 octobre 2016
Lire:
Philippe Ehrenström, Le salaire. Droit du travail, fiscalité, prévoyance – regards croisés, Zurich, Weka, 2015